Bois-énergie et pauvreté : quel impact sur les arganeraies ?


Par Dr. Hassan FAOUZI*
Mercredi 18 Novembre 2009

Bois-énergie et pauvreté : quel impact sur les arganeraies ?
Hissée au deuxième rang des problématiques environnementales les plus préoccupantes pour le XXIe siècle, juste après les changements climatiques et avant les processus de désertification, la déforestation se pose avec gravité dans les pays en développement (Pierre Ozer, 2004).
Si la protection du patrimoine forestier constitue, de plus en plus, une préoccupation majeure, l’approche classique qui visait la préservation de la forêt sans se soucier des contraintes socio-économiques de la population, a montré ses limites. La situation actuelle des arganeraies est un exemple typique qui démontre la nécessité incontournable de la prise en compte des facteurs humains et sociaux pour remédier au processus continuel de la dégradation de la forêt (Buttoud G. 1990).
La forêt marocaine n’est plus ce qu’elle était. Elle couvrait 30% du territoire national dans l’Antiquité. Elle ne représente aujourd’hui que 8% de cette superficie. L’utilisation d’espèces ligneuses pour le bois de feu contribue de façon alarmante à la destruction de la forêt (Boudy P. 1952).
L’aire naturelle de l’arganier a souffert fortement de l’action de l’homme. L’intensification de la production du charbon, réputé de qualité, remonte au début du siècle dernier. Pour l’approvisionnement des grandes agglomérations, Casablanca, Marrakech, Safi, la production avait atteint 70 000 quintaux. Ces exploitations anarchiques eurent pour conséquence la disparition d’environ 200 000 hectares (Monnier, 1965).
Le bois de feu et le charbon de bois assurent plus de 70 % de la demande énergétique dans le monde rural. L’essentiel des besoins en bois de chauffe des populations est assuré par les différentes formations forestières. Chez les Haha et les Aït Bâamrane, la quasi-totalité du bois-énergie provient des arganeraies et des formations forestières.
Selon le rapport du ministère de l’Agriculture concernant la consommation du bois et du charbon de bois pour les besoins énergétiques en région d’arganeraie, la moyenne par ménage est de 16 kg de bois par jour.
L’observation et le diagnostic des habitudes et des coutumes des riverains des arganeraies, jettent toute la lumière sur l’envergure du gaspillage du bois de feu, et par la suite sur les défrichements des forêts notamment celles situées à proximités des villages.
La consommation domestique de bois contribue en grande partie à la détérioration des arganeraies. Du point de vue économique, la forêt résout le problème de l’énergie dans ces régions, mais au niveau écologique, on est confronté à une situation très dangereuse.
Cette consommation de bois entraîne des conséquences inquiétantes sur les paysages. L’altération de ces derniers est continue : nombreux sont les habitants gardant le souvenir des lieux boisés qui sont aujourd'hui totalement dénudés. Partout on rencontre des traces de carbonisation, ce qui constitue une caractéristique des paysages des arganeraies (H. Faouzi, 2003).
L’accroissement de la consommation énergétique sous l’effet de facteurs démographiques et économiques et l’évolution rapide de la situation énergétique mondiale engendrent des périls pour les forêts. On estime que la production d’énergie des forêts augmentera. Parallèlement, l’exploitation non durable et l’utilisation de combustibles ligneux pourraient croître.
L’escalade des prix du brut s’est traduite par un intérêt renouvelé pour la bioénergie, qui pourrait nuire aux forêts. La consommation du bois gagne en importance à cause la poussée démographique conjuguée à l’intense pauvreté de la population. Les ménages à bas revenu consomment plus de bois de feu que ceux à revenu élevé. Il y a donc un véritable effort à faire auprès des ménages à bas revenu pour une plus grande promotion des sources d'energies alternatives.
L’accroissement de la demande de bois de chauffage et de charbon de bois, entraîne une dégradation lente et invisible de l’écosystème, jusqu’à ce que le système s’écroule ; les exemples de cette dégradation à l’échelle mondiale ne manquent pas, « demandez au paysan qui vivait en Oklahoma en 1934, ou au Tchad en 1975 » (Erik P. Eckholm, 1977). La crise du bois-énergie oblige le gouvernement à repenser les rapports fondamentaux entre l’homme et son environnement.
Des solutions existent. La plupart des études traitant le sujet, insistent sur la généralisation des bouteilles de gaz comme solution ignorant les autres dimensions, réduisant ainsi le problème à sa dimension technique. Il faut penser le problème dans son contexte socio-économique de façon à pouvoir agir sur les causes et pas seulement sur les conséquences. Cela signifie comprendre les mécanismes de la pauvreté rurale. En d'autres termes, cela veut dire qu'il faut penser le développement rural pris comme un tout dont la question du bois de feu est un élément parmi d'autres (Bernard Bret, 2007).
Pour la population des arganeraies, les objectifs environnementaux ne sont pas prioritaires. En effet, plus de 80% des foyers ont des revenus plus ou moins réguliers et qui tournent autour de 300 à 2 000 dh mensuellement. La sécurité alimentaire et le bien-être de la famille sont des priorités qu’ils ne sont pas prêts à sacrifier au profit d’une meilleure utilisation des ressources.
D’après nos enquêtes sur le terrain (arganeraies des Haha, Haut-Atlas et des Ait Bâamrane, Anti-Atlas), nous avons noté que la conscience du processus de dégradation est très nette, et nombreux sont ceux qui expriment leur inquiétude : «Ça cause des problèmes, mais la forêt, c’est grâce à elle que nous survivons [...]. Nous n’avons pas assez d’argent pour acheter les bonbonnes de gaz… ». Le bois est très demandé par les familles qui, à cause de leur faible revenu, ne peuvent pas s’approvisionner en bonbonnes de gaz.
Il ressort de la majorité des études, que la conjugaison de la pauvreté et de la croissance démographique aboutit à une dégradation des arganeraies. Ce résultat a au moins une implication importante : les ménages à bas revenu consomment plus de bois de feu que les ménages à revenu élevé. Il y a donc un véritable effort à faire auprès des ménages à bas revenu pour une plus grande promotion des sources d'énergies alternatives. Il augmentera les marges de manoeuvre de la population par rapport à l’exploitation des ressources naturelles, en diminuant sa dépendance à ces dernières.
Ainsi, des actions visant l’amélioration des conditions de vie de la population rurale contribueront certainement à réduire la consommation de bois de feu et par conséquent, diminuer la pression de l’homme sur les arganeraies. Ceci nécessite un programme efficace de lutte contre la pauvreté, grâce au développement de filières génératrices de revenus, qui pourra réduire la pauvreté et aura à coup sûr un impact sur les arganeraies.
Mais, en attendant, et pour empêcher que le bois alimente le feu des cuisines et du chauffage, le gouvernement doit s’engager dans une politique de « butanisation » à travers la subvention du combustible, en fixant un prix accessible des bouteilles de gaz, à l’instar de l’Argentine, où il y a une bouteille de gaz appelée "bouteille de gaz sociale", qui coûte moins cher et pensée pour les chômeurs. Certes, cette mesure n’est qu’un emplâtre, et ne constitue en aucun cas une solution de fond au problème. La disparition de l’arganier ou la providence du ciel, mettra en danger l’existence des régions entières, ce qui n’est pas sans conséquences graves sur le plan économique, environnemental, social et politique.

*Docteur en géographie, environnement, aménagement de l’espace et paysages
Université Nancy 2
Courriel : faouzi@esmamag.com


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1.Posté par hassan elouarrari le 23/11/2009 21:51
Salut
Votre article traite un sujet d’une très grande importance en l’occurrence l’impacte de la pauvreté sur l’environnement.
Etant un militant associatif issu d’un village au sud du Maroc , je dois vous reconnaître qu’on est confronté à ce genre de problèmes et que les approches de développement établies par l’Etat ne parviennent pas malheureusement à trouver de solutions adéquates pour un développement durable à cause de la bérocratie administrative et de la corruption.
Les élites locales ont certainement leur part de responsabilité puisque elles se contentent de chercher leur intérêt laissant les populations locales à leur sort.
Pour sortir de cette situation qui n’est pas du tout fatale, on a qu’à suivre l’exemple des pays américolatines qui ont parvenu grâce à leur volonté politique à trouver des solutions à ce genre de problèmes.

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