Des interrogations légitimes dans un contexte de crise

Entre déséquilibre institutionnel et absence de volonté réformatrice


Mohamed Assouali
Mercredi 16 Avril 2025

Des interrogations légitimes dans un contexte de crise
Plus de dix ans après l’adoption de la Constitution de 2011, censée refonder le contrat politique marocain, l’expérience démocratique nationale demeure entravée par des blocages profonds.

Plus d’une décennie après la réforme constitutionnelle : Vers une démocratie en panne

Le problème n’est plus juridique: les textes existent, les droits sont consacrés, les mécanismes sont identifiés. Mais l’esprit de la réforme se heurte à une inertie politique préoccupante, marquée par l’érosion des contre-pouvoirs et la concentration croissante des leviers de décision entre les mains du pouvoir exécutif.

Le gouvernement exerce ses fonctions avec une latitude maximale, sans pour autant produire des résultats concrets perceptibles par les citoyens. Quant à l’opposition, bien qu’animée par une vision politique et un engagement national sincère, elle est systématiquement marginalisée des processus décisionnels. Cette mise à l’écart affaiblit l’équilibre institutionnel, pourtant essentiel au bon fonctionnement démocratique.

Une crise systémique aux multiples visages

Les signes d’un malaise profond s’accumulent : absence de redevabilité, régression des libertés publiques, fragilité du modèle économique, perte de confiance dans les institutions et stagnation des grandes réformes structurelles. Le discours populiste, dans ce contexte, prend le pas sur l’analyse politique, et toute voix critique – y compris celle de l’opposition – est taxée d’obstruction ou d’arrière-pensées.

Face à cette dynamique délétère, le défi n’est pas simplement de dénoncer, mais de reconstruire une parole politique responsable, à même de renouer avec l’idéal démocratique. Un discours qui réconcilie responsabilité et transparence, et articule les aspirations populaires à un projet de justice sociale inclusif.

C’est dans cet esprit que s’inscrivent les interventions du Premier secrétaire de l’USFP, Driss Lachguar, à travers différents débats publics (Ach Kayn, Noqta ila Satr, Al Oumk Al Maghribi, Bidoun Loghat Khashab) et lors du dialogue entre les chefs de l’opposition à HEM. Ces positions dont nous parlons dans le présent article s’enracinent dans la tradition intellectuelle du parti et dans les résolutions de ses instances, illustrant une démarche collective structurée.

La Palestine: cause nationale, au-delà des postures

Dans l’architecture du discours de l’USFP, la question palestinienne occupe une place fondatrice. Elle n’est ni une cause conjoncturelle ni un slogan vide, mais une responsabilité historique et morale, assumée avec  constance par le peuple marocain et S.M le Roi, Président du Comité Al Qods.

L’engagement en faveur de la Palestine ne saurait se résumer à une posture rhétorique. Il se mesure à la capacité à défendre les institutions légitimes du peuple palestinien, tout en rejetant les tentatives d’instrumentalisation interne. La souveraineté palestinienne, comme la souveraineté marocaine, exige respect et responsabilité. Le soutien à la résistance ne peut se confondre avec une logique populiste ou opportuniste.

Déséquilibre constitutionnel : vers un retour de l’autoritarisme ?

La Constitution de 2011 avait pour ambition d’instaurer un régime semi-parlementaire équilibré, fondé sur la séparation des pouvoirs et la complémentarité fonctionnelle : un exécutif responsable devant le Parlement, un pouvoir législatif autonome, une justice indépendante et des institutions de gouvernance crédibles.

Or, cet équilibre est aujourd’hui fragilisé. L’exécutif empiète sur les prérogatives du législatif, réduit les sessions de questions mensuelles à des formalités, et bloque les initiatives de l’opposition. Les institutions de gouvernance, quant à elles, sont en proie à des tentatives de neutralisation, et leur rôle de contre-pouvoir est largement affaibli.

Quand les mécanismes de contrôle sont suspendus et que les dispositions constitutionnelles sont vidées de leur sens, la démocratie devient un décor. Les jeunes, confrontés à cette vacuité institutionnelle, tournent le dos à la chose publique, alimentant un désengagement civique inquiétant.

La politique d’importation : au bénéfice de qui?

La décision du gouvernement de subventionner l’importation de bétail et de produits carnés, en dehors de toute stratégie agricole durable, soulève de graves interrogations. Elle a sacrifié l’éleveur local au profit des importateurs et spéculateurs, sans plan de soutien ni vision à long terme.

Ce penchant vers l'importation semble occulter  qu'en 2024, le déficit commercial a dépassé les 27 milliards de dollars et que la facture alimentaire s’ést élevée à 8,3 milliards. Selon le Baromètre national de la pauvreté, 63% des ruraux jugent les politiques agricoles inéquitables. Un chiffre alarmant qui illustre le fossé entre discours gouvernemental et réalité vécue.

Ce choix politique trahit également un renoncement à la souveraineté alimentaire. Le soutien devrait être redirigé vers le Fonds de développement rural, en favorisant la production locale et en imposant aux importations des normes environnementales et sociales strictes. Aider l’agriculture marocaine, c’est renforcer la sécurité nationale.

Motion de censure : outil constitutionnel ou mirage politique ?

La Constitution offre au Parlement un levier de contrôle fort : la motion de censure. Pourtant, son activation reste hypothétique, prisonnière de logiques partisanes et de calculs politiciens. L’initiative de l’USFP, appelant à l’usage de cet outil, est restée sans relais suffisant de la part des autres forces d’opposition.

Il ne s’agit pas tant de faire tomber un gouvernement. Il s’agit surtout de réhabiliter l’acte politique et de restaurer la crédibilité du Parlement. Brandir une menace sans l’exécuter, c’est vider l’action parlementaire de son contenu.

Enjeux électoraux : représentativité à la carte?

Les préparatifs pour les élections de 2026 se déroulent dans un silence institutionnel inquiétant. Aucun débat national, aucune concertation. Tout semble indiquer une volonté de reconduire des équilibres électoraux préétablis, en dehors de tout processus participatif.
Or, le taux de participation de 2021 – à peine 50% – est un signal d’alarme. Plus de six millions de citoyens ont choisi l’abstention. Ignorer cette tendance, c’est courir vers une crise de légitimité.
La réforme du système électoral doit s’appuyer sur les résultats du recensement général de la population, pour garantir une représentativité juste et non taillée sur mesure.

Dérive populiste et désertification institutionnelle

Le débat public se déplace vers les réseaux sociaux, au détriment des espaces institutionnels. Le Parlement est vidé de sa substance, le chef du gouvernement fuit les confrontations, et l’article 100 de la Constitution reste lettre morte.

Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) rappelle que 72% des jeunes ne se sentent pas écoutés par les responsables politiques. Si la politique devient un spectacle en ligne, quelle place reste-t-il pour la délibération démocratique ?

Un bilan de mi-mandat en trompe-l’œil

Le gouvernement a récemment présenté son bilan à mi-mandat. Mais les indicateurs socio-économiques contredisent le discours triomphaliste : chômage à 13,5%, inflation à 4,2%, croissance plafonnant à 3% selon le HCP.

Dans ce contexte de crise sociale aiguë, les revendications s’intensifient, le pouvoir d’achat s’effondre et les perspectives de sortie de crise s’amenuisent. Le bilan gouvernemental, loin de rassurer, apparaît comme une tentative de diversion.
Un bilan crédible commence par une écoute sincère. Et sans courage pour reconnaître les échecs, aucun redressement n’est possible.

Conclusion: gouverner, c’est prévoir… et partager

Le tableau est sombre : recul démocratique, paralysie institutionnelle, dialogue national suspendu, confiance citoyenne ébranlée. Pourtant, les défis à venir sont immenses : élections, réformes systémiques, accueil de la Coupe du monde.
Mais au lieu de construire une réponse collective, le gouvernement agit seul, écarte l’opposition, et navigue sans cap. Les chantiers de la santé, de l’éducation, de l’emploi, avancent en ordre dispersé, sans coordination ni évaluation.

Le vrai enjeu n’est pas de comptabiliser les échecs, mais de savoir si l’Etat est prêt à assumer ses responsabilités. Le gouvernement osera-t-il changer de cap ? L’opposition saura-t-elle incarner une alternative crédible ?
Le temps politique est sans pitié pour les hésitants. Le Maroc mérite mieux qu’un immobilisme habillé de slogans. Il mérite une gouvernance courageuse, démocratique, équitable.

Par Mohamed Assouali
Membre du Comité national d’arbitrage et d’éthique de l’USFP


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