Changement institutionnel en Afrique: de l’imitation à l’innovation


Par Hicham El Moussaoui
Jeudi 22 Janvier 2009

Changement institutionnel en Afrique: de l’imitation à l’innovation

A un moment où la crise touche tous les pays du monde, l’Afrique est plus que jamais menacée, d’autant plus que la plupart des pays du continent noir sont en voie de développement. En dépit des réformes institutionnelles entreprises dans les années 80 et 90, les pays africains n’arrivent pas à lancer définitivement une croissance et un développement durables. Où réside le point de blocage ? Dans cet article qu’on vous propose, H. EL Moussaoui, spécialiste en analyse économique des institutions, met en évidence les conditions d’un changement institutionnel réussi. Selon l’auteur, le changement institutionnel ne doit pas se limiter à une simple « importation » des institutions occidentales sans aucun effort d’adaptation aux conditions locales.
En dépit des réformes institutionnelles entreprises dans les années 80 et 90, les pays africains marquent toujours un temps de retard par rapport aux autres nations plus développées. Ils n’arrivent pas à réaliser la même performance que les autres pays, notamment ceux du sud-est asiatique (Corée du Sud, Thaïlande, etc.) qui, malgré leur retard, ont réussi finalement à lancer leur développement économique. Si les pays africains ont plus ou moins admis la nécessité de l’économie de marché, leur expérience montre clairement qu’il est insuffisant d’importer des institutions ayant fait leurs preuves ailleurs pour garantir le développement économique. La réussite de la transplantation des institutions de marché dépend non seulement de l’« importation » d’autres institutions complémentaires (état de droit, droits de propriété, etc.), mais également de leur cohérence avec les institutions locales existantes. Le respect de la complémentarité et de la compatibilité entre les institutions « importées » et les institutions locales est incontournable.
Le prix Nobel en économie en 1993, Douglas North, définissait les institutions comme l’ensemble des règles formelles (lois, réglementations, codes, etc.) et informelles (normes sociale, coutume, etc.) qui encadrent les interactions des individus. Les défenseurs d’institutions standards mondiales (consensus de Washington) croient qu’il existe des formes particulières (pour la plupart anglo-américaines) d’institutions que tous les pays doivent adopter s’ils veulent survivre dans un monde qui continue à se globaliser. Le changement institutionnel, pour les pays « à développer » est réduit à l’imitation des institutions de marché sans considération des institutions locales préexistantes (formelles et informelles).
Or, l’imitation institutionnelle suffit rarement à garantir la réussite d’un développement institutionnel, tout comme une imitation technologique suffit rarement à garantir le succès d’un développement technologique. Introduire l’institution officielle ne va pas produire les résultats souhaités s’il manque au pays « importateur » les institutions informelles complémentaires, nécessaires à son fonctionnement. D’où l’importance de la prise en considération de la complémentarité institutionnelle. Par exemple, il sera difficile d’introduire la TVA dans des pays où les gens n’ont pas l’habitude de demander ni d’établir des reçus. Et il sera impossible d’introduire un système de production à flux tendus dans des pays où l’on ne sait pas ce qu’est la ponctualité « industrielle ». Dans le cas algérien, le développement de la bancarisation et du système financier ne peut réussir car les Algériens n’ont pas encore la culture de faire appel au système bancaire : en témoigne le fait que la moitié de la masse monétaire est constituée d’espèces. Dans le cas marocain, l’analphabétisme ne facilite pas le développement de l’utilisation de moyens de paiement modernes comme le chèque et les cartes bancaires.
Comme une technologie importée doit être adaptée aux conditions locales, il faut un certain degré d’adaptation pour qu’une institution importée fonctionne. Le cas de la privatisation du secteur énergétique russe est éclairant à cet égard. En effet, la privatisation implique un changement dans la relation entre employeur et employé, qui devient régulée par la contrainte de rentabilité et de productivité. Or, l’héritage de l’économie planifiée en matière de gestion du rapport salarial impliquait une relation fondée sur le principe du plein emploi, d’où le conflit. Ainsi, en contrepartie du maintien de la force de travail, l’ajustement s’est fait par les bas salaires et les impayés sinon des payements en nature (troc). Cela a empêché bien sûr la mise à niveau des entreprises qui ont gardé des effectifs pléthoriques et ont perpétué des pratiques productives inefficientes. Ainsi, les pays qui entreprennent des réformes sans tenir compte des institutions informelles subissent les effets pervers du conflit entre les institutions « importées » et les institutions locales préexistantes.
En revanche, les pays qui ont fait l’effort d’adapter les institutions «importées» aux institutions locales, ont réussi leur réforme institutionnelle. A ce titre, la Chine a adapté les institutions anglo-saxonnes aux réalités du terrain, c’est-à-dire en respectant la cohérence entre les institutions du « libre marché» et les institutions locales préexistantes. Ainsi, la création de TVEs (Township and Village Entreprises) a accordé des droits de propriété aux communautés locales (à mi-chemin entre propriété privée et publique) et a été le moteur de la croissance chinoise jusqu’au milieu des années 90. Le fédéralisme à la chinoise a laissé aux régions une autonomie importante et a créé de la compétition et donc une émulation entre régions. Enfin, l’introduction de financements bancaires anonymes a permis le développement du secteur financier, en restreignant la capacité de l’Etat à exproprier des dépositaires importants.
La leçon pour l’Afrique est que les expériences de développement sont toutes très différentes et dépendent des conditions des pays. Il n’existe donc pas de solution « prêt-à-porter » applicable à tous les pays, permettant d’accéder au développement. Un équilibre est donc nécessaire entre les institutions importées indispensables au fonctionnement du marché, et les institutions locales représentant les spécificités des pays, ce qui implique de la part des réformateurs africains un esprit d’innovation afin de trouver le « montage » idéal.

Hicham El Moussaoui est docteur en science économique, responsable des relations avec les médias pour le projet UnMondeLibre.org
Publié en collaboration avec www.unmondelibre.org




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