Communiqué anodin d’une majorité dépassée par les évènements

La tension est plus que palpable entre un gouvernement engagé dans des choix néolibéraux et une jeunesse en quête de redistribution et de justice sociale


Hassan Bentaleb
Mercredi 1 Octobre 2025

Communiqué anodin d’une majorité dépassée par les évènements
« Le gouvernement affirme son engagement à appliquer les orientations Royales, notamment via la loi de Finances 2026, pour réduire les inégalités sociales et territoriales ». Il se dit « à l’écoute des revendications de la jeunesse et privilégie le dialogue comme unique voie de réponse, tout en mettant en avant les réformes déjà engagées dans le secteur de la santé. Ouvert aux initiatives parlementaires et sociétales, il réaffirme son programme centré sur la protection sociale, la réforme de la santé et de l’éducation, la promotion de l’investissement et de l’emploi, ainsi que des actions en matière de logement, jeunesse, eau et justice, afin de consolider le contrat social ». C’est ce qui ressort de la réunion de la présidence de la majorité gouvernementale tenue mardi dernier et consacrée à la discussion des nouveautés liées à la rentrée politique ainsi qu’à la conjoncture politique, économique et sociale de notre pays.
 
Pacification
 
Pour Mohamed Chaoui, chercheur en sciences politiques et spécialiste des politiques publiques, « le texte émanant de la majorité gouvernementale doit être lu moins comme une déclaration neutre que comme une réponse politique aux tensions sociales et aux mobilisations populaires qui se sont multipliées dans les rues marocaines ». Selon lui, il s’agit d’un texte qui fonctionne comme un discours de pacification, qui reconnaît les contestations sans leur accorder une véritable traduction politique. « Il illustre la tension entre un gouvernement engagé dans des choix néolibéraux et une jeunesse en quête de redistribution et de justice sociale. Plus qu’un programme de réforme, il s’agit d’un outil de gestion de crise symbolique, destiné à contenir la colère de la rue tout en maintenant le cap des politiques économiques choisies ».
 
Dédouanement
 
A ce propos, notre interlocuteur soutient que « le recours insistant du communiqué aux orientations Royales place la majorité dans une posture de légitimation verticale : elle ancre son action dans la continuité du discours du Trône pour tenter de désamorcer la contestation ». « Cette stratégie révèle une dépendance structurelle vis-à-vis du référentiel monarchique, dans un moment où la rue met en cause directement la capacité du gouvernement à répondre aux besoins sociaux urgents », explique-t-il. Et de préciser : « Par ailleurs, l’accent mis sur le dialogue et la compréhension des revendications traduit une volonté d’apaiser les tensions sans concéder un véritable changement de cap. L’exemple du passage relatif à la réforme du système de santé illustre bien la dialectique entre attentes sociales pressantes et temporalité longue des politiques publiques. Le gouvernement se dédouane en insistant sur les "problèmes structurels hérités" et sur l’impossibilité d’obtenir des résultats immédiats. C’est une manière de repousser la responsabilité des défaillances actuelles sur le passé, tout en affirmant sa volonté réformatrice ».
 
Relégitimation
 
La réaffirmation de l’"Etat social" pose également problème pour le chercheur Mohamed Chaoui qui avance que cette réaffirmation apparaît comme une tentative de reconquête du récit politique. « Face à des choix économiques qui accentuent les inégalités (réformes fiscales, réduction de certaines subventions, privatisations indirectes), le gouvernement cherche à se re-légitimer en invoquant la protection sociale et les grands chantiers Royaux, mais sans détailler des mesures concrètes répondant directement aux protestations populaires ».
 
Dynamiques
 
Face à cette réponse du gouvernement, qu’en est-il de l’avenir du mouvement de protestation des jeunes ? Pour Mohamed Chaoui, le mouvement de contestation des jeunes se situe à la croisée de plusieurs dynamiques. Il y a d’abord la fragilité organisationnelle. « Comme dans d’autres mobilisations au Maroc (20 février 2011, hirak du Rif, mouvements des enseignants), les protestations peuvent pâtir d’un manque de structuration, de leadership unifié et d’ancrage institutionnel, ce qui rend leur pérennité incertaine ».

Ensuite, une réponse institutionnelle limitée. « Si le gouvernement persiste dans une logique de temporisation, les mobilisations risquent de se transformer en cycles récurrents de protestations. Le risque d’un élargissement du mouvement existe, surtout si d’autres catégories sociales (enseignants, professions de santé, fonctionnaires) s’y agrègent. D’autant que les revendications de cette jeunesse touchent aux besoins essentiels (emploi, logement, santé, éducation), ce qui leur confère un écho durable dans la société, surtout dans un contexte où les inégalités se creusent ».
 
Recomposition
 
Notre interlocution pense qu’il y a un autre scénario probable. « Sans changement de cap ou concessions sociales tangibles, le mouvement pourrait ne pas se dissiper totalement mais se recomposer sous différentes formes (mobilisations locales, initiatives en ligne, nouvelles coalitions sociales). Le danger pour le gouvernement n’est pas seulement l’intensité d’une grande marche, mais l’érosion progressive de sa légitimité politique », a-t-il noté. Et de conclure : « Les marges du gouvernement sont essentiellement discursives et symboliques, et non structurelles, car son cap néolibéral est verrouillé.

Quant au mouvement de jeunesse, son avenir dépendra de sa capacité à dépasser la spontanéité pour se structurer, mais les causes profondes (inégalités sociales, chômage, accès aux droits) laissent penser qu’il ne disparaîtra pas, même s’il prend des formes fluctuantes ».

Hassan Bentaleb


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