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Dans cette interview, Abdellah Hammoudi avance que le colloque organisé par Noureddine Ayouch a posé un problème réel qui est celui de la problématique des langues. C’est déjà quelque chose d’important et il a été posé dans le cadre du diagnostic qui a été fait au plus haut niveau par le Souverain, portant sur la faillite du système d’enseignement chez nous, avec ses conséquences.
Libé : Le président de la Fondation Zakoura Education, Noureddine Ayouch, estime, dans un colloque tenu récemment à Casablanca, qu’il faut revoir l’enseignement des langues au Maroc et reconnaître la darija et l’amazigh comme des langues nationales. Cette déclaration a suscité de vives réactions notamment du côté des islamistes et des arabisants. On aimerait bien savoir votre point de vue sur la question?
Abdellah Hammoudi : Je vous remercie pour cette occasion qui me paraît à la fois nécessaire et opportune. Je me suis déjà exprimé sur ce problème linguistique lors d’une récente conférence. A ce sujet, je voudrais apporter les précisions suivantes : Tout d’abord, ces précisions émanent d’un colloque sur lequel je vais revenir après, avec donc les propositions dont vous avez parlé concernant la darija, en particulier, et en général le rapport entre le religieux et le linguistique. Deux faits, deux phénomènes essentiels qui, en fait, posent la problématique de la langue chez nous. D’abord, je tiens à dire que ce colloque organisé par M. Ayouch a posé un problème réel qui est celui de la problématique des langues. C’est déjà quelque chose d’important et il a été posé dans le cadre du diagnostic qui a été fait au plus haut niveau par le Souverain, portant sur la faillite du système d’enseignement chez nous, avec ses conséquences. Dans ce cadre, il me paraît important de souligner que ce colloque a posé un problème réel concernant le statut des langues chez nous dans l’enseignement et celui des langues en général.
Il me paraît également important de souligner que c’est pour la première fois que l’on évoque la problématique du rapport entre la darija parlée par la majorité des Marocains je crois, et l’arabe classique. Tout cela agencé dans la trilogie avec l’amazigh, est posé clairement. C’est un phénomène positif en lui-même. Maintenant, je dois dire qu’il n’y a pas mal de choses sur lesquelles je ne suis pas d’accord et sur lesquelles je voudrais avancer les précisions suivantes. Premièrement, je commence par une remarque générale. J’ai suivi les réactions que les déclarations de M. Ayouch ont suscitées et je trouve qu’elles ont été pour beaucoup notamment de la part des représentants de l’Istiqlal et du PJD. Elles étaient d’une violence extrême, difficile à justifier. Dans la discussion, il faut éviter ces violences, des mots outranciers, des accusations. Eviter le lynchage, car c’est un vrai lynchage. Il faut développer des arguments rationnels pour que la discussion puisse avancer, et ce dans le respect mutuel des opinions et des propositions de chacun.
Je souligne ce point parce que nous sommes en train d’espérer établir la démocratie chez nous. Et l’une des règles de la démocratie, c’est la discussion dans le respect et le développement des arguments rationnels. D’ailleurs, je voudrais savoir les raisons de ces violences. D’autant plus que certains courants politiques comme l’Istiqlal sont responsables en partie du désordre qui règne aujourd’hui dans l’enseignement.
Deuxièmement, je me demande s’il n’y a pas là une manœuvre pour simplement neutraliser d’autres opinions comme celle de M. Ayouch et d’autres, pour des raisons qui ont trait peut-être à la politique. Encore une fois, la discussion va payer le prix de ce genre de situations non clarifiées.
Quelles sont donc au juste vos remarques?
Personnellement, j’ai deux remarques à avancer : la première concerne la modalité de ce colloque. Celui-ci n’a pas été un dialogue réunissant tous les partenaires. Pour moi, peut-être que je suis marginal, ce colloque a été tenu sur un fond de clandestinité pratiquement. Un beau jour, on apprend qu’un colloque a eu lieu, bien que la Fondation Zakoura Education s’occupe un peu de certains aspects de l’enseignement et de l’aide qu’elle lui apporte. Et pourtant, nous n’avons pas entendu parler de ce colloque et des participants potentiels. Tout ce qu’on a lu à travers la presse, c’est la participation de certains très hauts responsables proches du Souverain, et puis on ne sait pas qui était là, on a dit des experts internationaux. Mais qui sont ces experts? Quels sont leurs crédits scientifiques et autres? Tout cela me paraît discutable, et l’on devrait demander des précisions aux organisateurs. Nous devons démocratiquement informer l’opinion publique. Sur le plan technique, il me semble que le problème a été mal posé, bien que l’initiative soit légitime.
Enfin, on a posé le problème, mais l’approche ne me paraît pas justifiée ; au contraire, elle peut manquer de fondement national, scientifique plus convaincant. Il me semble que cette dichotomie entre la darija et l’arabe classique a été accentuée alors que les deux langues sont suffisamment proches. Je ne veux pas me prononcer sur la théorie de la langue : si l’arabe dialectal est une dégradation de l’arabe classique ou non.
J’ai là-dessus des opinions que je peux discuter au cours d’un colloque scientifique sérieux. Je constate simplement que les deux langues sont très proches, et que même dans les premières années de l’école, et selon mon expérience, lorsque je suis entré à l’école en 1952, le maître d’arabe qui était d’ailleurs très bon, a commencé à expliquer la fosha et ses règles avec exemples à l’appui.
J’avais entendu des mots qui sont les mêmes dans ma darija prononcés de différentes manières, avec des déclinaisons différentes. Mais je n’avais pas de difficultés en gamin que j’étais d’aller de l’une à l’autre. Ceci dit, personnellement, je ne pense pas avoir souffert d’une rupture. C’est une question qui est différente d’une autre: pour apprendre les choses en dehors de la langue, le calcul à un très haut niveau au primaire ou avant, est-ce que ce qu’on appelle langue, maternelle pose problème ? Je ne le pense pas. J’estime que le niveau est si élémentaire étant donné que les deux langues se ressemblent par la structure et le vocabulaire, mais pas de rupture. Et d’ailleurs, il n’y a pas de mal à ce que les instituteurs expliquent en darija ; au contraire, cela va donner aux élèves l’habileté de passer d’une langue à l’autre, c’est un exercice plutôt intéressant. L’essentiel, c’est comment les deux langues sont présentées. Si elles le sont par une méthode irrationnelle, d’apprentissage par cœur et par la violence, et si elles sont présentées et enseignées par le recours à la mémoire, ce ne sont pas des méthodes qui vont faire aimer l’une ou l’autre aux petits élèves. L’essentiel c’est comment arriver à enseigner la fosha dans un climat pédagogique qui pousse les élèves à aimer cette langue. C’est un vrai problème. Je ne vois pas de dichotomie entre notre langue et une autre, classique et archaïque qui est la fosha. Au contraire, la langue arabe en elle-même a beaucoup évolué, et il y a quelque chose qui est en train de se créer à savoir l’arabe moderne, qui n’a pas toutes les qualités malheureusement, mais il sera question de bien travailler cette langue.
Que se passe-t-il dans la pratique de la communication entre la darija et la fosha ?
C’est une question qui devrait être discutée entre linguistes, psycholinguistes, anthropologues, sociologues, etc. Lorsque des gens disent : «Notre langue c’est la darija», je me demande ce que c’est que notre langue. D’abord, il y a des Amazighs et autres. Et puis notre darija c’est laquelle? Celle du sud-ouest ou celle des hauts plateaux, de Fès, de Tanger, etc ? Les langues, les linguistes le savent, sont en fait des parlers, y compris la fosha, le français et l’anglais. Ce sont des parlers qui rejoignent idéalement un ensemble de règles abstraites qu’on appelle la langue, dans le grammaire, la morphologie, etc. Il vaut mieux parler de la pratique de la communication plutôt que d’assigner des vérités sur les langues dans l’abstrait, la langue avec «L» majuscule.
A votre avis, quel est le problème du rapport entre le scientifique, le linguistique et le religieux ?
Concernant le problème du rapport entre le scientifique, le linguistique et le religieux, je suis moi-même persuadé qu’on n’a pas suffisamment distingué les trois domaines. L’arabe classique devrait être enseigné pour ce qu’il est : une grande langue, une belle langue. Et devrait être enseigné dans le sens d’un apprentissage de la langue, des cultures, de la littérature, de l’art, de la science. Dans ces manuels d’apprentissage de la langue, on doit éviter autant que possible d’y mettre trop de textes religieux. J’ai examiné les manuels de lecture qui sont aussi des ouvrages avec trop de textes religieux pour au moins 40 ou 50%. Alors là, je ne comprends pas, parce que, par ailleurs, il y a l’éducation religieuse. Dans un colloque national, on doit se mettre d’accord sur le temps qui doit être imparti dans les programmes pour cette matière. Et à ma connaissance, je crois que ce temps est exagéré. Certes, il faut enseigner l’éducation islamique, mais en sollicitant un arbitrage de la Haute Autorité lors d’un colloque national afin de trouver l’équilibre, après que les différentes composantes de la nation se seront prononcées sur ces questions qui engagent les participants, les gens de l’enseignement, les partis politiques, les syndicats, les différentes sensibilités philosophiques et religieuses. Il est indispensable de revoir la quantité d’heures impartie à l’enseignement religieux par rapport au volume horaire consacré aux autres disciplines. Par ailleurs, lorsqu’il s’agit d’enseigner la langue et la littérature, il faudrait éviter autant que possible de revenir aux textes religieux, et mettre les textes littéraires, philosophiques, de pensée d’une façon très ouverte sur le monde. L’important c’est de faire aimer la langue, la littérature pour que nos enfants commencent à éprouver du plaisir de s’exprimer en toute liberté, être capables de dire tout ce qu’ils veulent. L’enseignement de la langue doit être rationalisé, dispensé par des maîtres bien formés, en utilisant de vrais manuels, car ceux qui existent sont des catastrophes, je suis désolé de le dire. Même les dessins et les photos sont horribles, dans ce cas comment doit-on avoir, apprendre un sens du réel, de la beauté ? C’est désastreux.
Comment peut-on donc, selon vous, sortir de cette situation ?
Il faut revoir les méthodes d’enseignement et les manuels, il faut enseigner l’arabe comme langue qui n’est pas exclusive de la darija. Il ne faut pas créer d’hostilité entre les deux langues. La langue arabe, avec le tamazight reste la seule langue vraiment codifiée et susceptible d’être enseignée avec ses normes dans l‘évolution constante. Mais il faut distinguer le linguistique du religieux. Depuis longtemps, on a mélangé les deux domaines. Et il faut qu’il y ait une discussion sérieuse là-dessus. Malgré les critiques que je peux adresser à ce colloque et à M. Ayouch, c’est bien que le problème soit enfin posé et qu’on puisse en parler. Ma proposition ne prétend pas, contrairement à ces experts internationaux et autres, à l’absolu, et d’ailleurs je mets en doute que ces experts dont on parle, aient sérieusement élaboré la question. Quand on parle de traumatisme et de rupture, à ma connaissance, je n’ai jamais vu d’étude psycholinguistique sérieuse, avec des textes, sur des tranches d’âges identifiées pour en savoir plus. Mais parler de rupture et traumatisme, alors là, je ne prends pas cela très au sérieux. Je ne prétends pas être un psycholinguiste ni un sociolinguiste, mais je peux dire que je n’ai pas vu beaucoup de gens de ma génération traumatisés par le fait, quand ils viennent à la première année du primaire, de vivre une quelconque rupture. La vraie rupture, était l’apprentissage du français car il s’agissait d’une langue étrangère qui n’avait de rapport ni avec la fosha ni avec la darija. Et même là, il n’y avait pas de grande rupture. Si on travaille bien les langues avec les enseignants, de façon à les maîtriser, il n’y a pas de traumatisme, il y’a même un plaisir de passer d’une langue à l’autre. Donc ma proposition est la suivante : elle est basée sur ce que j’ai vécu. J’ai maintenant bien 60 ans passés de quelques années, ce qui me permet de comprendre ce qui se passe dans l’enseignement depuis pratiquement mes années de lycée jusqu’à maintenant. Puis j’ai enseigné à l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II pendant 20 ans. Et j’ai aussi donné des cours à l’Ecole d’agriculture de Meknès mais également à la Faculté de droit en anthropologie politique. De plus, ma famille exerce dans l’enseignement primaire et secondaire, et j’ai réalisé beaucoup d’enquêtes, j’ai circulé à travers le Maroc, j’ai parlé avec des instituteurs, des professeurs, en tant que chercheur dans le domaine anthropologique. Je pense donc que si on continue cette espèce de mélange : enseigner des matières en arabe, d’autres en français ; de plus quelques-unes en arabe jusqu’au bac et puis on revient au français pour les sciences à la fac. C’est une vraie salade qui ne peut produire dans les esprits que des mélanges malsains superficiels. Mon propos s’inscrit dans la longue durée. Je pense qu’il faut revenir à un enseignement sérieux et rigoureux des langues, que ce soit l’arabe ou le français. J’estime que pour le tamazight, les Amazighs savent ce qu’ils veulent ; je leur fais confiance. Il faut donc revenir à un enseignement sérieux et contrôlé, avec une pédagogie sérieuse et des maîtres solidement formés. Dans le cas du français, les enseignants, faute de mieux, doivent être formés par des français ou bien par des formateurs marocains francophones triés sur le volet. Et c’est la même chose pour l’arabe ; il faut qu’il soit enseigné par des maîtres bien formés en utilisant une grammaire rationnelle. Qu’ils ne fassent pas dire que je voudrais le retour des français colonisateurs au Maroc, ce n’est pas mon propos. Je ne parle que de la compétence. Je pense qu’il faut reprendre l’enseignement des sciences en français dans tous les cycles, en bon français, et qu’il faut enseigner l’arabe à des doses importantes et par des maîtres marocains parfaitement formés, afin que les gens maîtrisent bien les deux langues et les sciences. Vous allez me dire : puisque vous voulez enseigner tout, les sciences risquent d’entraîner un déséquilibre. Je crois que c’est vrai, parce qu’on pratique une langue comme le français à la fois comme langue et moyen dans les filières scientifiques, il y a un déséquilibre. Mais je ne peux pas résoudre le problème autrement. Mais si on enseigne bien l’arabe, à des doses importantes, et par des maîtres bien formés, et qu’on fait aimer cette langue, alors les élèves vont commencer eux-mêmes après à enseigner en arabe et faire la recherche en arabe. A côté, il faut enseigner l’éducation religieuse comme matière à part. A un certain niveau, au secondaire, on devrait avoir les moyens de choisir les meilleurs esprits, je dis bien les meilleurs esprits, sur le plan de la compétence. Passé le temps de la corruption et des relations familiales.
Ces meilleurs esprits sont destinés vers quelle filière ?
Les meilleurs esprits qui se destinent aux sciences, et les meilleurs esprits qui se destinent à la bonne littérature, arabe d’abord et française ou autre. Pour qu’ils accèdent aux filières qui les forment pour mener des recherches et être de bons professeurs de sciences et de littérature sans pour autant être complexés par l’arabe. Cela peut durer 20 ou 50 ans, mais il faut le faire, sinon on va payer un grand prix : le retard scientifique, le retard de nos langues officielles, l’arabe et l’amazigh. C’est capital pour la nation. Après cela, il faut se pencher sur une grand langue, en l’occurrence l’anglais. C’est un pas nécessaire et faisable pour parler et écrire en anglais. Quand M. Ayouch dit qu’il faut reconnaître la dialectal comme langue nationale, je ne vois pas ce qu’il veut dire, car elle est déjà langue nationale. C’est une langue qui a un capital de culture, de poésie, d’art, etc. La même chose pour l’amazigh. Mais il faut sortir de l’amalgame, et je ne blâme pas ici les gens qui optent pour l’enseignement privé ou les missions.J’admire les jeunes Marocaines et Marocains qui arrivent à s’en sortir presque tout seuls. C’est cette prouesse qui maintient une micro-structure de grande compétence au Maroc et permet de gérer le secteur moderne.
Libé : Le président de la Fondation Zakoura Education, Noureddine Ayouch, estime, dans un colloque tenu récemment à Casablanca, qu’il faut revoir l’enseignement des langues au Maroc et reconnaître la darija et l’amazigh comme des langues nationales. Cette déclaration a suscité de vives réactions notamment du côté des islamistes et des arabisants. On aimerait bien savoir votre point de vue sur la question?
Abdellah Hammoudi : Je vous remercie pour cette occasion qui me paraît à la fois nécessaire et opportune. Je me suis déjà exprimé sur ce problème linguistique lors d’une récente conférence. A ce sujet, je voudrais apporter les précisions suivantes : Tout d’abord, ces précisions émanent d’un colloque sur lequel je vais revenir après, avec donc les propositions dont vous avez parlé concernant la darija, en particulier, et en général le rapport entre le religieux et le linguistique. Deux faits, deux phénomènes essentiels qui, en fait, posent la problématique de la langue chez nous. D’abord, je tiens à dire que ce colloque organisé par M. Ayouch a posé un problème réel qui est celui de la problématique des langues. C’est déjà quelque chose d’important et il a été posé dans le cadre du diagnostic qui a été fait au plus haut niveau par le Souverain, portant sur la faillite du système d’enseignement chez nous, avec ses conséquences. Dans ce cadre, il me paraît important de souligner que ce colloque a posé un problème réel concernant le statut des langues chez nous dans l’enseignement et celui des langues en général.
Il me paraît également important de souligner que c’est pour la première fois que l’on évoque la problématique du rapport entre la darija parlée par la majorité des Marocains je crois, et l’arabe classique. Tout cela agencé dans la trilogie avec l’amazigh, est posé clairement. C’est un phénomène positif en lui-même. Maintenant, je dois dire qu’il n’y a pas mal de choses sur lesquelles je ne suis pas d’accord et sur lesquelles je voudrais avancer les précisions suivantes. Premièrement, je commence par une remarque générale. J’ai suivi les réactions que les déclarations de M. Ayouch ont suscitées et je trouve qu’elles ont été pour beaucoup notamment de la part des représentants de l’Istiqlal et du PJD. Elles étaient d’une violence extrême, difficile à justifier. Dans la discussion, il faut éviter ces violences, des mots outranciers, des accusations. Eviter le lynchage, car c’est un vrai lynchage. Il faut développer des arguments rationnels pour que la discussion puisse avancer, et ce dans le respect mutuel des opinions et des propositions de chacun.
Je souligne ce point parce que nous sommes en train d’espérer établir la démocratie chez nous. Et l’une des règles de la démocratie, c’est la discussion dans le respect et le développement des arguments rationnels. D’ailleurs, je voudrais savoir les raisons de ces violences. D’autant plus que certains courants politiques comme l’Istiqlal sont responsables en partie du désordre qui règne aujourd’hui dans l’enseignement.
Deuxièmement, je me demande s’il n’y a pas là une manœuvre pour simplement neutraliser d’autres opinions comme celle de M. Ayouch et d’autres, pour des raisons qui ont trait peut-être à la politique. Encore une fois, la discussion va payer le prix de ce genre de situations non clarifiées.
Quelles sont donc au juste vos remarques?
Personnellement, j’ai deux remarques à avancer : la première concerne la modalité de ce colloque. Celui-ci n’a pas été un dialogue réunissant tous les partenaires. Pour moi, peut-être que je suis marginal, ce colloque a été tenu sur un fond de clandestinité pratiquement. Un beau jour, on apprend qu’un colloque a eu lieu, bien que la Fondation Zakoura Education s’occupe un peu de certains aspects de l’enseignement et de l’aide qu’elle lui apporte. Et pourtant, nous n’avons pas entendu parler de ce colloque et des participants potentiels. Tout ce qu’on a lu à travers la presse, c’est la participation de certains très hauts responsables proches du Souverain, et puis on ne sait pas qui était là, on a dit des experts internationaux. Mais qui sont ces experts? Quels sont leurs crédits scientifiques et autres? Tout cela me paraît discutable, et l’on devrait demander des précisions aux organisateurs. Nous devons démocratiquement informer l’opinion publique. Sur le plan technique, il me semble que le problème a été mal posé, bien que l’initiative soit légitime.
Enfin, on a posé le problème, mais l’approche ne me paraît pas justifiée ; au contraire, elle peut manquer de fondement national, scientifique plus convaincant. Il me semble que cette dichotomie entre la darija et l’arabe classique a été accentuée alors que les deux langues sont suffisamment proches. Je ne veux pas me prononcer sur la théorie de la langue : si l’arabe dialectal est une dégradation de l’arabe classique ou non.
J’ai là-dessus des opinions que je peux discuter au cours d’un colloque scientifique sérieux. Je constate simplement que les deux langues sont très proches, et que même dans les premières années de l’école, et selon mon expérience, lorsque je suis entré à l’école en 1952, le maître d’arabe qui était d’ailleurs très bon, a commencé à expliquer la fosha et ses règles avec exemples à l’appui.
J’avais entendu des mots qui sont les mêmes dans ma darija prononcés de différentes manières, avec des déclinaisons différentes. Mais je n’avais pas de difficultés en gamin que j’étais d’aller de l’une à l’autre. Ceci dit, personnellement, je ne pense pas avoir souffert d’une rupture. C’est une question qui est différente d’une autre: pour apprendre les choses en dehors de la langue, le calcul à un très haut niveau au primaire ou avant, est-ce que ce qu’on appelle langue, maternelle pose problème ? Je ne le pense pas. J’estime que le niveau est si élémentaire étant donné que les deux langues se ressemblent par la structure et le vocabulaire, mais pas de rupture. Et d’ailleurs, il n’y a pas de mal à ce que les instituteurs expliquent en darija ; au contraire, cela va donner aux élèves l’habileté de passer d’une langue à l’autre, c’est un exercice plutôt intéressant. L’essentiel, c’est comment les deux langues sont présentées. Si elles le sont par une méthode irrationnelle, d’apprentissage par cœur et par la violence, et si elles sont présentées et enseignées par le recours à la mémoire, ce ne sont pas des méthodes qui vont faire aimer l’une ou l’autre aux petits élèves. L’essentiel c’est comment arriver à enseigner la fosha dans un climat pédagogique qui pousse les élèves à aimer cette langue. C’est un vrai problème. Je ne vois pas de dichotomie entre notre langue et une autre, classique et archaïque qui est la fosha. Au contraire, la langue arabe en elle-même a beaucoup évolué, et il y a quelque chose qui est en train de se créer à savoir l’arabe moderne, qui n’a pas toutes les qualités malheureusement, mais il sera question de bien travailler cette langue.
Que se passe-t-il dans la pratique de la communication entre la darija et la fosha ?
C’est une question qui devrait être discutée entre linguistes, psycholinguistes, anthropologues, sociologues, etc. Lorsque des gens disent : «Notre langue c’est la darija», je me demande ce que c’est que notre langue. D’abord, il y a des Amazighs et autres. Et puis notre darija c’est laquelle? Celle du sud-ouest ou celle des hauts plateaux, de Fès, de Tanger, etc ? Les langues, les linguistes le savent, sont en fait des parlers, y compris la fosha, le français et l’anglais. Ce sont des parlers qui rejoignent idéalement un ensemble de règles abstraites qu’on appelle la langue, dans le grammaire, la morphologie, etc. Il vaut mieux parler de la pratique de la communication plutôt que d’assigner des vérités sur les langues dans l’abstrait, la langue avec «L» majuscule.
A votre avis, quel est le problème du rapport entre le scientifique, le linguistique et le religieux ?
Concernant le problème du rapport entre le scientifique, le linguistique et le religieux, je suis moi-même persuadé qu’on n’a pas suffisamment distingué les trois domaines. L’arabe classique devrait être enseigné pour ce qu’il est : une grande langue, une belle langue. Et devrait être enseigné dans le sens d’un apprentissage de la langue, des cultures, de la littérature, de l’art, de la science. Dans ces manuels d’apprentissage de la langue, on doit éviter autant que possible d’y mettre trop de textes religieux. J’ai examiné les manuels de lecture qui sont aussi des ouvrages avec trop de textes religieux pour au moins 40 ou 50%. Alors là, je ne comprends pas, parce que, par ailleurs, il y a l’éducation religieuse. Dans un colloque national, on doit se mettre d’accord sur le temps qui doit être imparti dans les programmes pour cette matière. Et à ma connaissance, je crois que ce temps est exagéré. Certes, il faut enseigner l’éducation islamique, mais en sollicitant un arbitrage de la Haute Autorité lors d’un colloque national afin de trouver l’équilibre, après que les différentes composantes de la nation se seront prononcées sur ces questions qui engagent les participants, les gens de l’enseignement, les partis politiques, les syndicats, les différentes sensibilités philosophiques et religieuses. Il est indispensable de revoir la quantité d’heures impartie à l’enseignement religieux par rapport au volume horaire consacré aux autres disciplines. Par ailleurs, lorsqu’il s’agit d’enseigner la langue et la littérature, il faudrait éviter autant que possible de revenir aux textes religieux, et mettre les textes littéraires, philosophiques, de pensée d’une façon très ouverte sur le monde. L’important c’est de faire aimer la langue, la littérature pour que nos enfants commencent à éprouver du plaisir de s’exprimer en toute liberté, être capables de dire tout ce qu’ils veulent. L’enseignement de la langue doit être rationalisé, dispensé par des maîtres bien formés, en utilisant de vrais manuels, car ceux qui existent sont des catastrophes, je suis désolé de le dire. Même les dessins et les photos sont horribles, dans ce cas comment doit-on avoir, apprendre un sens du réel, de la beauté ? C’est désastreux.
Comment peut-on donc, selon vous, sortir de cette situation ?
Il faut revoir les méthodes d’enseignement et les manuels, il faut enseigner l’arabe comme langue qui n’est pas exclusive de la darija. Il ne faut pas créer d’hostilité entre les deux langues. La langue arabe, avec le tamazight reste la seule langue vraiment codifiée et susceptible d’être enseignée avec ses normes dans l‘évolution constante. Mais il faut distinguer le linguistique du religieux. Depuis longtemps, on a mélangé les deux domaines. Et il faut qu’il y ait une discussion sérieuse là-dessus. Malgré les critiques que je peux adresser à ce colloque et à M. Ayouch, c’est bien que le problème soit enfin posé et qu’on puisse en parler. Ma proposition ne prétend pas, contrairement à ces experts internationaux et autres, à l’absolu, et d’ailleurs je mets en doute que ces experts dont on parle, aient sérieusement élaboré la question. Quand on parle de traumatisme et de rupture, à ma connaissance, je n’ai jamais vu d’étude psycholinguistique sérieuse, avec des textes, sur des tranches d’âges identifiées pour en savoir plus. Mais parler de rupture et traumatisme, alors là, je ne prends pas cela très au sérieux. Je ne prétends pas être un psycholinguiste ni un sociolinguiste, mais je peux dire que je n’ai pas vu beaucoup de gens de ma génération traumatisés par le fait, quand ils viennent à la première année du primaire, de vivre une quelconque rupture. La vraie rupture, était l’apprentissage du français car il s’agissait d’une langue étrangère qui n’avait de rapport ni avec la fosha ni avec la darija. Et même là, il n’y avait pas de grande rupture. Si on travaille bien les langues avec les enseignants, de façon à les maîtriser, il n’y a pas de traumatisme, il y’a même un plaisir de passer d’une langue à l’autre. Donc ma proposition est la suivante : elle est basée sur ce que j’ai vécu. J’ai maintenant bien 60 ans passés de quelques années, ce qui me permet de comprendre ce qui se passe dans l’enseignement depuis pratiquement mes années de lycée jusqu’à maintenant. Puis j’ai enseigné à l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II pendant 20 ans. Et j’ai aussi donné des cours à l’Ecole d’agriculture de Meknès mais également à la Faculté de droit en anthropologie politique. De plus, ma famille exerce dans l’enseignement primaire et secondaire, et j’ai réalisé beaucoup d’enquêtes, j’ai circulé à travers le Maroc, j’ai parlé avec des instituteurs, des professeurs, en tant que chercheur dans le domaine anthropologique. Je pense donc que si on continue cette espèce de mélange : enseigner des matières en arabe, d’autres en français ; de plus quelques-unes en arabe jusqu’au bac et puis on revient au français pour les sciences à la fac. C’est une vraie salade qui ne peut produire dans les esprits que des mélanges malsains superficiels. Mon propos s’inscrit dans la longue durée. Je pense qu’il faut revenir à un enseignement sérieux et rigoureux des langues, que ce soit l’arabe ou le français. J’estime que pour le tamazight, les Amazighs savent ce qu’ils veulent ; je leur fais confiance. Il faut donc revenir à un enseignement sérieux et contrôlé, avec une pédagogie sérieuse et des maîtres solidement formés. Dans le cas du français, les enseignants, faute de mieux, doivent être formés par des français ou bien par des formateurs marocains francophones triés sur le volet. Et c’est la même chose pour l’arabe ; il faut qu’il soit enseigné par des maîtres bien formés en utilisant une grammaire rationnelle. Qu’ils ne fassent pas dire que je voudrais le retour des français colonisateurs au Maroc, ce n’est pas mon propos. Je ne parle que de la compétence. Je pense qu’il faut reprendre l’enseignement des sciences en français dans tous les cycles, en bon français, et qu’il faut enseigner l’arabe à des doses importantes et par des maîtres marocains parfaitement formés, afin que les gens maîtrisent bien les deux langues et les sciences. Vous allez me dire : puisque vous voulez enseigner tout, les sciences risquent d’entraîner un déséquilibre. Je crois que c’est vrai, parce qu’on pratique une langue comme le français à la fois comme langue et moyen dans les filières scientifiques, il y a un déséquilibre. Mais je ne peux pas résoudre le problème autrement. Mais si on enseigne bien l’arabe, à des doses importantes, et par des maîtres bien formés, et qu’on fait aimer cette langue, alors les élèves vont commencer eux-mêmes après à enseigner en arabe et faire la recherche en arabe. A côté, il faut enseigner l’éducation religieuse comme matière à part. A un certain niveau, au secondaire, on devrait avoir les moyens de choisir les meilleurs esprits, je dis bien les meilleurs esprits, sur le plan de la compétence. Passé le temps de la corruption et des relations familiales.
Ces meilleurs esprits sont destinés vers quelle filière ?
Les meilleurs esprits qui se destinent aux sciences, et les meilleurs esprits qui se destinent à la bonne littérature, arabe d’abord et française ou autre. Pour qu’ils accèdent aux filières qui les forment pour mener des recherches et être de bons professeurs de sciences et de littérature sans pour autant être complexés par l’arabe. Cela peut durer 20 ou 50 ans, mais il faut le faire, sinon on va payer un grand prix : le retard scientifique, le retard de nos langues officielles, l’arabe et l’amazigh. C’est capital pour la nation. Après cela, il faut se pencher sur une grand langue, en l’occurrence l’anglais. C’est un pas nécessaire et faisable pour parler et écrire en anglais. Quand M. Ayouch dit qu’il faut reconnaître la dialectal comme langue nationale, je ne vois pas ce qu’il veut dire, car elle est déjà langue nationale. C’est une langue qui a un capital de culture, de poésie, d’art, etc. La même chose pour l’amazigh. Mais il faut sortir de l’amalgame, et je ne blâme pas ici les gens qui optent pour l’enseignement privé ou les missions.J’admire les jeunes Marocaines et Marocains qui arrivent à s’en sortir presque tout seuls. C’est cette prouesse qui maintient une micro-structure de grande compétence au Maroc et permet de gérer le secteur moderne.