La comédienne Latefa Ahrrare exprime sur scène le destin de cette ville palestinienne détruite en 746 : Capharnaüm ou quand la poésie devient matière pour le théâtre


My Seddik Rabbaj
Lundi 27 Septembre 2010

La comédienne Latefa Ahrrare exprime sur scène le destin de cette ville palestinienne détruite en 746 : Capharnaüm ou quand la poésie devient matière pour le théâtre
On parle ici d'une ville de l'ancienne province de Galilée sur la rive nord-ouest du lac de Tibériade (ou lac de Génésareth) au nord de la Palestine historique. Une ville complètement détruite par un séisme  en 746. Elle a été reconstruite un peu plus loin au nord-est, mais abandonnée pour des raisons inconnues pour tomber longtemps dans les oubliettes, ne bénéficiant d'aucun intérêt archéologique ou historique. De Capharnaüm, la ville de commerce, de rencontre et de rendez-vous, il n'existe que cette définition française qui désigne un lieu encombré et désordonné.
C'est le destin de cette ville qui interpelle la réalisatrice et la grande comédienne marocaine Latefa Ahrrare: l'apogée, le séisme, le déclin et la mort.  Destin réservé à tout lieu, à toute nation, à toute relation, à tout être… C'est d'ailleurs en perdant son père,  l'année dernière, que l'actrice s'est rendu compte de la précarité de la vie, que certaines questions existentielles commencent à la tourmenter.  Et comme tous les intellectuels, elle a cherché refuge dans les livres, dans le regard de ceux qui sont capables de traduire avec justesse leurs pensées en mots, ceux qui voient plus loin et plus clair que les autres. Chemin faisant, elle découvre la poésie de Yassin Adnan, le poète marocain qui a pu exprimer non seulement le malaise existentiel qu'on peut éprouver face à un événement inopiné mais aussi cette tension que vit le monde actuellement.
C'est une subtile illumination pour Latefa Ahrrare qui s'est montrée prête à donner son corps et sa voix pour changer le poème « Le récif de l'apocalypse » à l'ancienne ville « Capharnaüm », ville où se rencontrent les tremblements de terres et les résurrections. A quoi peut-on penser en lisant ce préambule ?  "En traversant la rue des morts, je songeais encore: La Résurrection n'est qu'histoire dans un livre./ Quand l'heure advint soudainement/ Et les hautes montagnes s'ouvrent sur de petits/ Rats noirs/ Et des vents cinglants"… N'est-ce à une prophétie ? Dans ce monde où les résurrections font partie de notre quotidien, ne trouve-t-on pas explication et consolation dans ce poème ? Les inondations, les incendies, les séismes, les morts collectives sont de nombreuses facettes des résurrections qui sont devenues des rituels quotidiens. D'ailleurs la première représentation de ce spectacle qui était programmée pour le 22 avril 2010 au théâtre Mohammed V à Rabat a été annulée à cause de l'absence de l'actrice restée prisonnière à l'aéroport de Londres à cause de l'éruption du volcan islandais. Le malheur qu'elle voulait exprimer sur scène l'a rattrapé loin du pays comme si l'âme du poème résistait encore à changer de corps.
Capharnaüm est un voyage dans une géographie mythique et sacrée, un voyage dans une ville présente dans quelques textes, mais complètement effacée des cartes. Cela peut renvoyer aux idées qui existent encore dans des textes mais qui sont complètement absentes de la carte de la réalité.  Capharnaüm, c'est aussi un voyage sans but précis, une quête de l'être dans le désarroi qui est le monde. Capharnaüm est un cimetière pour les âmes vivantes, celles qui refusent de mourir, celles qui ne lésinent pas sur les moyens pour présenter leur résurrection dramatique devant les spectateurs. Capharnaüm est un travail qui corrobore l'idée de la fraternité des arts et qui cherche à effacer les frontières entre poésie et théâtre. Ce n'est pas la première expérience ni pour le poète ni pour la réalisatrice et actrice. Yassin Adnan avait déjà collaboré avec la réalisatrice italienne Laura Viliani qui a édifié tout un travail (Altrove Assoluto) sur son poème « vers l'an 2000 », alors que Latefa a déjà monté sur scène la poésie de Mahmoud Darwich.
Et de terminer sur ces phrases de Latefa Ahrrare qui montrent sa capacité à produire des textes poétiques. On se demande vraiment pourquoi elle n'a pas encore mis la main à la pâte :  « Capharnaüm AUTO-SIRATE est l'histoire d'une femme qui revit des moments de solitude dans son corps. Un corps couvert, enveloppé de souvenirs d'enfance, un corps marqué des traces de l'adolescence. Une femme  qui porte en elle, des  hommes, des religions, des traditions … un corps en quête de liberté … sa liberté est-ce un mot : le verbe ?  Est-ce un costume : le voile ? La Burqa est-ce un signe d'émancipation pour cette femme ? Ou est-ce un passage d'une vie à une autre ? Capharnaüm est un spectacle où l'être marche sur les trottoirs de l'apocalypse pour bâtir une vie dénudée de tout un avoir.



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