Hémorragie de devises en toute impunité: Jeux d'argent en toute illégalité

Le Groupe socialiste-Opposition ittihadie interpelle le gouvernement en dénonçant une économie parallèle hors de contrôle


Mehdi Ouassat
Dimanche 15 Juin 2025

A travers une question écrite adressée à Nadia Fettah Alaoui, ministre de l'Economie et des Finances, le Groupe socialiste-Opposition ittihadie à la Chambre des conseillers sonne l’alerte: le fléau des jeux d’argent en ligne prend des proportions alarmantes, menaçant non seulement la stabilité du système financier marocain, mais aussi l’avenir de toute une génération.

Derrière cette interpellation du Groupe socialiste se dessine un paysage inquiétant, où se croisent économie souterraine, addiction, blanchiment d’argent et inaction réglementaire. Au cœur de cet enchevêtrement complexe, un nom revient comme un refrain toxique : 1xbet, la fameuse plateforme russe de paris sportifs illégaux, aujourd’hui solidement implantée dans l’écosystème numérique marocain… sans jamais avoir été autorisée à y opérer. Soutenue par des réseaux bien rodés, 1xbet  utilise les failles du système marocain pour détourner l’équivalent de millions, voire de milliards de dirhams en différentes devises, chaque année.

Ce que dénonce le Groupe socialiste n’est pas un fait isolé, mais une industrie parallèle, organisée, tentaculaire et totalement hors de contrôle. Les jeux d’argent en ligne, notamment les paris sportifs et jeux de casino, explosent depuis quelques années, dopés par l’essor des smartphones, des réseaux sociaux et un vide juridique béant.

1xbet, tout comme «Linebet», «Melbet» et plusieurs autres plateformes, bannies dans plusieurs pays d’Europe, dont la France et l’Allemagne, opèrent aujourd’hui librement depuis l’étranger sur le territoire marocain, sans licence, ni impôt, ni redevance. 1xbet, fondés par d’anciens membres des services secrets russes et aujourd’hui basée à Chypre, capte à elle seule près de la moitié des mises sportives effectuées au Maroc, loin devant la Marocaine des Jeux et des Sports (MDJS), l’opérateur légal sous tutelle de l’Etat.

Le manque à gagner est colossal : plus de 700 millions de dirhams par an, selon des sources croisées. Le plus inquiétant, ce n’est pas tant l’évasion fiscale – bien qu’elle soit significative – mais l’évasion en devises. L’équivalent de millions de dirhams en devise quitte illégalement le territoire chaque mois via des circuits informels, comme l’a récemment confirmé une enquête conjointe de l’Office des changes et de l’Autorité nationale du renseignement financier.

Ce genre de plateformes illégales ne fonctionnent pas seules. Elles s'appuient sur un réseau informel d'agents locaux, qui alimentent les comptes des parieurs, reçoivent leurs mises, et transfèrent l'argent vers l'étranger via des moyens alternatifs : cryptomonnaies, virements anonymes, ou conversions de devises en dehors des circuits bancaires officiels.

Tout se passe en dehors du radar des institutions, sans déclaration au fisc, sans suivi réglementaire, et dans une impunité quasi totale. Certaines transactions ont récemment atteint des sommets : plus de 7 millions de dirhams transférés vers l'étranger par un seul canal, sans que les autorités n'en soient averties à temps.

Ce système repose sur l’incapacité actuelle de l’Etat marocain à suivre les flux financiers numériques, notamment ceux qui transitent par les monnaies virtuelles, encore non reconnues légalement. La législation peine à rattraper une réalité qui évolue plus vite qu’elle, à mesure que les technologies de contournement se perfectionnent.

Face à ce raz-de-marée, l’Etat semble hésitant. Le ministre délégué chargé du Budget, Fouzi Lekjaa, a bien tiré la sonnette d’alarme lors d’une session parlementaire, dénonçant l’emprise croissante de 1xbet sur le marché illégal et ses conséquences macroéconomiques. Mais où est la riposte légale ? Où sont les instruments de régulation numérique ?

Ce vide légal fait aussi peser un risque de blanchiment d’argent massif. Quand des millions transitent par des circuits informels, il devient impossible de savoir si ces flux proviennent uniquement des jeux d’argent ou s’ils cachent des trafics plus lourds : drogue, cybercriminalité, financement occulte.

Et puis, les dégâts ne sont pas seulement financiers. Ils sont aussi humains. Les jeunes sont devenus la cible privilégiée de ces plateformes. Grâce à des applications simples, des bonus séduisants, des promesses de gains rapides, ces sites exploitent les faiblesses psychologiques et sociales de toute une frange de la population, déjà fragilisée par le chômage et l’absence de perspectives économiques claires.

Les risques d’addiction au jeu d’argent en ligne sont bien réels. Et à défaut de régulation, le Maroc assiste, impuissant, à l’émergence d’un nouveau fléau générationnel. Derrière chaque mise, il y a une perte d’épargne, un surendettement, un jeune déscolarisé ou un foyer brisé.
Le plus grave, peut-être, est que tout cela se déroule en dehors de tout cadre juridique clair. Le droit marocain n’a tout simplement pas anticipé l’explosion des jeux d’argent en ligne, notamment ceux opérés depuis l’étranger. Résultat : les autorités de contrôle n'ont ni les outils techniques ni les fondements légaux pour agir efficacement.

La réaction du Groupe socialiste vient combler ce vide, du moins politiquement. Elle interpelle la ministre sur les mesures concrètes que son département, en coordination avec l’Office des changes et Bank Al-Maghrib, entend prendre pour quantifier ce phénomène, le suivre et y mettre un terme. Mais au-delà des diagnostics, ce que réclament les ittihadis, c’est une véritable stratégie gouvernementale, à même de protéger les intérêts économiques du pays autant que la santé mentale de sa jeunesse.

Ce qui se joue ici n’est pas seulement une bataille contre un opérateur illégal. C’est un combat pour la souveraineté économique, pour la crédibilité de l’Etat, et pour la protection des citoyens. Laisser faire, c’est envoyer un signal dangereux : celui que le Maroc est un territoire où les puissances numériques illégales peuvent prospérer sans résistance.
Ce combat ne peut pas être gagné avec des demi-mesures. Il exige un arsenal législatif moderne, une coopération entre les instances financières, les services de renseignement et les autorités judiciaires. Il exige aussi une volonté politique claire : celle de ne plus tolérer qu’un pays tout entier devienne un terrain de jeu pour mafias numériques.

La question du Groupe socialiste n’est pas une simple formalité parlementaire. C’est un acte politique fort qui expose un scandale économique de grande ampleur. Le Maroc ne peut plus se permettre de fermer les yeux. Il est temps de nommer les choses, de tracer les lignes rouges, et de reprendre le contrôle de ce qui nous échappe. Car si rien n’est fait, ce ne sont pas seulement l’équivalent de milliards de dirhams en devise qui continueront de s’évaporer dans l’ombre. A terme, c’est la crédibilité même des autorités marocaines qui sera mise en jeu.

Mehdi Ouassat


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