Penser les différences: Un colloque international au cœur des enjeux contemporains


Abdelouahed Hajji
Lundi 12 Mai 2025

Penser les différences: Un colloque international au cœur des enjeux contemporains
Dans un monde traversé par des cloisons culturelles, religieuses, ethniques, sociales et autres formes de segmentation, la question de la différence est plus que jamais d’actualité.
Comme le rappelle bien Amin Maalouf, déjà notre vie elle-même est « créatrice de différences ». La différence est à la fois une donnée naturelle et culturelle du monde, mais suscite tour à tour fascination et rejet. La différence est même inscrite aussi bien dans l’identité que dans la culture.

Son rejet conduit au « naufrage des civilisations », dirait Maalouf et à des dérives inquiétantes qui menacent d’anéantir la valeur essentielle du vivre-ensemble. Penser les différences s’avère en effet être une réhabilitation du dialogue, de l’interculturel et du lien. La différence est une expérience charnelle. Ses enjeux sont existentiels. Loin de supposer que ce concept se caractérise par une seule réponse, logique et rationnelle, la différence est une notion complexe qui concerne tous les domaines de la vie.
Et c’est précisément autour de cette thématique qu’a été organisé dernièrement le colloque international « Penser les différences », par le Laboratoire de recherche « Sciences du Langage, Art, Littérature, Éducation et Culture » (SCALEC) de l’ENS – Université Moulay Ismaïl de Meknès. Ce laboratoire, particulièrement actif, avait déjà accueilli, lors de journées d’études l’an passé, l’écrivain Abdelfattah Kilito, et cette année El Mostafa Bouignane, confirmant ainsi sa vitalité et son ouverture. Il s’agit de diversifier les moyens d’enseignement et surtout de former chez les étudiants un esprit critique et ouvert. Un tel esprit permet de faire barrage aux formes de violence et de xénophobie. L’ouverture d’esprit est un pas vers la construction d’un rapport authentique au savoir.

Les participants, ainsi que les organisateurs, ont rappelé à maintes reprises que l’identité et la culture se construisent souvent dans l’entre-deux. Aucune culture n’est pure : toutes sont traversées, façonnées et enrichies par l’échange, la rencontre et parfois la confrontation. L’humain brasse la différence, s’en imprègne et se transforme. La différence est au cœur de l’existence : sa reconnaissance et son respect sont les conditions d’une véritable cohésion sociale.

Penser la différence, c’est donc favoriser une meilleure compréhension de l’autre et lutter contre toutes les formes de rejet, de racisme et d’assimilation. C’est aussi une manière de respecter l’opacité propre à chaque culture.

En matière de littérature, les intervenants ont également souligné que la référence littéraire et culturelle ne peut être unique ni classificatoire. La littérature, comme les autres disciplines, ne doit pas être appréhendée en termes de centre et de périphérie, mais plutôt en termes de complémentarité et de réciprocité, d’autant plus que les politiques de la relation sont à l’origine de la littérature. Toute littérature est plurielle, car elle est une mosaïque de littératures. Il s’agit d’une acception de la littérature-monde qui met l’accent sur la pluralité de toute littérature, et qui consiste à faire sortir celle-ci d’une conception réductrice pour l’aborder dans une perspective inspirée par la pensée de la différence.

Coordonné par les professeurs Mohammed Dekhissi et Abdelouahed Hajji, le colloque a mobilisé des champs disciplinaires variés : littérature, art, éthique, religion, critique, sociologie, anthropologie, politique… Autant d’approches qui ont permis de penser et de repenser la différence dans ses multiples manifestations et implications, des expériences humaines à ses constructions sociales, en passant par ses dimensions symboliques ou conflictuelles.

L’événement a réuni 65 chercheurs marocains et étrangers, dont 35 doctorants. Il a compté dix séances, dont quatre panels parallèles les après-midis. Chercheurs confirmés et doctorants y ont abordé la question de la différence dans le but de sensibiliser l’audience — notamment étudiante — à l’importance de la formation d’un esprit critique et ouvert.

Certains intervenants ont insisté sur l’humanisme et l’éthique comme fondements essentiels d’un rapport authentique au savoir. Car un savoir sans savoir-être n’a pas de véritable portée !

La question de la différence a été abordée également à travers divers filtres, révélant sa polysémie et sa présence dans tous les domaines. Les organisateurs ont rappelé les valeurs fondatrices du Maroc : altérité, ouverture et respect des fondements de la nation. Le Maroc a toujours été, et demeure, un pays d’accueil et de tolérance. Le colloque s’inscrivait ainsi dans cette tradition, en affirmant que le respect de la différence est un pas essentiel vers la cohabitation avec autrui. La philosophie de la différence devient alors un enseignement de la reconnaissance de l’autre. Il s’agit d’une aspiration difficile à réaliser complètement, mais cette aspiration est salutaire ; elle indique la voie à suivre pour arrêter le désastre qui traverse le monde d’aujourd’hui.

Étudiants comme grand public ont bénéficié de communications riches et d’échanges stimulants. Le débat a été nourri par la présence d’écrivains et de chercheurs de renom tels que Marc Gontard, Bernoussi Saltani, Jean-Paul Deremble, Abderrahim Kamal, Cédric Cagnat, Bernadette Mimoso-Ruiz ou encore Bouchaib Saouri. Une attention particulière a été accordée à la participation des jeunes chercheurs, encouragés à prendre part activement à cette réflexion collective.

Le choix assumé de la pluralité des approches a fait de ce colloque un véritable carrefour d’échanges constructifs, reflet des orientations actuelles de la recherche, qui valorisent l’interdisciplinarité et le décloisonnement du savoir. Une manière concrète de servir l’un des objectifs phares de l’Université Moulay Ismaïl : faire de l’UMI un pôle d’excellence.

Penser la différence, c’est aussi interroger les formes de l’altérité dans nos sociétés, les conditions de son émergence et ses enjeux politiques, sociaux et symboliques. C’est mobiliser les outils critiques pour mieux comprendre ce qui nous sépare, mais aussi ce qui nous relie. La diversité culturelle est une valeur suprême qui peut souder le monde. Il faut rappeler à cet égard que l’humanité n’est pas innée mais acquise. Continuons à cultiver notre humanité par la célébration et la cristallisation des valeurs de l’amitié, de l’amour et du respect de l’autre.

Le désir d’identité est inséparable du désir de l’altérité. La pensée de la différence n’est pas en ce sens une stratégie pour activer l’assimilation, mais plutôt une manière de réactiver le souci de l’autre dans le respect de la différence culturelle ; une façon d’opter pour le multiple ou le divers, comme le rappelle justement l’écrivain Marc Gontard dans sa communication sur Victor Segalen. Celui-ci écrit : « C’est par la différence et dans le divers que s’exalte l’Existence. / Le Divers décroît. / C’est là le grand danger. »

Dans la même dynamique, le Laboratoire SCALEC a organisé une rencontre littéraire avec le théoricien et professeur à la Sorbonne Maxime Decout. Celui-ci y a retracé l’histoire de la lecture à travers l’histoire littéraire, avant de présenter sa propre théorie de la « mauvaise lecture » : une lecture audacieuse, capable de faire surgir l’inédit à partir des textes, remettant en cause le « lecteur modèle » théorisé par Umberto Eco. Une initiative supplémentaire qui témoigne du dynamisme de l’équipe de recherche et de la volonté des responsables de promouvoir, au sein de l’université marocaine, une recherche vivante, ouverte et exigeante.

Par Abdelouahed Hajji
Université Moulay Ismaïl de Meknès
 
 


Lu 336 fois


Nouveau commentaire :

Votre avis nous intéresse. Cependant, Libé refusera de diffuser toute forme de message haineux, diffamatoire, calomnieux ou attentatoire à l'honneur et à la vie privée.
Seront immédiatement exclus de notre site, tous propos racistes ou xénophobes, menaces, injures ou autres incitations à la violence.
En toutes circonstances, nous vous recommandons respect et courtoisie. Merci.








    Aucun événement à cette date.

Inscription à la newsletter


services