En Tunisie, une "révolution des boucles" contre les diktats de beauté


Libé
Samedi 23 Août 2025

Casquette sur la tête, Mouna Jebali entre pour la première fois dans un salon de coiffure spécialisé dans les cheveux bouclés. En Tunisie, les établissements et marques prônant un retour au naturel sont en plein essor, signe d'une "révolution des boucles" en marche.
 
"Je suis venue faire une transition capillaire", explique la trentenaire au carré lisse dissimulé par son couvre-chef.
 
Longtemps, regrette-t-elle, on lui a "appris que les cheveux bouclés n'étaient pas des cheveux coiffés, qu'il fallait se les lisser ou se les attacher".
 
Le déclic pour rallier une tendance mondiale qui a gagné le monde arabe ces dernières années lui vient avec la naissance de son fils, âgé aujourd'hui de trois ans.
 
"Il a des cheveux bouclés et je me suis dit que je devais enfin m'accepter", raconte la jeune maman qui réside en France et a profité de vacances dans son pays d'origine pour "sauter le pas". 
 
En Tunisie comme dans toute l'Afrique du Nord, les lissages sont monnaie courante pour coiffer les cheveux texturés - ondulés, bouclés, frisés ou crépus.
 
Négligées, peu soignées, pas adaptées aux tenues professionnelles...: les boucles ont longtemps été dénigrées. Nombreuses sont les Tunisiennes à se souvenir d'une remarque désobligeante lors d'une réunion de famille ou d'un commentaire blessant dans la rue.
 
Avec le vent de liberté qui a soufflé sur la société après la révolution de 2011, les cheveux bouclés sont devenus plus visibles. Mais les lissages restent pour beaucoup un passage obligé avant toute occasion solennelle.
 
Dhouha Mechergui, cofondatrice de Pineapple Studio, premier salon spécialisé en Tunisie, se souvient d'avoir "galéré" avec ses cousines et amies avant chaque fête de l'Aïd, à la fin du mois de jeûne de ramadan.
 
"Nos mères nous faisaient des lissages, avec l'odeur (des produits chimiques, ndlr) et tout ce qui va avec", raconte-t-elle.
 
Passer au naturel demande du "courage", ajoute-t-elle, affirmant devoir parfois jouer à la "psychiatre" avec des "clients hésitants" pour qui "la prise de décision est très difficile".
 
Pourtant, au désir d'authenticité s'ajoute l'argument de santé: selon une vaste étude des Instituts américains de santé, les produits de défrisage font courir un risque accru de cancer de l'utérus.
 
Pour Nawal Benali, créatrice du podcast "Y'a ça chez nous?", qui traite du racisme en Afrique du Nord, les injonctions aux cheveux lissés sont liées au "texturisme", une forme de discrimination.
 
"Plus on s'éloigne d'une texture dite +afro+ ou +crépue+, +bouclée+, +frisée+, et plus on va être accepté socialement parce que c'est un marqueur de bonne tenue, de présentabilité", selon des critères "dérivés de ce qu'on entend être la bienséance dans le monde occidental blanc", pose-t-elle.
 
L'idée "c'est d'essayer de gommer nos aspérités autochtones, africaines", ajoute la podcasteuse, pour qui cette exigence s'impose "particulièrement dans le monde du travail". 
 
Ces dernières années, des textes législatifs visant à lutter contre les discriminations liées à la texture des cheveux ont été votés aux Etats-Unis et en France, où une proposition de loi sur la "discrimination capillaire" a été adoptée par l'Assemblée nationale en 2024.
 
En Tunisie, pas d'initiative similaire. Sirine Cherif, qui a cofondé en 2021 la première marque tunisienne de produits pour cheveux bouclés, considère malgré tout qu'un changement "radical" est en cours.
 
"Quand nous avons fondé Kamaana ("comme je suis", en arabe tunisien), nous étions la seule marque spécialisée sur le marché", dit-elle.
 
"Quelques mois plus tard, il y a eu un effet domino: des marques plus établies que nous ont lancé leurs gammes pour cheveux bouclés", explique-t-elle.
 
Aujourd'hui, plusieurs noms tunisiens sont présents sur ce marché juteux, comme Zynia ou Lilas Cosmetics.
 
"Nous sommes fières d'avoir encouragé les gens à être eux-mêmes, à ne pas céder à cette pression sociétale et à s'assumer au naturel", se réjouit Sirine Cherif, qui vante un chiffre d'affaires en progression de 35 à 42% par an depuis le lancement de Kamaana.
 
"On veut faire une révolution des boucles!", lance-t-elle joyeusement.


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