Interrogations sur l'après-Gaza


Par Mustapha BENGADA
Mardi 27 Janvier 2009

Interrogations sur l'après-Gaza
Après trois semaines de son agression contre Gaza, Israël déclare un cessez-le-feu unilatéral, sorte de veillée d'armes puisque les causes ayant conduit au conflit n'ont pu être réellement solutionnées que ce soit sur le plan militaire ou politique. Ehud Olmert, chef de cabinet démissionnaire pour cause de malversations financières, a évidemment crié victoire et adressé ses congratulations à l'artisan de l'agression, Ehud Barak, l'un des trois candidats potentiels à sa succession. Il lui a donc fallu ce jeu qui consiste à faire feu de tout bois pour tenter fallacieusement de rassurer l'opinion publique israélienne. Celle-ci est restée sans doute mal informée du déroulement de cette guerre puisque la presse internationale n'a pu être autorisée par le gouvernement israélien à en assurer la couverture. Cela arrive bien entendu dans le pays dit le havre de la démocratie dans la région.

Un cessez-le-feu alibi

En fait, le cessez-le-feu unilatéral intervient à un moment où l’attitude d'Israël tant militaire que politique n'était pas aussi évidente que voudraient le faire croire les propos tenus par Olmert. Le concert des protestations et indignations s'éleva de partout dans le monde, l'investiture du nouveau président Barack Obama était imminente, et au moment où des mini-sommets à tonalités différentes sur le conflit ont été fébrilement tenus ou annoncés à Doha et Charm Cheikh. Un cessez-le-feu qui fige de manière surprenante sur le terrain une situation ne comportant pas, à part le bain de sang et les destructions massives, de sérieuses indications que les objectifs de la guerre ont été totalement atteints. Les missiles de la résistance ne cessaient de tomber au sud d'Israël et les chars de l'agression demeuraient cantonnés à la périphérie de la Bande de Gaza et, par-dessus tout, les bombardements se sont poursuivis sans répit pendant toute la durée de la guerre. Aucune avancée en profondeur des blindés, ni affrontement au milieu des zones à forte densité n'ont eu lieu ou vaincu la résistance. Diversion en somme traduisant une perplexité du gouvernement Olmert y compris vis-à-vis de l'initiative égyptienne qui tentait d'obtenir parmi d'autres objectifs une trêve d'une durée indéterminée de la part de Hamas en contrepartie de la levée du siège et l'ouverture des points de passage.
Ainsi, en attendant les conséquences de ce cessez-le-feu unilatéral, le Tsahal se met néanmoins à retirer ses troupes de la Bande de Gaza et ce, en concomitance avec l'annonce par les factions de la résistance de leur volonté d'observer un cessez-le-feu valable pour une semaine seulement si aucun retrait des troupes n'était opéré dans l'intervalle. Hamas et ses alliés dans la résistance s'attribuent la victoire du fait d'avoir déjoué les plans militaire et politique de l'agresseur ainsi que d'avoir gardé intact l'essentiel de leurs forces opérationnelles.

Une guerre humiliante pour l'agresseur

Dans l'attente de ce que sera la stratégie de la nouvelle administration américaine vis-à-vis du conflit proche-oriental, cette nouvelle agression à dire vrai contre une ville et non face à un pays et son armée, fait sans doute qu'il existe désormais un avant et un après-Gaza.
Tout d'abord, Israël en sort diplomatiquement et politiquement affaibli. Il est mis au ban des nations non seulement par les centaines de milliers de manifestants de par le monde mais aussi de la part des organisations humanitaires et des droits de l'Homme, onusiennes et autres. Ses relations diplomatiques et commerciales avec la Turquie, le Venezuela, la Mauritanie et le Qatar sont rompues et/ou sérieusement compromises et mises à l'épreuve comme c'est le cas avec l'Egypte et la Jordanie. En revanche, l'Union européenne s'est de manière un peu surprenante déclarée, à l'instar des Etats-Unis, compréhensive de l'action de légitime défense menée par Israël. Le parti pris de l'UE à l'égard du Hamas depuis l’accession de celui-ci au pouvoir en 2006, que reflètent d'ailleurs les positions du Quartet, s'inscrit également le sillage du blocus économique imposé depuis des mois à la population de la Bande de Gaza. Ainsi, la violence haineuse et aveugle ne peut-elle, sous toutes ses formes et excès, être dénoncée ne serait-ce qu'à titre humanitaire et ce, sous prétexte de la lutte contre le terrorisme.
Bien plus, l'accord conclu à la hâte entre Condoleezza Rice, qui s'apprêtait à quitter son poste, et Livni en vue de lutter conjointement contre ce qu'elles désignent comme trafic d'armes via le passage de Rafah est purement un geste politique qui vise à la fois à renforcer les chances du chef de la diplomatie israélienne dans sa compétition pour la succession à Olmert et à vouloir imposer cet engagement à la nouvelle administration à Washington.
D'ailleurs, le mutisme d'Obama sur la guerre de Gaza les y a encouragées, d'autant que l'homme, considéré comme le catalyseur des espoirs de changement, est resté de marbre sans dénoncer à tout le moins le massacre perpétré à l'école El-Fakhura relevant des Nations unies.
Pourquoi alors la défense de la justice et du droit humanitaire s'arrête-t-il aux portes de Gaza?! Et ce au moment où l'on trouve parmi les intellectuels et académiciens israéliens des voix qui osent exprimer publiquement et énergiquement l'opposition à cette lâche guerre contre Gaza ? L'un de ceux-là, David Grossman, a récemment écrit en s'adressant aux dirigeants de son pays : «Pour une fois, essayez d'agir à l'inverse du réflexe habituel; à l'inverse de la terrible logique de la force et de la dynamique de l'escalade». L'ont-ils vraiment entendu? En tout cas, les 22 jours de l'agression sioniste ont révélé de véritables crimes qu'il ne sera pas facile pour la justice internationale de les passer sous silence et que les coupables politiques et militaires israéliens s'en tirent impunément.

Le défi de la réconciliation inter-palestinienne

Entre Fath et Hamas le torchon brûlera, hélas, encore longtemps après la guerre de Gaza. A leurs vieux différends se sont à présent ajoutés d'autres dont le reproche fait à Hamas par l'Egypte et le Fath, d'être à un degré ou à un autre, responsable de la rupture de la trêve qu'il observait pendant six mois. Reproche qui découle bien entendu de l'opposition frontale depuis l'arrivée de Hamas au pouvoir grâce aux élections et aussi à ses soubassements politico-idéologiques s'exprimant par l'affrontement entre la ligne des tenants de la politique des négociations et celle prônant invariablement la résistance.
La suspicion de part et d'autre va en s'accentuant, plus forte que les nombreuses tentatives arabes et islamiques de rapprochement surtout après la mainmise de Hamas sur Gaza au mois de juillet dernier, fait que le Fath considère comme acte illégal de prise de pouvoir par la force.
Comme Israël s'obstine à ne pas faire de concessions dans les négociations et avoue en finir avec le mouvement islamiste suspecté de bénéficier du soutien en armes de la part d'Iran, Hamas passe de plus en plus pour le porte-drapeau de la résistance à l'occupation sioniste. L'après-Gaza soulève dans ces conditions de nombreuses questions. D'abord, de quelle manière Hamas se positionnera-t-il face au défi des arrangements en cours dans la région et avec des puissances étrangères en vue d'imposer un contrôle international sur le passage de Rafah considéré comme point de trafic d'armes ? Quelle suite Hamas réserverait-il aux propositions de l'Autorité dans le sens de la constitution d'un gouvernement d'union nationale qui veillera à la préparation dans six mois des prochaines élections législatives et présidentielles ?
Tenant compte des préalables de Hamas, tout arrangement inter-palestinien ou par le biais de l'Egypte, conjointement ou non avec la Turquie, ouvrira une nouvelle ère dans le conflit israélo-palestinien : ou bien Hamas serait contraint à intégrer le processus politique grâce à la mise en place d'une trêve de longue durée sous l'auspice d'une Autorité d'union nationale ou alors il persévèrerait dans sa logique avec le risque de se voir de plus en plus tenu à l'écart des efforts de la reconstruction de Gaza. En tout cas, l'éventuelle reprise du dialogue inter-palestinien sur la base des documents de travail élaborés en 2006 par le Sommet arabe de Damas, par l'Accord de la Mecque, pourrait avancer sur la base de l'indispensable reconstruction d'une OLP recomposée, laquelle est exigée y compris dans les rangs de Fath.
L'après-Gaza aura aussi sa traduction sur le plan des interférences entre les relations interarabes et celles entre les Etats de la région et leurs voisins ; l'Iran et la Turquie. Au cœur de ces entrelacs, il y a bien entendu les divergences d'approches et de visions des uns et des autres vis-à-vis du vieux conflit de la région et, enfin, les stratégies des puissances régionales et internationales. Divisés plus que jamais sur le degré de responsabilité de Hamas dans le drame que Gaza vient de vivre et également sur le rôle de l'Egypte dans l'épisode en cours, les régimes arabes et l'Autorité palestinienne ont étalé au grand jour leurs divergences y compris sur l'opportunité et le lieu de la tenue d'un sommet extraordinaire. Aux uns leur sommet à Doha sur la crise de Gaza avec la présence hautement significative et même critiquée des puissances régionales et aux autres leur sommet à Charm Cheikh dit de consultation sur la même crise avec la participation de leaders européens. L'Autorité palestinienne a choisi d'assister au second sommet alors qu'à Doha étaient présents Hamas et les autres factions de la résistance, si bien que les deux camps trouvent ou y ont été poussés à trouver dans la guerre de Gaza de suffisantes raisons pour affirmer chacun ses prérogatives et sa propre identité. Leurs soutiens arabes ici et là s'ils se divisent sur les choix fondamentaux de chacun des deux camps palestiniens, ils le sont d'abord et essentiellement en raison de leur faible poids politique sur la scène internationale et ses enjeux stratégiques, ce qui les prive de la force diplomatique nécessaire pour faire réellement avancer leur initiative de paix dite de Beyrouth. Même au Koweït où la crise de Gaza fut traitée en marge du Sommet économique arabe, le rapprochement des positions dans le camp arabe tenté par l'Arabie Saoudite paraît difficilement réalisable. A part les intentions affichées par ce sommet quant à la reconstruction de Gaza, les attitudes envers Israël restent ce qu'elles sont, loin d'aller jusqu'au retrait de l'Initiative arabe de paix de même que les appels à la reprise du dialogue inter-palestinien restent au stade de vœux.
Le défi de la réconciliation inter-palestinienne est désormais posé de manière plus critique à l'Egypte qui, au début de la guerre contre Gaza, a appelé Ankara à la rescousse. La diplomatie de ce tandem réussira-t-elle à trouver la base d'équilibre de la réconciliation souhaitée comme celle d'ailleurs des rôles des Etats-Unis et de l'Union européenne ou peut-elle contribuer à l'ouverture sur l'incontournable Hamas ?


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