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Mais une question centrale demeure : l’autonomie dont ces territoires bénéficieraient est-elle uniquement une issue politique, ou bien la clé institutionnelle qui donne cohérence à un demi-siècle d’efforts publics et de mobilisation nationale ? Comment expliquer que les fonds de solidarité et les investissements publics—routes, ports, énergie, services—aient progressivement ouvert un couloir de confiance pour l’investissement privé, au point de transformer les provinces du Sud en plateformes logistiques, énergétiques et maritimes ? Sommes-nous face à une politique de “rattrapage” ou à un modèle de développement territorial pleinement assumé, fondé sur la responsabilité locale et la reddition des comptes ? Et, au-delà des chiffres, comment mesurer l’effet réel de cette trajectoire sur la qualité de vie, l’emploi des jeunes, la cohésion sociale et l’équité entre villes et arrière-pays ? Enfin, si l’autonomie doit couronner ce cheminement, quelles garanties institutionnelles et financières faut-il consolider pour sécuriser le passage du grand investissement public à une croissance durable portée par le privé, tout en fermant définitivement la porte aux blocages diplomatiques et aux jeux de procédure ?
L’autonomie est-elle un simple règlement politique d’un différend, ou bien une clé de transformation territoriale capable de faire des provinces du Sud un levier économique, social, urbain et financier? Comment une trajectoire institutionnelle fondée sur une gouvernance locale élue peut-elle expliquer l’accélération des mutations au Sud ? Et jusqu’où ce modèle peut-il pousser la régionalisation avancée dans tout le Royaume, tout en ouvrant—par la stabilité qu’il consolide—un horizon de relance maghrébine longtemps bloqué par la conflictualité ?
L’autonomie : une architecture institutionnelle qui convertit le politique en développement
L’intérêt stratégique de l’autonomie ne se limite pas à l’argument diplomatique. Il tient à une réalité plus décisive et souvent sous-estimée : la stabilisation des anticipations. Or, dans l’économie réelle, ce sont les anticipations qui font bouger les capitaux avant même que les grues n’entrent en scène. Quand le cadre politique devient prévisible, le coût du risque recule, la confiance revient, et l’investissement privé cesse d’attendre le “signal parfait”. A ce niveau, l’autonomie est moins une formule administrative qu’un dispositif de conversion : conversion du politique en gouvernance, et de la gouvernance en développement.
Cette conversion repose sur une idée simple, mais structurante : rapprocher la décision du territoire, et faire de la responsabilité locale un levier de performance. Dans une approche moderne de l’Etat social, la question n’est pas seulement de dépenser, mais d’atteindre des résultats mesurables : créer de l’emploi durable, améliorer l’accès aux soins, relever la qualité de l’école, réduire les inégalités d’accès aux services, et renforcer la cohésion sociale.
Or, ces objectifs se heurtent souvent à une difficulté centrale : la lenteur des circuits décisionnels lorsque tout remonte au centre. En instituant un cadre d’autonomie, on raccourcit la chaîne de décision, on clarifie les priorités, on accélère la mise en œuvre et, surtout, on installe une logique de reddition des comptes plus directe.
C’est ici que l’autonomie devient, dans la lecture marocaine, une proposition réaliste au sens fort : non pas parce qu’elle est politique, mais parce qu’elle est opérationnelle. Elle produit une architecture qui permet de suivre les politiques publiques et de les corriger. La politique cesse d’être un discours ; elle devient une capacité d’action. Et dans les provinces du Sud, cette capacité d’action est appelée à être un argument en soi : l’argument du visible, du tangible, du mesurable. Autrement dit, on passe progressivement d’un territoire administré à un territoire gouverné.
Il faut insister sur un point : cette logique ne remplace pas l’Etat. Elle le transforme. L’Etat n’est plus uniquement le centre qui pilote ; il devient une plateforme d’unité qui garantit la cohérence nationale, tout en laissant aux territoires l’initiative et l’agilité nécessaires. Cela rejoint l’esprit de la régionalisation avancée : unité nationale, mais diversité de stratégies territoriales ; égalité des droits, mais différenciation des politiques selon les réalités locales. Et c’est précisément dans ce cadre qu’une autonomie bien conçue peut devenir une école de gouvernance : budgets lisibles, indicateurs publics, contractualisation, transparence, et participation citoyenne.
Enfin, l’autonomie, pour être pleinement crédible, doit être pensée comme une doctrine de mise en œuvre. Autrement dit : quelles compétences, quelles ressources, quels mécanismes de contrôle interne, quelles garanties de performance, quelle articulation avec l’Etat central et avec les autres collectivités ? Plus cette doctrine est claire, plus le modèle devient robuste ; plus elle est ambiguë, plus il devient vulnérable aux critiques, aux procès d’intention, et aux blocages politiques. La solidité du projet se mesurera donc à sa capacité à être à la fois démocratique, efficace, et compatible avec la souveraineté.
Le Sud en chiffres : espace vaste, population limitée, dynamique urbaine et économie en progression
Sur le plan démographique et territorial, les régions du Sud incarnent la double réalité d’un grand espace à faible densité : l’impact des investissements devient rapidement visible, mais la généralisation des services coûte plus cher et exige une gouvernance plus performante. Selon des données officielles récentes, les trois régions du Sud totalisent environ 1.119.678 habitants (près de 3% de la population du Royaume) et couvrent environ 45% de la superficie nationale. Entre 2014 et 2024, la croissance démographique moyenne y atteint 1,72% par an contre 0,85% au niveau national. Cette trajectoire s’accompagne d’une accélération urbaine nette : le taux d’urbanisation des régions du Sud atteint 79,8% en 2024, contre 62,8% à l’échelle nationale, signe d’un passage progressif d’un espace périphérique à un espace d’attraction des populations, des activités et des services.
Sur le plan économique, les indicateurs confirment la dynamique. Le PIB des régions du Sud atteint environ 70 milliards de dirhams en 2023, soit 4,7% du PIB national, pour un poids démographique d’environ 3%. Le signal le plus parlant est le PIB par habitant : il s’établit en moyenne à 60.016 dirhams dans les régions du Sud, contre 40.508 dirhams au niveau national (2023). Les données montrent également une croissance moyenne annuelle du PIB nominal dans le Sud sur la période 2014–2023 de 7,7% (contre 4,4% au niveau national) et une croissance réelle de 5,9% (contre 2,4%).
Mais l’argument économique devient plus solide encore si l’on raisonne en chaînes de valeur. Un port n’est pas seulement un port ; c’est une plateforme logistique qui déclenche des services, de la transformation, de la maintenance, de la formation, et une économie d’export. Une route n’est pas seulement une route ; c’est un abaissement structurel des coûts, une intégration des marchés, une attractivité accrue pour les investissements privés.
Les énergies renouvelables ne sont pas seulement des mégawatts ; elles sont une promesse de compétitivité, d’industrialisation et de sécurité énergétique. Autrement dit, la trajectoire du Sud s’explique par un passage progressif d’une économie de flux à une économie de plateformes.
Du côté de l’investissement et des infrastructures, la transformation est portée par une politique territoriale structurée. Des investissements publics majeurs ont été mobilisés dans les provinces du Sud à hauteur d’environ 87,5 milliards de dirhams sur la période 2016–2023. Cette masse d’investissement s’est traduite par des chantiers structurants : l’axe routier Tiznit–Dakhla (environ 1055 km, coût estimé à 9,6 milliards de dirhams) contribue au désenclavement et à la baisse des coûts logistiques. Le Port Dakhla Atlantique, estimé autour de 12,65 milliards de dirhams avec un horizon annoncé vers 2028, consolide l’économie bleue et la vocation atlantique du Maroc vers l’Afrique.
Le capital naturel renforce cette trajectoire via les énergies renouvelables. Le projet Aftissat 1 (201,6 MW) intègre une ligne électrique d’environ 250 km reliant le site à un poste THT de l’ONEE à Laâyoune. Le projet Aftissat 2 (200 MW) est entré en service commercial en août 2023, selon le développeur.
Sur le plan social—cœur de l’3tat social—les données indiquent que la pauvreté multidimensionnelle dans les régions du Sud reste inférieure à la moyenne nationale (globalement entre 2,4% et 5,3% contre 6,8% au niveau national en 2024) et que la vulnérabilité demeure, elle aussi, en-dessous du niveau national (national : 8,1%). Mais un enjeu doit être nommé sans détour : la couverture médicale dans les régions du Sud se situe environ entre 63,8% et 68%, contre 69,7% au niveau national. Le passage à l’Etat social ne se manifeste pas uniquement par la baisse des taux ; il doit se sentir par la qualité d’accès : délais, proximité, continuité de service, et équité territoriale. Dans le même esprit, la pénétration élevée du téléphone portable (environ 89,8% à 94,4% au Sud, contre 85% au niveau national) offre un levier concret pour des services publics régionaux digitalisés et un suivi plus rigoureux des projets.
Effet d’entraînement : régionalisation avancée, horizon maghrébin, et nœud de la négociation
Le Sud joue un rôle de laboratoire institutionnel. Si l’autonomie produit des institutions territoriales robustes, des budgets lisibles, des indicateurs publics et une culture de l’évaluation, elle devient un accélérateur pour l’ensemble du pays : elle pousse la régionalisation avancée à passer du principe à la performance. Le vrai transfert d’expérience n’est pas un transfert de discours ; c’est un transfert de méthodes : contractualisation, transparence, pilotage par objectifs, et participation citoyenne. La réussite du Sud redéfinit ce que les citoyens attendent d’une région : non pas un simple conseil, mais une capacité réelle à produire du développement.
Sur le plan maghrébin, l’enjeu est le coût de la fragmentation : investissements manqués, marchés réduits, logistique plus chère, compétitivité affaiblie. Une stabilisation durable au Sud ne créerait pas automatiquement l’unité maghrébine, mais elle pourrait restaurer la condition première de toute intégration : la confiance minimale nécessaire aux échanges, aux projets transfrontaliers et à la complémentarité économique.
Reste le nœud diplomatique : une solution durable ne se décrète pas ; elle se construit. Les obstacles les plus probables ne seront pas seulement juridiques, mais politiques : divergences de plafonds, bataille des garanties, gestion du calendrier, et tentations de diluer le processus. Dans ce cadre, et selon ce qui a été rapporté au sujet des déclarations du ministre marocain des Affaires étrangères, la dynamique liée à la résolution 2797 est associée à une facilitation américaine dans une séquence renvoyant à l’administration Trump. Une telle implication peut accélérer le tempo, mais elle peut aussi élever les attentes et rendre chaque détail plus sensible. La sortie par le haut exigera donc une méthode : séquencer les étapes, documenter les engagements, installer des mécanismes de confiance compatibles avec la souveraineté, et maintenir la logique centrale—celle d’un compromis réaliste—contre les stratégies d’obstruction. Car, au final, ce dossier se gagnera moins par la rhétorique que par une équation simple : institutions crédibles, développement visible, négociation disciplinée.
Par Mohamed Assouali
Secrétaire provincial de l’Union socialiste des forces populaires (USFP) à Tétouan.










