Entretien avec Me Mhamed Qartit, avocat du commissaire Mohamed Jelmad : “Faire fi de la présomption d’innocence influe sur le cours d’un procès équitable


Propos recueillis par Mustapha Elouizi
Mercredi 25 Mai 2011

Entretien avec Me Mhamed Qartit, avocat du commissaire Mohamed Jelmad : “Faire fi de la présomption d’innocence influe sur le cours d’un procès équitable
Le commissaire Mohamed Jelmad, chef du district de Nador, a été arrêté il y a plus d’une année. Après une année, il sera déféré enfin au tribunal qui pourra se prononcer sur le seul chef d’accusation, à savoir «tentative de corruption».
Son cas pose sur les plans judiciaire et médiatique, le principe de présomption d’innocence.
Sa défense se livre à Libé 

Libé : Alors cela fait presque une année que votre client Mohamed Jelmad est détenu sans être jugé, pourquoi?

Me Qartit : Je ne sais pas trop pourquoi, M. Jelmad a dû purger  la totalité de la période maximale de détention prévue par la loi avant d’être déféré à la Cour, la première audience étant prévue à la fin de ce mois. Ceci dit, cette atteinte au principe de la présomption d’innocence n’est rien face au grand vice de forme dont l’intéressé a été victime et qui est passible de la nullité de toute la procédure, à savoir la violation des règles exceptionnelles de compétence. En effet, en matière de crimes  imputés à un officier de la police judiciaire (dont fait partie M. Jelmad), l’affaire doit être instruite directement et sans enquête préliminaire par un juge d’instruction désigné par ordonnance du premier président de la Cour d’appel saisi, lui, par le procureur général du Roi (art.268 du Code de la procédure pénale). Ce qui nous amène à souligner que l’arrestation de mon client, sa mise en garde à vue, qui ont été décidées en violation de l’article sus-cité, constituent une détention arbitraire pure et simple, acte incriminé par le Code pénal.

Contraindre un mis en cause à passer une année en prison sans jugement, n’est-il pas contraire à la présomption d’innocence?

Effectivement, la présomption d’innocence est purement et simplement bafouée du fait que M. Jelmad est en état de détention préventive alors qu’il présente toutes les garanties de présence et de comparution, et que même dans le cas contraire, on aurait dû se contenter d’une des mesures alternatives instaurées par le Code de procédure pénale actuel dans le cadre du contrôle judiciaire. Cela n’a pas été le cas ; cette mesure de détention a donc l’air d’une condamnation d’avance, ce qui est contraire au principe de la présomption d’innocence.

Dans quel contexte votre client a-t-il été arrêté ?

Le contexte de cette affaire, il faut le rappeler, a trait à la saisie par Mohamed Jelmad d’une quantité record : 7,4 tonnes de cannabis. Il reçoit des félicitations de ses supérieurs pour cela. Entre-temps, assisté par plusieurs éléments, il a tendu un guet-apens au propriétaire de la drogue qui était en cavale ; hélas, le piège a foiré et M. Jelmad s’est retrouvé démis de ses fonctions avant d’être interpellé et incarcéré ; le guet-apens s’étant transformé aux yeux de l’accusation en une tentative de rencontre pour corruption. Comment peut-on admettre qu’après avoir saisi une telle quantité, donné l’information pour publication par l’agence officielle, mon client aurait poussé la témérité jusqu'à négocier des pots-de-vin avec la personne qu'il traquait? Il faut être fou pour oser un acte pareil...

Mais on lui reproche de ne pas avoir avisé à temps ses supérieurs?

C’est complètement faux ! La DGSN dispose de la fiche d’informations envoyée par Mohamed Jelmad portant la date du jour même du guet-apens tendu au suspect. Et là, je reviens au journal «Assabah» qui a voulu  dénigrer mon client en inventant deux jours de retard, et je me demande qui a intérêt à déformer l’information et dans quel objectif.  

Quel est le chef d’accusation qui pèse sur votre client?

Un et un seul : tentative de corruption. Et ce contrairement à ce que ledit quotidien a dernièrement prétendu quand il a parlé aussi de constitution de bande de malfaiteurs, de trafic de drogue, etc.
Mais la presse rapporte ce que contient le dossier d’instruction.
Pas tout à fait. Quand un journaliste parle d’un crime et parle de Med Jelmad qui est tombé dans les filets des réseaux de trafiquants de drogue, tout en tenant des propos malveillants à l’égard de l’intéressé, et en lui collant des crimes graves, cela est aberrant et ne peut être considéré que comme diffamation inadmissible, car ce journaliste doit savoir qu’il a affaire à un citoyen innocent selon la loi, étant donné qu’il jouit de la présomption d’innocence. Il est d’ailleurs innocent puisqu’aucune preuve n’a été présentée. D’autant plus que la désinformation reste la faute professionnelle la plus sordide que puisse commettre un journaliste. Ce qui soulève un débat autour de la déontologie et l’éthique dans l’exercice du métier de journaliste, notamment les articles 4/9 et 11 de la Charte de l’instance nationale indépendante de la déontologie  et la liberté d’expression, relatifs à la diffamation, la présomption d’innocence, la publication d’informations erronées et d’images portant atteinte aux sentiments et à la dignité des gens. 


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