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Nassour fait trembler Al Harraz

Un séisme théâtral à l'ISADAC

Mardi 22 Avril 2025

Nassour fait trembler Al Harraz
À l'Institut Supérieur d'Art Dramatique et d'Animation Culturelle, une mise en scène visionnaire transcende les frontières du temps.

La représentation du 20 avril dernier a magistralement pulvérisé les frontières entre tradition et modernité. Dans le cadre du "Projet de réalisation théâtrale des étudiants de 4ème année en Interprétation, Scénographie et Animation Culturelle", la mise en scène audacieuse d'Amine Nassour a transformé « Al Harraz » en une œuvre-charnière, profondément ancrée dans son héritage tout en se projetant résolument vers l'avenir. Cette performance ne se contente pas de revisiter un classique - elle redéfinit radicalement ce que signifie s'approprier un patrimoine théâtral au XXIe siècle.
 
La représentation l'Institut Supérieur d'Art Dramatique et d'Animation Culturelle ce dimanche 20 avril a transcendé le simple cadre d'une performance théâtrale. Sous la direction visionnaire d'Amine Nassour, cette nouvelle mouture a opéré une alchimie rare entre respect du patrimoine et audace contemporaine, confirmant ainsi l'immortalité des grands textes lorsqu'ils sont soumis au feu de la recréation.
 
Saddiki : le bâtisseur d'imaginaire 
 
Dans le Maroc des années 1960 en pleine affirmation identitaire, Tayeb Saddiki a forgé avec Al Harraz un langage scénique inédit. Mariant la profondeur du melhoun à la vivacité de la halqa, tout en intégrant des techniques occidentales, il a donné naissance à une dramaturgie nationale. Son Harraz, personnage à la fois comique et philosophique, incarnait l'âme d'un peuple en quête de repères. Chaque représentation était alors un acte de résistance culturelle, une célébration des racines tout en traçant des perspectives nouvelles.
 
Nassour : le passeur d'éternité
 
Près de soixante ans plus tard, Amine Nassour s'empare de ce legs avec une approche radicalement différente mais tout aussi légitime. Son génie réside dans cette capacité à extraire l'universel du particulier. La farce populaire se mue en tragédie existentielle, les archétypes deviennent des êtres de chair et de dilemmes. Par un dépouillement scénique saisissant (quelques accessoires symboliques, une lumière crue), il révèle les strates cachées du texte. Le Harraz n'est plus seulement un personnage folklorique, mais l'incarnation des mécanismes du pouvoir ; Aïcha se transforme en figure de l'émancipation féminine.
 
Dialogue des temps
 
Cette relecture audacieuse pose une question fondamentale : comment faire vivre un patrimoine sans le figer dans la nostalgie ? Nassour répond par un théâtre-miroir qui nous renvoie à nos propres interrogations. À l'instar des grands réinventeurs comme Peter Brook ou Ariane Mnouchkine, il pratique ce qu'on pourrait appeler une "traduction" - non pas une traduction linguistique, mais un passage d'une époque à l'autre, fidèle à l'esprit plus qu'à la lettre.
 
Résonances contemporaines 
 
La magie opère lorsque, à la sortie, on entend les spectateurs discuter non pas de la pièce elle-même, mais des questions qu'elle soulève aujourd'hui : abus de pouvoir, manipulation médiatique, résistance individuelle... Preuve que le théâtre, lorsqu'il est vivant, ne se contente pas de divertir mais éclaire son temps.

Al Harraz 2025 n'est pas un aboutissement, mais une nouvelle étape dans la vie d'une œuvre appelée à être sans cesse réinventée. Et c'est peut-être là le plus bel hommage à Saddiki : prouver que son création possède cette grâce rare des chefs-d'œuvre - se nourrir du temps qui passe sans jamais s'y dissoudre.
 
Al Harraz, une œuvre-monde en perpétuelle renaissance
 
Le parcours d'Al Harraz, de sa création par Tayeb Seddiki à ses récentes réinterprétations par Mohamed Zouhir et Amine Nassour, dessine une fascinante cartographie de l'évolution du théâtre marocain. Ces trois visions successives révèlent bien plus qu'une simple variation esthétique : elles incarnent le dialogue incessant entre tradition et innovation qui caractérise tout art vivant.

Seddiki le fondateur, Zouhir le passeur, Nassour le déconstructeur - chacun a su, à sa manière, extraire du texte originel les résonances nécessaires à son époque. Cette multiplicité d'approches ne trahit pas l'œuvre, bien au contraire: elle en prouve la richesse et la profondeur insoupçonnées. Comme un diamant aux facettes infinies, Al Harraz révèle de nouvelles lumières à chaque regard artistique qui s'y pose.

Au-delà des spécificités marocaines, cette aventure théâtrale nous rappelle une vérité universelle : les grands textes ne sont pas des reliques à conserver sous vitrine, mais des organismes vivants qui doivent sans cesse être réinventés, réinterrogés, parfois même malmenés pour continuer à nous parler. Le véritable hommage aux classiques consiste non pas à les répéter, mais à les faire naître à nouveau, comme l'ont brillamment démontré ces trois metteurs en scène.

Al Harraz continuera sans doute son voyage à travers d'autres regards, d'autres sensibilités. Et c'est précisément cette capacité à se métamorphoser sans se renier qui fait d'elle une œuvre majeure du patrimoine théâtral - non pas un monument du passé, mais une semence pour l'avenir.

Ce soir-là à l'ISADAC, Amine Nassour a fait plus que diriger des acteurs - il a conversé avec les fantômes du théâtre marocain. Et quand les lumières se sont rallumées, une évidence s'imposait : Seddiki venait de trouver son héritier.

Par Hassan Habibi
 

Hassan Habibi

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