Harvey Weinstein de retour au tribunal




La troisième mi-temps (Suite et fin)


Par Djamel LABIDI *
Lundi 6 Septembre 2010

La troisième mi-temps (Suite et fin)
Quant à l'Islamisme, c'est un phénomène mondial, qui ne concerne pas  que l'Algérie, et dont l' analyse est donc  bien plus complexe. Il reste qu'il est inquiétant que de telles incohérences puissent trouver un écho et arriver à dresser les uns contre les autres des Algériens.
L'aliénation est productrice de haine. Comme son nom l'indique, elle consiste à se regarder avec les yeux de l'autre, à lui être subordonné. La France voulait naturellement justifier le colonialisme et légitimer sa présence en disant qu'elle n'était arrivée  en Algérie qu'après d'autres occupants ( les Romains, les Byzantins, les Turcs etc.. )dont les Arabes. Le colonisé aliéné va reprendre la même affirmation sans remarquer qu'elle est suspecte du fait même qu'elle vient du colonisateur. Fanon, dans "Peaux noirs et masques blancs" a bien  décrit  ce processus de l'autoracisme, de l'automépris, où le colonisé intègre les valeurs et la culture du colonisateur, où il se déteste lui même, et où il déteste dans l'autre colonisé l'image qu'il lui retourne, et comment alors les colonisés se déchirent entre eux, comme nous l'avons fait pour le match Egypte- Algérie à la grande satisfaction de ceux qui nous dominent. Ainsi, chez nous, " l'arabisant" et le "francisant" (appellations bizarres et affreuses qui nous ont été transmises par le colonialisme) sont un couple infernal, produit  par le colonialisme, où l'un ne peut pas exister  sans l'autre, et  où chacun déteste le reflet que lui renvoie l'autre.
Le comble, c'est lorsque notre partisan de "la décolonisation horizontale", après avoir mis des guillemets au nom "Arabe", et prouvé ainsi sur lui  même la pertinence de l'analyse de Fanon sur l'aliénation, tente de détourner cette analyse en appelant à la libération de l'aliénation" à la colonisation arabe". Il va même jusqu'à pasticher le titre du livre de Fanon en le transformant en "peaux algériennes, masques "arabes"( les guillemets sont encore de lui ) .Ainsi donc,  après  la langue qui s'appelle "l'Algérien", on découvre qu'il y a aussi une "peau algérienne".
Et puis il y a l' affirmation que la langue arabe classique, littéraire, "la langue de l'école" est une "langue morte", discours combien de fois entendu. Morte, par rapport à quoi? Par rapport à cette langue, l' "Algérien" dont il parle. Je demande à chaque lecteur d'essayer de dire en "Algérien" ( au sens de sabir) ou même en Arabe parlé tout ce qui vient d'être écrit ici, ou, dans n'importe quel article en langue française. C'est évidemment impossible. Le résultat est clair, et le but avec:  nous contraindre au silence, à ne pas pouvoir écrire, penser dans notre langue, raisonner scientifiquement,exprimer une pensée fine, nuancée, abstraite, élégante, courtoise,civilisée. Il n'y a pas de civilisation sans langue littéraire.
Et qui a dit qu'il fallait enseigner à l'école la "langue de la maison", la "langue maternelle" ou la langue de la rue. Cela n'a existé dans aucun pays. De telles affirmations n'ont de succès que parce qu'elles sont basées sur l'ignorance de beaucoup de gens sur le processus de développement linguistique. C'est au contraire la langue de l'Ecole, la langue littéraire qui est devenue partout la" langue de la maison", la langue maternelle grâce au développement de l'enseignement et sa généralisation. En France, ce n'est qu'au 19 ème siècle et au début du 20eme que ce processus s'est véritablement opéré: les lois Jules Ferry de 1881 et 1882, la création et la généralisation des Ecoles normales dans les départements français ont  eu, en particulier, pour but de  "normaliser" le Français, d'enseigner le même Français, le Français littéraire partout. Le corps des instituteurs, formé par les Ecoles normales, a constitué une véritable institution ( d'où son nom) pour servir, jusqu'au plus petit village, de référence à la langue française, pour  diffuser la langue littéraire, et unifier la langue de la nation. En Italie, c'est la langue littéraire de Rome qui est celle de l'Ecole et le processus n'est pas achevé, avec une diglossie qui subsiste notamment avec l'Italien du Sud etc..
Et  comment peut- on qualifier la langue arabe littéraire de "langue morte", alors qu'elle est celle de milliers de journaux, de centaines de radio, de dizaines voir de centaines de chaînes de télé, de dizaines de milliers de sites Internet, que des chaînes étrangères comme France 24 et d'autres savent l'importance d'avoir une chaîne de télé en Arabe, que la langue arabe est l'une  des langues principales de l'ONU, que Microsoft pour des raisons commerciales (350 millions de consommateurs arabes) sort son Windows en Arabe avant le Français, que Google donne la plus haute importance à son moteur de recherche en Arabe et a  racheté dans ce sens, Maktoob, le grand moteur de recherche arabe .
L'Algérie serait elle le seul pays où l'on puisse dire et écrire des énormités sur la langue  arabe ?
                                         
RETOUR
A LA COLONISATION ?

En réalité,  cette affirmation que la langue arabe classique est une langue morte comme toutes les autres affirmations remettant en cause notre identité,   n'ont rien de nouveau.
Il est faux de dire, comme on a pu le lire dans plusieurs journaux algériens francophones que le match Algérie – Egypte a été "l'étincelle", le déclencheur de la "prise de conscience  de notre véritable identité et que nous ne sommes pas arabes". Les arguments présentés dans ce sens sont répétés, rabâchés, ressassés depuis longtemps. Le match n'a été que l'occasion de les ressortir dans une campagne médiatique et de leur chercher une justification émotionnelle.
Ils n'ont rien de nouveau aussi au sens où ces arguments font partie de la panoplie de l'idéologie coloniale sur la langue Arabe et la question de l'Arabité de l'Algérie. Voici ce qui était écrit dans la revue française "l'Ecole Républicaine" n°7 Avril/mars 1954 : "Les inspecteurs primaires ont présenté en mars 1954, une motion singulièrement étroite ou ils faisaient de l'arabe dialectal un patois, de l'arabe littéral une langue morte, de l'arabe moderne une langue étrangère; ils concluaient en recommandant d'écarter l'enseignement de cette langue considérée en ce pays comme une forme oppressive d'arabisation."
 La France coloniale avait décrété l'Arabe littéraire langue morte pour la raison que c'était la  langue qui pouvait concurrencer le Français. L'Arabe parlé ainsi que l'Amazigh ne lui faisaient pas peur car ils ne pouvaient évidemment remplacer le Français dans la vie administrative, économique etc.. C'est la raison aussi qui explique qu'aujourd'hui c'est l'Arabe littéraire qui est régulièrement attaqué. Une méthode diabolique avait été utilisée par le colonialisme français pour suggérer que l'Arabe classique était une langue morte: celle de permettre le concernant  l'usage du dictionnaire dans les lycées en Algérie, de la même façon que pour le Latin. Ainsi s'est établi un élément de l'argumentaire linguistique colonial, à savoir que l'Arabe parlé est la langue nationale de l'Algérie et qu'il est issu de l'Arabe classique comme le Français du Latin.
Après l'indépendance, la politique "d'arabisation" ( encore un mot perfide puisqu'ils sous entend que nous sommes à arabiser et donc pas arabes) , cette politique n'a eu d'autre but que de rechercher un équilibre entre l'Arabe et le Français, une coexistence entre ces deux langues, si on s'en tient aux faits, et si  donc  on analyse cette politique à travers ces résultats et non les intentions proclamées. Le résultat a été que tout est en double chez nous, avec  la dichotomie, et les conflits qui en découlent: 2 élites, l'une en Arabe, l'autre en Français qui ne communiquent pas entre elles, 2 universités l'une en Arabe, l'autre en Français, 2 administrations, 2  presses etc… Comment la Nation peut elle garder ainsi son équilibre mental.
Là est l'explication de cette pathologie dont nous souffrons  dans la communication entre Algériens. La situation atteint parfois des sommets dans l'incohérence: le 9 Novembre, je l'avais noté, le Ministre de l'intérieur s'est exprimé en Français à la télévision à la chaîne arabe, nationale, mais, comme d'habitude, pas de traduction de son propos. De même le Ministre des affaires étrangères devant le corps des ambassadeurs algériens va parler en français, le 8 Novembre, et même au Caire le 13 Novembre. Toujours pas de traduction à la chaîne nationale, comme chaque fois qu'un Algérien parle Français. Mais il suffit que ce soit un étranger qui parle en Français  à la télé et aussitôt la traduction en Arabe se déclenche. C'est pourtant dans les deux  cas du Français. On nage dans l'absurde.  Par contre, à Canal Algérie, tout propos en Arabe est traduit en Français.
Nos deux langues nationales sont brimées dans leur propre pays:l'Arabe et l'Amazigh. C'est plus facilement perçu pour l'Amazigh que pour l'Arabe. Et pourtant, le statut de Langue officielle et nationale de l'Arabe n'est souvent que théorique. Beaucoup de hauts responsables n'en tiennent pas compte même dans leurs interventions en public. Elle aussi est victime.  Dans la haute administration et la plupart des ministères, la langue de travail est le Français. De même, dans la plupart des secteurs d'activité économique, notamment modernes (Télécommunications, informatique, énergie etc..). La publicité est presque toujours en  Français etc.. Le parcours de la jeunesse instruite en Arabe, et c'est la grande majorité des jeunes, s'apparente à un parcours du combattant: dans les réunions administratives et même  officielles , le Français sera utilisé et le jeune se taira. Il ne pourra pas remplir la plupart des formulaires. Dans les restaurants de qualité, on lui tendra un menu en Français et on lui parlera en Français, et il préférera ne pas y aller etc.. On imagine les complexes, les frustrations et donc la révolte qui peuvent en découler. Exclu, marginalisé car instruit, cultivé mais … dans la langue de son pays. Ce n'est pas ce que voulait notre Révolution nationale. Qu'on examine bien et on verra que bien des tensions, bien des non dits, bien des conflits ouverts ou masqués, bien des particularités de la vie sociale de notre pays, s'expliquent par ces tensions culturelles.

 * Professeur à l'Université d'Alger


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