
A la croisée de la science et de l’innovation, la chirurgie robotique redessine les contours de la médecine moderne. Au Maroc, ce tournant historique porte un nom : celui du Dr Adil Ouzzane. Urologue, chirurgien oncologue et pionnier de la robotique chirurgicale, il a inscrit le pays sur la carte des grandes nations médicales en réalisant la première téléchirurgie du continent africain. Derrière la prouesse technique se dessine une ambition plus vaste : rapprocher l’excellence des patients, abolir les distances et préparer une génération de praticiens à une révolution irréversible. Dans cet entretien, Dr Ouzzane revient sur son parcours, les défis de la discipline et la vision d’avenir qui anime la Société marocaine de chirurgie robotique.
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Libé : Vous êtes considéré comme un pionnier de la chirurgie robotique au Maroc. Pouvez-vous retracer brièvement votre parcours et ce qui vous a conduit vers cette spécialité ?
Dr Ouzzane : Je suis urologue et chirurgien oncologue de formation. Mon parcours académique, mené en France et à l’international, m’a très tôt, dès 2005, confronté à l’essor de la chirurgie mini-invasive puis robot-assistée. Ce qui m’a immédiatement séduit dans cette approche, c’est la rencontre entre deux univers : la rigueur technologique et l’expertise humaine.
Lorsque je suis revenu au Maroc en 2018, mon ambition était claire : introduire cette avancée non comme un privilège réservé à une élite, mais comme un outil destiné à améliorer, pour tous, l’accès à des soins de qualité.
Quel a été le moment fondateur qui vous a convaincu que la robotique allait transformer la pratique chirurgicale ?
Ce fut lors de ma première prostatectomie robot-assistée. La différence était saisissante : une vision en 3D immersive, une précision impossible à obtenir à main nue, et, pour le patient, une récupération accélérée avec une meilleure préservation des fonctions urinaires et sexuelles. A cet instant précis, j’ai compris que la robotique allait changer durablement notre métier.
Quand et comment la chirurgie robotique a-t-elle été introduite au Maroc ?
La chirurgie robotique a fait son entrée au Maroc en 2014, grâce à l’engagement de plusieurs praticiens — dont je fais partie — et à la volonté de quelques institutions et groupes privés pionniers, notamment le Groupe Akdital. Aujourd’hui, plusieurs centres hospitaliers sont équipés de plateformes robotiques et commencent à bâtir des équipes spécialisées.
Quels types d’interventions sont actuellement réalisés avec l’assistance robotique dans notre pays ?
Les premières indications concernent l’urologie — prostatectomie, néphrectomie, cystectomie, pyéloplastie, chirurgie du prolapsus, etc. Mais le champ s’élargit rapidement : chirurgie générale (digestive et colorectale), chirurgie thoracique et même pédiatrique, gynécologie, ORL. Chaque année, de nouvelles disciplines s’emparent de la robotique.
Vous avez réalisé, il y a quelques mois, une téléchirurgie entre Casablanca et Laâyoune. Pouvez-vous nous raconter cette expérience inédite et ses implications pour la médecine au Maroc ?
Le 2 mai 2025 restera une date historique. Depuis une console à Casablanca, j’ai opéré un patient atteint d’un cancer de la prostate hospitalisé à Laâyoune, à plus de 1.100 kilomètres de distance. Cette téléchirurgie, la première en Afrique, représente la plus longue distance couverte au monde entre deux villes d’un même pays, en dehors de la Chine. Elle prouve que la technologie peut abolir les distances et rapprocher les soins des populations éloignées. Elle ouvre la voie à une médecine plus équitable, connectée et décentralisée.
Et depuis, combien d’opérations de ce genre ont été effectuées au Maroc ? Avec quels résultats concrets pour les patients ?
Une seconde intervention a été menée avec succès entre Tanger et Casablanca par un confrère. Ces opérations ont pu se dérouler quasi en temps réel, avec une latence inférieure à 20 millisecondes, grâce à la qualité de nos infrastructures télécoms et au travail du groupe T2S, distributeur des robots chirurgicaux Toumai®.
Pour les patients, les résultats sont tangibles : récupération rapide, moins de complications et un meilleur confort post-opératoire. Ce n’est plus une expérimentation, mais une réalité clinique.
Quels sont, selon vous, les principaux avantages de la chirurgie robotique par rapport à la chirurgie traditionnelle ?
Pour les patients : moins de douleur, moins de saignements, une récupération plus rapide, des cicatrices réduites, un retour précoce à la vie normale et des fonctions préservées.
Pour les chirurgiens : une vision 3D immersive, l’élimination du tremblement naturel de la main, une précision millimétrique et une ergonomie de travail incomparable.
Comme toute technologie, la robotique a ses limites : son coût, l’exigence d’une formation pointue, et une dépendance à un système sophistiqué. Mais lorsqu’elle est utilisée par une équipe bien formée, les risques sont minimes. Et il faut toujours rappeler une évidence : le robot n’opère jamais seul, il reste totalement sous le contrôle du chirurgien.
Le coût des équipements et des interventions reste une question sensible. Comment voyez-vous la démocratisation de cette technologie au Maroc ?
C’est un défi majeur. Le coût brut reste élevé, mais il doit être mis en perspective avec un gain médico-économique considérable : séjours hospitaliers plus courts, diminution des frais liés à la gestion des complications d’une chirurgie classique, moins de réinterventions, réduction des arrêts de travail, moindre prise en charge des séquelles fonctionnelles.
C’est un investissement. Plus nous multiplierons les plateformes et plus elles seront utilisées, plus le coût par patient baissera. Il faudra également promouvoir des partenariats public-privé et inciter l’industrie à proposer des modèles économiques adaptés aux pays émergents. Des discussions sont déjà engagées avec les organismes d’assurance pour envisager un remboursement approprié.
Quels sont, selon vous, les grands défis à relever pour généraliser l’usage de ces technologies dans le pays ?
Trois défis majeurs se posent aujourd’hui. Le premier consiste à former un nombre suffisant de chirurgiens et d’ingénieurs biomédicaux capables de maîtriser cette technologie. Le second réside dans la nécessité de financer et de démocratiser l’accès aux plateformes robotiques. Enfin, le troisième défi concerne le développement des infrastructures numériques, indispensables pour garantir une téléchirurgie sûre et fiable.
La téléchirurgie ouvre la voie à une médecine décentralisée. Est-ce une réponse au manque de spécialistes dans certaines régions éloignées ?
Absolument, c’est même l’une de ses finalités premières. Elle permet à un expert basé à Casablanca ou Rabat d’opérer un patient à Oujda, Laâyoune ou Agadir, sans déplacement. C’est une réponse concrète à l’inégale répartition des compétences médicales.
A terme, elle ouvrira aussi la voie au téléproctoring : un chirurgien confirmé pourra accompagner à distance un confrère débutant, facilitant ainsi l’adoption de la robotique dans toutes les régions du Royaume.
Vous êtes président de la Société marocaine de chirurgie robotique (MSRS). Quel rôle joue cette société dans la diffusion de la robotique médicale ?
La MSRS s’est fixée plusieurs missions essentielles : participer à la formation de la nouvelle génération de chirurgiens, créer un réseau panafricain et international d’expertise, promouvoir la recherche et l’innovation, mais aussi défendre une vision claire selon laquelle la robotique ne doit pas être perçue comme un luxe, mais comme un outil accessible, entièrement tourné vers le service du patient.
Le congrès annuel de la MSRS réunit des experts nationaux et internationaux. Quels sont les grands thèmes de cette édition ?
Cette année, nous mettons particulièrement l’accent sur la téléchirurgie et ses perspectives, mais aussi sur les avancées enregistrées dans différentes disciplines telles que l’urologie, la gynécologie, la chirurgie digestive, thoracique, ORL, orthopédique ou encore neurochirurgicale. Nous consacrons également une place importante à la formation des jeunes et à l’avenir des fellowships en robotique, tout en ouvrant un dialogue constructif avec l’industrie afin d’accélérer l’innovation.
Parce qu’il réunit tous les acteurs : praticiens, personnels soignants, ingénieurs, industriels, décideurs. C’est un lieu de réflexion et d’action où se dessine la feuille de route nationale et, au-delà, continentale, pour la chirurgie robotique.
Quel message souhaitez-vous adresser aux patients marocains qui entendent parler de la chirurgie robotique, parfois avec fascination, parfois avec crainte ?
Je voudrais les rassurer : la robotique n’est pas une machine autonome. Elle est un prolongement du geste humain, toujours entre les mains du chirurgien qui en garde le contrôle absolu. C’est une technologie sûre, qui augmente la précision et la sécurité de l’acte chirurgical, et qui demeure au service exclusif du patient.
Et quel message adresseriez-vous aux jeunes médecins qui hésitent encore à s’engager dans cette voie ?
Je leur dirais que la chirurgie robotique est l’avenir. C’est un domaine en pleine expansion, qui leur offrira la possibilité de pratiquer une médecine plus précise, plus sûre et plus moderne. S’engager dans cette voie, c’est être acteur d’une transformation historique de notre discipline.
Propos recueillis par Mehdi Ouassat
Dr Ouzzane : Je suis urologue et chirurgien oncologue de formation. Mon parcours académique, mené en France et à l’international, m’a très tôt, dès 2005, confronté à l’essor de la chirurgie mini-invasive puis robot-assistée. Ce qui m’a immédiatement séduit dans cette approche, c’est la rencontre entre deux univers : la rigueur technologique et l’expertise humaine.
Lorsque je suis revenu au Maroc en 2018, mon ambition était claire : introduire cette avancée non comme un privilège réservé à une élite, mais comme un outil destiné à améliorer, pour tous, l’accès à des soins de qualité.
Quel a été le moment fondateur qui vous a convaincu que la robotique allait transformer la pratique chirurgicale ?
Ce fut lors de ma première prostatectomie robot-assistée. La différence était saisissante : une vision en 3D immersive, une précision impossible à obtenir à main nue, et, pour le patient, une récupération accélérée avec une meilleure préservation des fonctions urinaires et sexuelles. A cet instant précis, j’ai compris que la robotique allait changer durablement notre métier.
Quand et comment la chirurgie robotique a-t-elle été introduite au Maroc ?
La chirurgie robotique a fait son entrée au Maroc en 2014, grâce à l’engagement de plusieurs praticiens — dont je fais partie — et à la volonté de quelques institutions et groupes privés pionniers, notamment le Groupe Akdital. Aujourd’hui, plusieurs centres hospitaliers sont équipés de plateformes robotiques et commencent à bâtir des équipes spécialisées.
Quels types d’interventions sont actuellement réalisés avec l’assistance robotique dans notre pays ?
Les premières indications concernent l’urologie — prostatectomie, néphrectomie, cystectomie, pyéloplastie, chirurgie du prolapsus, etc. Mais le champ s’élargit rapidement : chirurgie générale (digestive et colorectale), chirurgie thoracique et même pédiatrique, gynécologie, ORL. Chaque année, de nouvelles disciplines s’emparent de la robotique.
Vous avez réalisé, il y a quelques mois, une téléchirurgie entre Casablanca et Laâyoune. Pouvez-vous nous raconter cette expérience inédite et ses implications pour la médecine au Maroc ?
Le 2 mai 2025 restera une date historique. Depuis une console à Casablanca, j’ai opéré un patient atteint d’un cancer de la prostate hospitalisé à Laâyoune, à plus de 1.100 kilomètres de distance. Cette téléchirurgie, la première en Afrique, représente la plus longue distance couverte au monde entre deux villes d’un même pays, en dehors de la Chine. Elle prouve que la technologie peut abolir les distances et rapprocher les soins des populations éloignées. Elle ouvre la voie à une médecine plus équitable, connectée et décentralisée.
Et depuis, combien d’opérations de ce genre ont été effectuées au Maroc ? Avec quels résultats concrets pour les patients ?
Une seconde intervention a été menée avec succès entre Tanger et Casablanca par un confrère. Ces opérations ont pu se dérouler quasi en temps réel, avec une latence inférieure à 20 millisecondes, grâce à la qualité de nos infrastructures télécoms et au travail du groupe T2S, distributeur des robots chirurgicaux Toumai®.
Pour les patients, les résultats sont tangibles : récupération rapide, moins de complications et un meilleur confort post-opératoire. Ce n’est plus une expérimentation, mais une réalité clinique.
Quels sont, selon vous, les principaux avantages de la chirurgie robotique par rapport à la chirurgie traditionnelle ?
Pour les patients : moins de douleur, moins de saignements, une récupération plus rapide, des cicatrices réduites, un retour précoce à la vie normale et des fonctions préservées.
Pour les chirurgiens : une vision 3D immersive, l’élimination du tremblement naturel de la main, une précision millimétrique et une ergonomie de travail incomparable.
Pour les patients, les résultats sont tangibles: récupération rapide, moins de complications et un meilleur confort post-opératoire. Ce n’est plus une expérimentation, mais une réalité clinique.Y a-t-il des limites ou des risques particuliers liés à l’utilisation du robot chirurgical ?
Comme toute technologie, la robotique a ses limites : son coût, l’exigence d’une formation pointue, et une dépendance à un système sophistiqué. Mais lorsqu’elle est utilisée par une équipe bien formée, les risques sont minimes. Et il faut toujours rappeler une évidence : le robot n’opère jamais seul, il reste totalement sous le contrôle du chirurgien.
Le coût des équipements et des interventions reste une question sensible. Comment voyez-vous la démocratisation de cette technologie au Maroc ?
C’est un défi majeur. Le coût brut reste élevé, mais il doit être mis en perspective avec un gain médico-économique considérable : séjours hospitaliers plus courts, diminution des frais liés à la gestion des complications d’une chirurgie classique, moins de réinterventions, réduction des arrêts de travail, moindre prise en charge des séquelles fonctionnelles.
C’est un investissement. Plus nous multiplierons les plateformes et plus elles seront utilisées, plus le coût par patient baissera. Il faudra également promouvoir des partenariats public-privé et inciter l’industrie à proposer des modèles économiques adaptés aux pays émergents. Des discussions sont déjà engagées avec les organismes d’assurance pour envisager un remboursement approprié.
Quels sont, selon vous, les grands défis à relever pour généraliser l’usage de ces technologies dans le pays ?
Trois défis majeurs se posent aujourd’hui. Le premier consiste à former un nombre suffisant de chirurgiens et d’ingénieurs biomédicaux capables de maîtriser cette technologie. Le second réside dans la nécessité de financer et de démocratiser l’accès aux plateformes robotiques. Enfin, le troisième défi concerne le développement des infrastructures numériques, indispensables pour garantir une téléchirurgie sûre et fiable.
La téléchirurgie ouvre la voie à une médecine décentralisée. Est-ce une réponse au manque de spécialistes dans certaines régions éloignées ?
Absolument, c’est même l’une de ses finalités premières. Elle permet à un expert basé à Casablanca ou Rabat d’opérer un patient à Oujda, Laâyoune ou Agadir, sans déplacement. C’est une réponse concrète à l’inégale répartition des compétences médicales.
A terme, elle ouvrira aussi la voie au téléproctoring : un chirurgien confirmé pourra accompagner à distance un confrère débutant, facilitant ainsi l’adoption de la robotique dans toutes les régions du Royaume.
Vous êtes président de la Société marocaine de chirurgie robotique (MSRS). Quel rôle joue cette société dans la diffusion de la robotique médicale ?
La MSRS s’est fixée plusieurs missions essentielles : participer à la formation de la nouvelle génération de chirurgiens, créer un réseau panafricain et international d’expertise, promouvoir la recherche et l’innovation, mais aussi défendre une vision claire selon laquelle la robotique ne doit pas être perçue comme un luxe, mais comme un outil accessible, entièrement tourné vers le service du patient.
Le congrès annuel de la MSRS réunit des experts nationaux et internationaux. Quels sont les grands thèmes de cette édition ?
Cette année, nous mettons particulièrement l’accent sur la téléchirurgie et ses perspectives, mais aussi sur les avancées enregistrées dans différentes disciplines telles que l’urologie, la gynécologie, la chirurgie digestive, thoracique, ORL, orthopédique ou encore neurochirurgicale. Nous consacrons également une place importante à la formation des jeunes et à l’avenir des fellowships en robotique, tout en ouvrant un dialogue constructif avec l’industrie afin d’accélérer l’innovation.
La robotique n’est pas une machine autonome. Elle est un prolongement du geste humain, toujours entre les mains du chirurgien qui en garde le contrôle absolu.En quoi ce congrès peut-il contribuer à accélérer l’adoption de la chirurgie robotique au Maroc ?
Parce qu’il réunit tous les acteurs : praticiens, personnels soignants, ingénieurs, industriels, décideurs. C’est un lieu de réflexion et d’action où se dessine la feuille de route nationale et, au-delà, continentale, pour la chirurgie robotique.
Quel message souhaitez-vous adresser aux patients marocains qui entendent parler de la chirurgie robotique, parfois avec fascination, parfois avec crainte ?
Je voudrais les rassurer : la robotique n’est pas une machine autonome. Elle est un prolongement du geste humain, toujours entre les mains du chirurgien qui en garde le contrôle absolu. C’est une technologie sûre, qui augmente la précision et la sécurité de l’acte chirurgical, et qui demeure au service exclusif du patient.
Et quel message adresseriez-vous aux jeunes médecins qui hésitent encore à s’engager dans cette voie ?
Je leur dirais que la chirurgie robotique est l’avenir. C’est un domaine en pleine expansion, qui leur offrira la possibilité de pratiquer une médecine plus précise, plus sûre et plus moderne. S’engager dans cette voie, c’est être acteur d’une transformation historique de notre discipline.
Propos recueillis par Mehdi Ouassat
