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L’esprit de consommation


Atmane Bissani
Mercredi 1 Septembre 2010

Il va sans dire que la consommation est devenue aujourd’hui le trait distinctif de l’homme des temps modernes. Tout se passe, en effet, comme si la modernité comme système de pensée n’allait pas sans esprit de consommation. Dans son essence, la consommation définit un type de rapport liant, inter-dépendamment, un objet de consommation à un sujet consommateur. La phénoménologie husserlienne nous apprend que « toute conscience est conscience de quelque chose ». Toute consommation est, par voie d’analogie, consommation de quelque chose, donc, pratiquement, toute consommation est une conscientisation d’un objet de consommation. S’il en est ainsi, consommer revient à dire être conscient de l’acte de consommer comme acte guidé par la volonté du consommateur libre, responsable et consciencieux. Ceci nous amène à penser la consommation comme question plus existentielle que simple phénomène  économique ou social. La question est : est-ce l’être consommateur qui fonde l’acte de consommer, ou, plutôt, c’est l’acte de consommer qui fonde l’être consommateur ? Allons plus loin : est-ce consommer signifie exister ? L’existence est-elle inhérente à l’acte de consommation ? Y répondre nécessite la reformulation du cogito cartésien, c'est-à-dire le fameux « Je pense donc je suis» pour dire : « Je consomme donc je suis. » Le tournant de la société actuelle, cette société adolescente selon le mot d’Alain Finkielkraut (La défaite de la pensée, Gallimard, 1987), creuse un abîme on ne peut plus abyssal entre deux types de consommateurs : le nécessiteux et le désireux. Le consommateur nécessiteux est celui qui consomme selon son besoin vital. C’est l’homme ordinaire qui ne vit pas pour consommer mais qui, situation économique oblige, consomme pour vivre. A contrario, le consommateur désireux demeure celui qui consomme plus par luxe que par besoin. Ce consommateur dépasse à bien des égards le premier du fait qu’il consomme, certes, par nécessité, c’est dire pour vivre, mais aussi et surtout par désir, c’est dire pour consommer. Il s’agit là d’un consommateur avivé à jamais par le désir de consommer. Il est le consommateur-type qui consomme les yeux fermés car la consommation pour lui n’a pas un esprit, elle est une culture qui émane du pouvoir d’achat et non de la volonté d’achat. A travers l’histoire d’un couple  fort ordinaire (Jérôme et Sylvie) qui cherche à donner sens à son existence moyennant l’esprit de consommation, George Perec revisite, dans son roman « Les choses » (Julliard, 1965), la condition humaine à partir de son attachement à la logique de consommation comme fondement d’un « certain » bonheur de l’être moderne. Perec, certainement, ne semble pas condamner la société de consommation dans son livre, mais, en tout cas, il y réfléchit mûrement sur le devenir de l’être consommateur dans une telle société. Le tragique dans toute aventure de consommation (toute consommation est en fait une aventure d’être) s’avère être la métamorphose qu’elle opère au niveau du consommateur. Il s’agit tout bonnement d’un esclavagisme qui renverse la fonctionnalité de la consommation comme étant une pratique qui accomplit un besoin élémentaire en une pratique qui nourrit une insuffisance existentielle chez l’être. Ontologiquement, le tragique commence lorsque la condition d’être se trouve viscéralement conditionnée par la logique de consommer. Dans ce sens la consommation acquiert le statut d’un pouvoir imbattable qui gère, façonne et conditionne l’énergie intellectuelle de l’être. De sa faculté de penser et de juger, l’être passe pour un « étant » à penser et à juger. Ainsi, au lieu de structurer son rapport à l’égard de l’objet de consommation, l’être se trouve-t-il dominé par cet objet même qui ne cesse de devenir l’essentiel de la métaphysique moderne et contemporaine. Dépourvu de son intelligence, l’être se laisse fasciner facilement et sans réaction par toutes les « choses » qui l’entourent et l’assiègent. Il y voit un « mythe » (Roland Barthes, Mythologie, Seuil, 1957) fondateur de sa survie. Il y voit des objets compensatoires et indispensables à sa subsistance. La « chose » dans cet esprit fonctionne comme conscience, comme acte (Sartre, L’imagination, PUF, 1936) qui exerce une certaine autorité subjectivement imparable sur le consommateur ensorcelé et captivé involontairement. Conscience et acte, la consommation se développe en créant incessamment de nouveaux besoins chez le consommateur. Elle oriente ses désirs inconscients tout en lui traçant mécaniquement, techniquement et esthétiquement des voies jusqu’ici inconnues porteuses de promesses et de bonheur possible. La logique de la consommation laisse le consommateur suspendu, en attente. Du reste, l’attente fait partie du plaisir de consommer dès lors que le consommateur est un rêveur, malgré lui, qui s’ennuie rapidement d’un premier objet et aspire à son remplacement par un autre et jamais, au grand jamais à son effacement, car effacer revient à signifier tuer le sens du nostalgique chez le consommateur. Consumérisme, société de consommation ou consommation tout court, la consommation, tout comme la technique d’ailleurs, Heidegger en parle, a un esprit. En effet, pour que la naissance du consommateur ne doive se payer de la mort de l’homme, l’esprit de consommation commence d’abord par la critique de la consommation pure. Il s’agit de consommer intelligemment, c'est-à-dire consommer dans l’écart, dans la distance qui permet à l’être de demeurer « être » et à l’objet de consommation de demeurer « objet » de consommation. L’esprit de la consommation crée l’art de consommation. La consommation est un art ou n’est pas. La meilleure consommation est, ipso facto, celle qui se fait dans le « plaisir » de consommer. C’est là une consommation qui ne répond ni à la logique du désir, ni à celle de la nécessité, car « désir » et « nécessité » sont impérativement inscrits dans la durée, le plaisir, quant à  lui, est inscrit dans le moment, dans l’instant. Le consommateur, suivant cette logique, consomme dans le bonheur que lui procure le plaisir de consommer. Il n’est ni désireux ni nécessiteux, il est voluptueux et jouisseur. Il est sensoriel et épicurien. Il est à venir… 


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