Neila Tazi : Le Festival Gnaoua et Musiques du Monde se veut une plateforme citoyenne où la culture rencontre les grands défis contemporains


Libé
Jeudi 19 Juin 2025

Neila Tazi. DR
Neila Tazi. DR
La 26ème  édition du Festival Gnaoua et Musiques du Monde, prévue du 19 au 21 juin à
Essaouira, accueillera 350 artistes qui animeront 54 concerts tout au long des trois journées du Festival, entre grands shows en plein air, sets intimistes et performances dans des lieux patrimoniaux. Ce rendez-vous culturel emblématique, qui s'est imposé en tant qu'événement musical unique fondé sur une tradition essentielle, celle des Maâlems Gnaoua, gardiens d’un héritage ancestral, ouvre chaque année ses portes à des musiciens du monde entier.

Dans une interview accordée à la MAP, la productrice du Festival Gnaoua et Musiques du Monde d'Essaouira, Neila Tazi, revient sur l'image d'un Maroc multiculturel que consacre le Festival, la capacité du Festival à se réinventer tout au long de 26 éditions, ainsi que sur son rôle dans la promotion des industries culturelles et créatives (ICC) dans le Royaume.

 
Le Festival Gnaoua est présenté comme l’image d'un Maroc multiculturel, ouvert et tolérant. Selon vous, dans quelle mesure la culture, à travers cet événement, constitue-t-elle aujourd’hui un levier essentiel de la diplomatie marocaine ?

La culture s'affirme de plus en plus comme un pilier stratégique de la diplomatie marocaine. A travers la richesse et la diversité de ses initiatives culturelles, le Maroc porte une énergie collective, et le Festival Gnaoua et Musiques du Monde en constitue une illustration emblématique. C'est cette diplomatie par la culture, sensible, enracinée, globale et inclusive, que le Festival incarne avec force et vision.
En valorisant un patrimoine africain profondément inscrit dans l’histoire du Maroc, ce festival contribue à réinventer les formes d’un dialogue culturel fondé sur le respect mutuel, l’échange et la réappropriation d’une mémoire commune. Il s’agit de repositionner l’Afrique au cœur du récit, non comme un objet de folklore, mais comme une force vive et créative, spirituelle et politique.
A travers la musique Gnaoua, héritage des peuples subsahariens, le Maroc affirme son ancrage africain et renforce son rôle de trait d’union entre les cultures du continent et le reste du monde. Grâce aux fusions singulières qui prennent vie sur les scènes du festival, l’art Gnaoua entre en résonance avec d’autres expressions musicales issues de la même matrice historique, celle des résistances et des spiritualités nées dans la douleur de la traite négrière.
Des rythmes afro-cubains aux chants sacrés du candomblé brésilien, des percussions haïtiennes aux harmonies du blues et du jazz américains, une cartographie invisible se dessine, tissée de la mémoire des blessures et des promesses d’avenir. Le Festival Gnaoua offre une scène à ces affinités sonores et mémorielles, où les musiques abolissent les frontières.

Le Festival Gnaoua, qui souffle cette année sa 26ème  bougie, affiche une longévité remarquable. Quel est son secret et comment parvenez-vous à conserver une identité unique dans le paysage culturel marocain et international ?

Le secret du Festival réside dans sa capacité à concilier fidélité et transformation. Depuis 26 ans, il cultive un équilibre entre la préservation rigoureuse d’un art ancestral, celui des Maâlems Gnaoua, et l’ouverture à des musiques et influences venues d’ailleurs.
Ce positionnement, à la fois enraciné et universel, permet au festival de parler à toutes les générations, à tous les publics.
Dans un monde où les repères culturels s’uniformisent, le Festival Gnaoua défend une singularité marocaine qui assume fièrement sa profondeur africaine. C’est cette cohérence dans la vision, nourrie d’un engagement culturel et politique fort, qui explique sa longévité.
 
Comment ce Festival a-t-il réussi à préserver l’authenticité de l’art des Maâlems Gnaoua, tout en élargissant son public et en intégrant les musiques du monde à sa riche programmation ?

L’approche du Festival est avant tout respectueuse : les Maâlems ne sont pas de simples artistes invités, ils sont les piliers du projet.
Leur art est traité avec la dignité qu’il mérite, en tant que forme de sagesse populaire, de spiritualité, mais aussi de résistance. En créant des dialogues avec d’autres traditions musicales africaines, afro-caribéennes ou occidentales, le festival ne dilue pas l’authenticité gnaouie : il la projette sur d’autres scènes, il l’élargit sans jamais la trahir.
Cette ouverture est une façon de dire que les cultures africaines peuvent se rencontrer, se renouveler et dialoguer d’égal à égal avec le monde.

Le Festival Gnaoua s’inscrit aussi dans une réflexion plus large sur l’économie de la culture au Maroc. Quelle est la place qu’il occupe aujourd’hui dans cet écosystème culturel en développement ?

 Depuis plus de 25 ans, le Festival Gnaoua est un acteur structurant de l’économie culturelle marocaine et un modèle de référence à l’échelle africaine.
Grâce à une persévérance constante et à un plaidoyer engagé, il a démontré que la culture n’est pas un luxe, mais un véritable levier de développement territorial, d’inclusion sociale et de rayonnement international.
Le Festival a largement contribué à l’émergence d’un nouveau secteur : celui des industries culturelles et créatives (ICC), capables de générer de la valeur économique, de créer des emplois durables et d’ancrer la confiance dans l’avenir. Ce secteur, très prometteur, représente l’une des réponses les plus pertinentes aux défis de l’emploi et de la croissance.
Notre pays aurait tout à gagner à y investir de manière plus volontariste et audacieuse.

Et comment des initiatives telles que le Forum des droits humains enrichissent-elles le projet global du festival ?

Le Forum des droits humains s’inscrit pleinement dans la vision globale du Festival, qu’il prolonge et approfondit. Depuis 12 ans, en mettant en débat des enjeux cruciaux tels que les mobilités humaines, la jeunesse, les diasporas, la condition des femmes, les identités plurielles, l’égalité, le numérique, la résistance par la culture…, il transforme le Festival en un véritable espace de réflexion, de dialogue et d’engagement.
Bien plus qu’un simple rendez-vous musical et artistique, le Festival se veut une plateforme citoyenne où la culture rencontre les grands défis contemporains.
Le programme de "Berklee au Festival Gnaoua et Musiques du Monde" revient cette année pour sa deuxième édition, en partenariat avec le prestigieux Berklee College of Music.

Quelles sont les opportunités offertes par ce programme ? Quel bilan peut-on tirer de la première édition ? Et peut-on dire que cette initiative contribue à inscrire durablement la musique Gnaoua dans le paysage académique international?

Le programme "Berklee au Festival Gnaoua et Musiques du Monde" est une véritable passerelle entre les musiques du monde et l’excellence académique internationale. Né d’un partenariat avec le prestigieux Berklee College of Music, ce programme offre une plateforme unique de dialogue, de transmission et de création entre les Maâlems Gnaoua et des musiciens venus des quatre coins du monde.
Les opportunités sont nombreuses pour les talents marocains, c’est une chance exceptionnelle de participer à des masterclass animées par d’éminents professeurs, de découvrir de nouvelles approches musicales, d’élargir leur réseau et, pour certains, de nourrir l’ambition d’une carrière internationale.
Pour les enseignants de Berklee, il s’agit d’une immersion dans une culture musicale profondément spirituelle et rituelle, qu’ils apprennent à écouter, à comprendre et à respecter.
C’est aussi une étape importante pour Berklee car, pour la première fois, l’institution s’implique physiquement sur le continent africain. Bien que l’école dispose déjà d’un département Africana Studies, ce programme lui permet de dépasser le cadre diasporique pour se connecter directement aux sources vivantes des traditions musicales africaines.
Ce partenariat contribue ainsi non seulement à valoriser la musique Gnaoua dans les cercles académiques internationaux, mais aussi à renforcer la place des musiques africaines dans les pratiques de formation et de création contemporaine à l’échelle mondiale. La première édition a suscité un véritable engouement, avec 44 participants issus de 10 pays. Cette seconde édition en accueillera 74 venus de 24 pays : un signe fort de l’internationalisation du programme et du Festival.

En intégrant la musique Gnaoua dans un cadre pédagogique reconnu comme celui de Berklee, cette initiative lui offre une nouvelle reconnaissance, au-delà de ses cercles traditionnels ou événementiels, tout en préservant son essence. Elle permet également de documenter, analyser, transmettre cet art dans des contextes universitaires, et ainsi de le préserver, l’enrichir et le faire rayonner.


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