Carlos Justiniani : « Au Maroc, beaucoup de personnes découvrent leur infection à l’hépatite à un stade avancé»


Alain Bouithy
Mardi 5 Août 2025

Carlos Justiniani : « Au Maroc, beaucoup de personnes découvrent leur infection à l’hépatite à un stade avancé»
« Le Maroc a pris des mesures importantes pour lutter contre les hépatites virales», affirme Carlos Justiniani, Country Manager Roche Diagnostics Morocco & North West Africa Network Lead. Il estime toutefois essentiel de  briser la stigmatisation qui entoure cette infection et qui freine le recours au dépistage. Interview.

Le Maroc a commémoré la Journée mondiale contre l’hépatite lundi 28 juillet. Pourquoi cette journée est-elle importante et comment la maladie a-t-elle évolué dans le pays ?

Carlos Justiniani : La Journée mondiale contre l’hépatite nous rappelle que l’hépatite reste l’une des maladies infectieuses les plus meurtrières au monde, juste après la tuberculose. Au Maroc, cette réalité est tangible : il y a seulement sept ans, nous avons connu deux épidémies d’hépatite simultanées. Ces événements ont montré à quelle vitesse la maladie peut se propager et perturber la vie quotidienne.

La bonne nouvelle est que l’hépatite est évitable et traitable si elle est détectée tôt. En parlant de l’hépatite et en encourageant le dépistage, nous pouvons éviter des décès inutiles, protéger nos familles et réduire le lourd fardeau financier pesant sur notre système de santé.

Le Maroc a pris des mesures importantes pour lutter contre les hépatites virales, en particulier l'hépatite C, en mettant en place un plan stratégique ambitieux et en garantissant l'accès gratuit aux traitements.

Quels sont les types d’hépatite et les modes de transmission les plus courants au Maroc ?
L’hépatite est une inflammation du foie causée par cinq virus : A, B, C, D et E, chacun ayant des modes de transmission différents :
A et E : souvent liés à des aliments ou de l’eau contaminés.
B, C et D : transmis par le sang et les fluides corporels, via du matériel médical non stérilisé, le partage de rasoirs, les relations sexuelles ou la transmission de la mère à l’enfant à la naissance.

Au Maroc, les hépatites B et C sont les plus préoccupantes, car elles peuvent entraîner des infections chroniques, une cirrhose, un cancer du foie et des décès prématurés. Dans le monde, 354 millions de personnes vivent avec une hépatite chronique B ou C, et le Maroc contribue à ce fardeau, souvent à son insu, en raison du faible recours au dépistage.

Les hépatites B et C sont-elles encore considérées comme des «tueuses silencieuses» ? Peut-on en guérir ?

Oui, on les appelle souvent des « tueuses silencieuses », car les personnes infectées peuvent vivre des années, voire des décennies, sans aucun symptôme. Souvent, lorsque des symptômes apparaissent, il est déjà trop tard et des dommages graves au foie sont survenus.

L’hépatite C peut aujourd’hui être guérie grâce à des traitements antiviraux à action directe, tandis que l’hépatite B peut être efficacement prise en charge afin d’éviter les complications. Au Maroc, beaucoup de personnes découvrent leur infection à un stade avancé, ce qui rend le dépistage précoce indispensable.

Pourquoi de nombreux Marocains hésitent-ils encore à se faire dépister ? Les tabous ou idées fausses jouent-ils un rôle ?

Une étude chez Roche a démontré que 60 % des Marocains interrogés sont peu enclins à se faire dépister. Les idées fausses en sont une raison majeure : beaucoup pensent que l’hépatite ne touche que les consommateurs de drogues ou les personnes aux comportements « à risque », ce qui est faux. D’autres craignent la stigmatisation sociale ou le jugement de leur entourage.

Cette stigmatisation peut avoir des conséquences graves. Par exemple, certaines personnes évitent de se faire tester, même si elles soupçonnent une exposition passée, par peur de la discrimination. Nous devons banaliser le dépistage afin qu’il devienne aussi naturel que de vérifier sa tension artérielle.

Comment prévenir l’hépatite ?

Le moyen le plus efficace de prévenir l’hépatite est de connaître son statut grâce au dépistage. La détection précoce permet de recevoir un traitement à temps, d’éviter de graves complications hépatiques et de ne pas transmettre involontairement le virus à d’autres.

Il est tout aussi important de respecter des pratiques médicales sûres, comme l’utilisation de matériel médical stérile et l’interdiction du partage d’objets personnels comme les rasoirs, afin de réduire significativement les risques de transmission.
Briser la stigmatisation liée à l’hépatite est aussi essentiel : l’éducation dans les écoles, les lieux de travail et les communautés peut inciter au dépistage et aux soins sans peur ni hésitation.

Enfin, la vaccination contre l’hépatite B reste une mesure préventive importante à long terme, offrant une protection sûre et efficace, notamment pour les nouveau-nés et les groupes à risque.

Quels sont les principaux obstacles au diagnostic et au traitement, en particulier dans les zones rurales ?

Le Maroc dispose d’un Plan stratégique national pour l’élimination de l’hépatite, mais certains défis persistent :
Le dépistage n’est pas encore totalement intégré dans l’ensemble des services de soins primaires.
L’accès aux diagnostics reste limité dans les zones rurales et reculées.

Le coût des traitements à un stade avancé est élevé, atteignant plusieurs dizaines de milliers de dirhams par patient et par an, alors qu’un test coûte seulement 100 à 150 MAD.
Si seulement 30% des cas restent non diagnostiqués et que 10% d’entre eux développent des complications graves, la pression sur le budget de la santé au Maroc pourrait être considérable.

Que faut-il faire pour améliorer la situation? Les campagnes de dépistage à grande échelle et son intégration dans les soins primaires sont-elles pertinentes?

Absolument. L’intégration du dépistage des hépatites virales  dans les services de santé de routine et le lancement de campagnes nationales permettraient de détecter les cas plus tôt et de sauver des vies.
Ainsi  en complément des plateformes décentralisées, l'équipement des centres de référence avec des plateformes évolutives, automatisées et intégrées permettrait une gestion optimisée des flux générés par les campagnes nationales.

La campagne égyptienne «100 millions de vies saines » a dépisté plus de 60 millions de personnes et traité 4 millions, obtenant le statut Or de l’OMS pour l’élimination de l’hépatite C. Le Maroc peut suivre ce modèle, en combinant volonté politique, partenariats public-privé et mobilisation communautaire.

Propos recueillis par Alain Bouithy


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