Le G20 ne peut plus repousser l'allègement de la dette


Hailemariam Desalegn Boshe
Vendredi 21 Novembre 2025

Lors du deuxième Sommet africain sur le climat (ACS2), qui s’est tenu à Addis-Abeba il y a quelques mois, j’ai lancé un avertissement que tous les gouvernements du G20 devraient prendre en compte : l’Afrique ne peut pas financer son avenir en se noyant dans la dette.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : l’Afrique subsaharienne a besoin de 143 milliards de dollars, soit l’équivalent d’environ 7% de son PIB total. Les flux de financement climatique dans la région ne représentent toutefois qu’un quart de ce montant. Dans le même temps, les pays africains ont consacré près de 90 milliards de dollars en 2024 au service de la dette extérieure.

La crise de la dette africaine n’est pas une question marginale ; c’est l’un des principaux obstacles à la réalisation des objectifs climatiques mondiaux et au développement du continent. Chaque dollar que les pays africains consacrent au paiement des intérêts est un dollar qui aurait pu être investi dans la résilience climatique et le développement durable, notamment dans des mesures d’adaptation et des infrastructures d’énergie propre.

L’idée que l’Afrique puisse financer la transition verte tout en dépensant des sommes considérables pour le service de la dette est absurde. Le problème, comme je l’ai souligné avec beaucoup d’autres, réside dans le système financier international. Entre 2022 et 2024, les créanciers privés étrangers ont retiré près de 141 milliards de dollars de plus en paiements de service de la dette des économies en développement qu’ils n’ont déboursé en nouveaux financements. Pendant ce temps, les institutions multilatérales telles que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international ont été contraintes de jouer le rôle de prêteurs en dernier ressort, comblant ainsi des lacunes qu’elles n’ont jamais été conçues pour combler. Il en résulte que les parties prenantes les plus riches bénéficient le plus du système financier international, tandis que les pays vulnérables supportent les charges les plus lourdes.

Pire encore, l’absence d’un mécanisme prévisible de restructuration de la dette a plongé des dizaines de pays africains dans la détresse. Les gouvernements qui cherchent désespérément à éviter le défaut de paiement par crainte d’être sanctionnés par les marchés choisissent de réduire les dépenses en matière d’éducation, de santé et, de plus en plus, de lutte contre le changement climatique.

Le prochain sommet du G20 à Johannesburg – le premier à se tenir en Afrique – doit se terminer par un engagement à restructurer le passif des pays très endettés, dont la plupart se trouvent sur le continent, avec des échéances précises et une responsabilité partagée entre les créanciers. La publication d’un communiqué ou la création d’un groupe de travail ne suffiront plus.

Il ne s’agit pas d’un appel à l’indulgence, mais d’une demande de rationalité. Comme je l’ai indiqué dans mon discours à l’ACS2, un rapport du Programme des Nations unies pour le développement a révélé que 16 pays africains ont payé 74,5 milliards de dollars d’intérêts excédentaires entre 2000 et 2020, simplement parce que les agences de notation du crédit ont gonflé leurs évaluations du risque. Cela reflète un biais structurel, et non une logique de marché, perpétué par une industrie oligopolistique.

Le G20 doit saisir cette occasion pour concevoir un cadre équitable de résolution de la dette sur lequel les prêteurs et les pays emprunteurs puissent s’entendre reconnaissant la légitimité de la prise en compte de la vulnérabilité climatique et des besoins d’investissement dans l’évaluation de la viabilité de la dette. Cela permettrait de débloquer la transition verte de l’Afrique et, surtout, de rétablir la confiance dans le multilatéralisme.
L’allègement de la dette est indispensable à la stabilité mondiale. Lorsque les pays africains sont contraints de détourner leurs maigres ressources des mesures d’adaptation pour rembourser leurs emprunts, il devient beaucoup plus difficile pour le monde d’assurer la sécurité climatique. Les inondations au Mozambique, les sécheresses en Somalie et les cyclones à Madagascar ne sont pas seulement des tragédies locales. Elles représentent également des risques internationaux.

En 1996, le monde s’est réuni pour annuler la dette en lançant l’initiative du FMI et de la Banque mondiale en faveur des pays pauvres très endettés. Il s’agissait cependant d’un outil du XXe siècle. Le XXIe siècle exige une réponse plus audacieuse: un mécanisme d’allègement de la dette lié au climat, fondé sur la survie et non sur la compassion.

Lorsque l’Union africaine a demandé pour la première fois un siège permanent au G20 il y a plus de sept ans, beaucoup ont dit que c’était impossible. Aujourd’hui, l’UA a pris sa place à la table des négociations. Si le G20 trouve la volonté d’agir en faveur de l’allégement de la dette cette année, la crise pourrait suivre une trajectoire tout aussi positive. Comme l’aurait dit Nelson Mandela, «cela semble toujours impossible jusqu’à ce que ce soit fait».

Tout retard ne fera qu’aggraver l’insolvabilité, forçant davantage de pays africains à se retrouver en défaut de paiement. La question à laquelle le G20 doit répondre est de savoir s’il a le courage de reconstruire les fondations financières du monde. Le groupe doit se rendre compte qu’on se souviendra longtemps de sa détermination – ou de son incapacité – à relever le défi.
 
Par Hailemariam Desalegn Boshe
Ancien Premier ministre d'Ethiopie et membre de l'Initiative des dirigeants africains pour l'allégement de la dette


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