Fatima Sadiqi : L’éducation et la santé sont au cœur de la stabilité sociale


Samedi 13 Juin 2020

Fatima Sadiqi : L’éducation et la santé sont au cœur de la stabilité sociale
Spécialiste en études de genre et professeure à la Faculté des lettres et des sciences humaines Dhar El Mehraz-Fès, Fatima Sadiqi, aborde, dans 
cette interview accordée 
à la MAP, l’impact 
de la crise sanitaire 
du Covid-19 sur 
la société marocaine, 
tout particulièrement
 sur la femme.
 
La crise du Covid-19 a apporté son lot de chamboulements dans différents aspects de la vie de société. Quel regard portez-vous sur ces transformations ?
Le Covid-19 est la crise marquante de ce début du 21ème siècle. Elle a paralysé le monde entier et a eu un profond impact sur les hommes et les femmes, à tous les niveaux. Les témoignages, les rapports, les discours, les articles, les livres, et même les musées ont documenté ce phénomène.
Le Covid-19 n’a épargné personne et il y a un réel sentiment que beaucoup de choses ont changé. 
D’abord, la nature du phénomène : une pandémie mondiale qui touche tout le monde et impose les mêmes restrictions sur tout le monde. 
Puis, le confinement, la peur de perdre les libertés citoyennes, le sentiment d’impuissance et les limites de l’être humain. Il faut beaucoup de temps pour revenir sur tout cela sans excès d’émotion. Je crois qu’on est encore loin de mesurer l’ampleur et les retombées de la pandémie, mais une chose est certaine : le changement est là et il est profond.
 
Les changements constatés sont-ils de nature à s’inscrire dans la durée ? 
Ce changement va s’inscrire au moins dans le court terme. Il a déjà bouleversé des habitudes et des comportements comme le démontrent les quelques études semi-sociologiques que les chercheurs tentent d’appréhender. 
Comme dans toutes les grandes crises, il faut s’attendre à des changements de taille.
 
En tant que spécialiste en études de genre, quels impacts a eu cette crise sur la femme, tout particulièrement ?
Les rapports et études récemment recensés s’accordent à souligner un plus grand impact du Covid-19 sur les femmes. Il est certain que les hommes et les femmes souffrent du fléau à tous les niveaux, mais il est vrai aussi qu’ils sont exposés différemment aux contraintes produites par le Covid-19 en ce sens que les conséquences ne sont pas les mêmes pour les deux sexes.
Plusieurs raisons soutiennent ce constat. D’abord, comme on le sait, le genre est un déterminant structurant de tous les aspects des sociétés humaines, ce qui veut dire que les inégalités entre les hommes et les femmes sont une réalité à tous les niveaux. Ces inégalités s’aggravent dans les moments de crise, et la pandémie Covid-19 en est une.
Ensuite, avec l’isolation et le confinement, ce sont les femmes et les filles qui sont plus exposées aux violences domestiques. L’augmentation des fardeaux domestiques, les soins portés aux enfants et aux personnes âgées étant généralement conçus comme un ‘’devoir de femmes’’ ont un impact direct sur la santé physique et morale des femmes.
D’autre part, le chômage et l’insécurité financière, la violence liée au manque de drogue ou d’alcool chez certains maris, pères, fils. Il y a aussi la fermeture des centres d’écoute et services aux femmes victimes de violence, ce qui aggrave la situation.
La violence domestique est aussi liée à la pauvreté. La plupart des femmes travaillent dans les secteurs informels où elles gagnent beaucoup moins que les hommes. Dans ces cas, les conséquences économiques plus graves pour les femmes les rendent encore plus exposées à l’extrême pauvreté que les hommes. 
Ce sont donc les conséquences socioéconomiques qui sont plus accentuées pour les femmes que pour les hommes, un fait qu’il importerait de souligner dans toutes les stratégies de reprise économique. 
Les femmes sont aussi plus présentes dans les emplois précaires. Le secteur informel est très touché par le Covid-19, ce qui les expose plus aux facteurs de risque.
 
Quels leçons peut-on tirer de cette crise ? Le monde post-Covid-19 sera-t-il différent ?
La première leçon à tirer de cette crise est l’importance primordiale d’une réflexion approfondie en amont et pas en aval. Il faut se pencher sérieusement sur les politiques et les programmes visant la protection sociale et le respect de tout le monde. Toute crise ne peut être surmontée sans des visions globales et non-idéologiques. Ensuite, il faut dépolitiser les systèmes de l’éducation et de la santé : ils sont au cœur de la stabilité sociale. Enfin, je pense qu’il faut inclure l’approche genre dans toutes les mesures de stimulation économique et de protection sociale. Tous les secteurs publics ainsi que la société civile et les ONG doivent prendre en considération la dimension du genre dans toutes les stratégies à venir. 
 
  


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