Entretien avec Milica Pesic, directrice exécutive du Media Diversity Institute : “Le journalisme responsable doit être juste, concis, équilibré, inclusif et raisonnable”


Propos recueillis par Abdelali Khallad
Vendredi 14 Octobre 2011

Entretien avec Milica Pesic, directrice exécutive du Media Diversity Institute : “Le journalisme responsable doit être juste, concis, équilibré, inclusif et raisonnable”
Les propriétaires
des médias
doivent-ils être des journalistes ou des politiques? Comment équilibrer entre la liberté de la presse
et ses responsabilités et où est la ligne médiane entre
l’intervention
de l’Etat et
l’autorégulation ? Pourquoi les médias doivent être plus inclusifs et pratiquer quotidiennement l’un des droits humains basiques : la liberté d’expression ?
Des questions
auxquelles
ambitionne
d’apporter des réponses le   Media Diversity Institute dans le cadre de son projet initié au Maroc sur le thème : «Les médias entre diversité et
pluralisme pour
la période
2011-2013». A cet effet, nous avons
rencontré  Milica Pesic, directrice
exécutive du MDI,
en vue de nous
entretenir du contexte, de la vision et des actions
programmées dans
le cadre de ce projet.

Libé : Quel constat dressez-vous du champ médiatique marocain ?

Milica Pesic : Le Media Diversity Institute est présent au Maroc depuis 2008. Au cours des deux premières années, on a pu travailler avec plus de 200 journalistes et décideurs médiatiques (propriétaires de journaux, leaders, éditeurs, associations de journalistes, rédacteurs en chef…) ainsi qu’avec les professeurs de journalisme et la société civile (plus de 300 représentants des organisations de la société civile ont assisté à nos événements au Maroc et en Grande-Bretagne).  Le projet actuel, lancé le 30 septembre à Rabat, est une continuation naturelle du travail du MDI au Maroc. Il a été mis en place suivant les requêtes de nos partenaires et les bénéficiaires du dernier projet. A titre d’exemple: lorsque, en février 2010, quelque 25 acteurs médiatiques marocains sont venus à Londres et ont rencontré leurs confrères du The Guardian, de la BBC, de Channel Four et de The UK Press Complaints Commission, on a conclu la visite par une conversation très productive concernant le rôle du MDI. Nous voulons apporter l’expérience de ce pays où le MDI est très actif et où, les médias et la société civile, se battent pour présenter une diversité politique, sociale et culturelle dans leur contexte national. Comme en Europe, les acteurs médiatiques et les membres de  la société civile au Maroc, sont très conscients du rôle joué par les médias  dans la contribution à la cohésion et l’inclusion sociales. Mais, comme en Europe, ils sont toujours à la recherche de moyens qui vont permettre aux médias de jouer un rôle central dans l’accès de tous les Marocains  aux débats publics autour de sujets très pertinents, sans prêter attention à leur race, ethnie, croyance, sexe, âge, langue, ou statut social.
On s’est accordé sur le fait que les médias dans les sociétés démocratiques ont la responsabilité d’être plus inclusifs qu’aujourd’hui, qu’il s’agisse de l’Europe, de l’Amérique du Nord ou du Maghreb. Nos invités ont insisté sur le besoin, au Maroc, d’une Charte nationale pour la diversité, à l’instar  de la  France, l’Allemagne et la Belgique. Ainsi, cela a été notre point de départ pour ce nouveau projet. Ou devrais-je dire, c’est l’objectif de ce projet vu le temps et l’effort considérables que demande l’adoption d’une telle charte, même au niveau national. Cependant, on est habitué au MDI à ce genre de processus et notre expérience nous assure qu’avec les partenaires adéquats, les bonnes parties prenantes, le travail dur et la disposition d’écoute, cette mission peut être accomplie.
A notre avis, s’il y a un besoin de débat public sur la liberté de la presse au Maroc, alors, et comme dans n’importe quel pays démocratique, ce débat doit être aussi large que possible, mais je crains que la question critique de la diversité et de l’inclusivité dans les médias marocains soit à l'heure actuelle négligée. Comme le dirait mon ami et collègue Safi Naciri,  le rédacteur en chef à la radio de la SNRT : "Si nous ne défendons pas la diversité, nous ne pouvons pas défendre la démocratie au Maroc".
Lors de la mise au point du projet, on avait aussi à l’esprit la Commission parlementaire "Médias et Société", mise en place début 2010, qui a initié un dialogue sur l'avenir des médias au Maroc impliquant des partis politiques, des journalistes, des éditeurs, des représentants de la société civile et le ministère de la Communication. Les membres de la commission ont recommandé une réforme juridique qui définirait les responsabilités du gouvernement d’une part et des professionnels d’autre part.
La dernière opportunité que recèle le contexte marocain est incontestablement celle  des récents changements constitutionnels qui ont reconnu la richesse historique de la société marocaine et sa diversité. Encore faut-il que les  décideurs et les leaders dans les médias et la société civile soient impliqués ; la participation massive à notre première table ronde «  Médias entre diversité et pluralisme » a confirmé que le projet va servir la bonne cause et faciliter un débat public sur le futur des médias marocains.

Quels sont les principaux participants de ce projet?

On espère que les faiseurs d’opinion publique, les propriétaires des médias, les hauts fonctionnaires, le ministère de la Communication et les associations professionnelles des médias vont prendre part à ce projet. Les bénéficiaires finaux du projet sont la société civile, les journalistes, les journalistes citoyens et les consommateurs des produits médiatiques, ainsi que le grand public.
On s’attend à ce que le débat public sur le futur des médias marocains apporte des réponses aux unes des questions suivantes : les propriétaires des médias doivent-ils être des journalistes ou des politiques ? Comment équilibrer entre la liberté de la presse et sa responsabilité et où est la ligne médiane entre l’intervention de l’Etat et l’autorégulation ? Pourquoi les médias doivent être plus inclusifs et pratiquer quotidiennement l’un des droits humains basiques : la liberté d’expression ; la liberté d’expression pour tous les citoyens sans se soucier de  leur appartenance politique, sociale ou culturelle ?
Notre partenaire marocain le Centre marocain d’études et recherches en droits de l’Homme et médias, partage entièrement notre opinion sur l’importance de l’inclusion dans tous les segments de la société dans ce débat sur le futur des médias. C’est, en fait, le Centre qui a proposé les sujets de la série des tables rondes qui vont avoir lieu durant les deux ans à venir. Leur choix des collaborateurs et des experts est quelque chose  que MDI respecte parfaitement, surtout que le Centre a été, depuis sa création, un mobilisateur de la société civile autour des questions des droits de l’Homme et les médias.

Quelle impression vous a laissé le premier contact avec les acteurs politiques, associatifs et médiatiques marocains?

Mon premier contact avec les acteurs politiques était en 2009, lors d’une visite au ministère de la Communication. Même si on a eu droit à des questions du genre : « est-ce que vous constatez de la balkanisation ici ?», on a été les bienvenus pour travailler au Maroc sans ou avec les partenaires locaux. Personnellement, j’ai vu un signe de confiance dans les organisations étrangères payées par des fonds étrangers (notre projet passé a été financé par l’ambassade de  Grande-Bretagne à Rabat), mais  la force démontrée par les autorités a créé un sentiment de peur vu que l’ancien projet avait pour but la promotion du journalisme inclusif et de la société inclusive.
On a été moins chanceux avec les partenaires institutionnels potentiels, la MAP et l’ISIC qui, à l’époque, étaient en train de traverser une phase de changements significative, du fait qu’ils étaient incapables d’entrer en partenariat avec MDI. Mais nous espérons que lors de ce nouveau projet, on aura l’occasion de collaborer avec ces deux institutions vitales dans la vie médiatique au Maroc.
J’étais au Maroc comme touriste plusieurs fois avant le début de notre travail dans votre pays. Mon cousin était un pilote de la Royal Air Maroc ; de ce fait, toute ma famille y était en visite. Je pensais que les gens parlaient français parce qu’ils savaient qu’on est des étrangers qui ne parlent pas l’arabe. Puis, j’ai commencé à étudier l’arabe quand le MDI s’est installé dans la région de MENA, dans le but, au moins, d’être capable de saluer les gens dans leur langue maternelle, mais d’une façon ou d’une autre, au Maroc je suis constamment encline à m’exprimer en français. Et ma plus grande surprise était de constater ce besoin des intellectuels marocains de parler en français. Bien sûr, je suis à jour quant à l’Histoire du Maroc dans ce sens, mais je me demande pourquoi quelques Marocains parlent français avec leurs propres enfants !   

Pouvez-vous nous faire une analyse comparative du paysage médiatique marocain et celui d'un autre pays qui aurait bénéficié d'une action similaire de votre institution?

C’est difficile de faire des parallèles pour plusieurs raisons : le principe du MDI est de chercher à encourager la diversité, individuellement, à sa manière. Cependant, chaque société a son propre contexte politique, historique et culturel. Si j’essaie de comparer, je dirais que les médias marocains souffrent de quelques maux qu’on retrouve dans n’importe quelle société en transition : une propriété mitigée, l’accès à l’information permis seulement à quelques médias, l’absence d’un syndicat de journalistes puissant ou  une coopération étroite entre les différentes organisations qui représentent les journalistes. Ce qui fait l’unicité des médias marocains, pas seulement dans un contexte maghrébin ou arabe, c’est le niveau de la liberté de ton dont ils font preuve des fois. En 2009, on avait montré à un éditeur britannique, une couverture d’un mensuel marocain montrant une jeune femme nue ne portant qu’un hijab qui laisse apparaître des parties de sa poitrine. On lui avait demandé s’il publierait une photo semblable à la une de son journal (le 3e grand journal régional en Angleterre). Il a répondu: « God, no! My readers would get mad”.
En fait, même les tabloïds les plus mauvais en Angleterre, et croyez-moi, ils sont horribles, n’oseront jamais publier une photo d’une femme musulmane demi-nue. Ce que j’essaie de dire, c’est que les médias marocains font, parfois, trop dans la provocation, beaucoup trop même pour leur compte. Le journalisme responsable est d’être juste, concis, équilibré, inclusif et raisonnable. Le sensationnalisme pour le sensationnalisme est irresponsable.

Quelles sont les principales actions prévues par votre projet?

Les actions prévues dans le cadre du projet 2011-2013 sont variées et tentent d’impliquer tous les acteurs médiatiques au Maroc.  Ainsi nous envisageons d’organiser cinq  tables rondes avec la participation de représentant(e)s de la presse marocaine ; un programme de renforcement des compétences composé de cinq sessions de formation, à l’adresse des spécialistes en droits humains, en vue  de mettre l'accent sur l'importance du débat sur la liberté d'expression ; cinq  autres sessions  de formation en journalisme qui permettront de former des journalistes en fonction qui sont non diplômés. Les thèmes des formations porteront sur la liberté d'expression, la question de discrimination dans le journalisme et sur les questions traitées lors du débat national sur les médias, en particulier la question du genre.  Afin de lancer le débat et d'illustrer les questions discutées en début du projet, MDI produira 40 programmes de vidéo kiosque pour la télévision. Ensuite, l’élaboration d'une Charte nationale de la diversité et la mise à jour régulière de la partie arabe du site web de MDI et de ses sections interactives, qui sera dédiée aux activités du projet : forum, blogging pour permettre aux utilisateurs de participer et de contribuer aux débats lancés par le projet.


L’AG constitutive aura lieu le 4 novembre prochain
Les femmes journalistes s’organisent en réseau



Le Maroc est entré dans une nouvelle phase de démocratisation et le secteur de la presse se trouve donc en pleine mutation. Dans cette dynamique, les femmes journalistes sont appelées à jouer un rôle de premier plan, vu leur poids dans la profession et les valeurs d’émancipation sociétale qu’elles portent.
Afin d’aider les femmes journalistes à s’accomplir dans leurs missions professionnelles, un nouveau cadre associatif est né. Il s’agit du Réseau des femmes journalistes, une association à but non lucratif.
Sa mission consiste à promouvoir la situation de la femme journaliste, favoriser la présence des femmes à tous les niveaux de responsabilité dans les médias et de leur représentation dans ces médias.
Le réseau est initié par un panel de femmes journalistes. Il s’agit en l’occurrence de Khadija Alaoui (rédactrice en chef du Magazine Famille Actuelle), Nezha Mghari, (rédactrice en chef de Radio Plus), Fatima Aqqerout (chef de la station régionale de la Radio nationale à Marrakech), Mina Ibnou Cheikh (directrice du «Monde Amazigh», productrice à la chaîne amazigh SNRT), Khadija Smiri (journaliste au Matin), Myriam Ezzakhrajy (journaliste), Nadia Lamlili (rédactrice en chef du mensuel Economie et Entreprises), Maria Moukrim (Présidente de l’Association marocaine de la presse d’investigation) et Amale Daoud (rédactrice en chef BM magazine). Le but de l’Association est de créer un espace d’échanges et de réseautage pour soutenir la femme journaliste et améliorer son statut et ses conditions de travail.
L’assemblée générale constitutive de cette nouvelle ONG aura lieu le 4 novembre à 17H au Club des avocats, sis Boulevard Mohammed V à Casablanca.



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