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Les portes d'Al-Ayyam sont cadenassées depuis bientôt un an. À l'instar de bon nombre de publications indépendantes dans le tiers-monde, le quotidien du Yémen (64 000 exemplaires) se voulait un phare dans la grande noirceur totalitaire des régimes autocratiques.
À la question «Indépendant de quoi?», la réponse est relativement simple quand il s'agit du paysage médiatique d'un pays où la liberté de presse et d'expression n'est qu'un mirage. L'indépendance se mesure à l'aune de fermetures pures et simples de salles de rédaction, de procès, d'intimidations violentes ou de liquidations physiques notamment.
Al-Ayyam, c'est un peu tout ça. Interdit de parution depuis mai dernier, le quotidien d'Aden a payé cher son indépendance pour avoir prétendu être «la voix des sans-voix».
Pour un média du Sud, refuser d'être «la voix de son maître» (qui se trouve au palais présidentiel), c'est fatalement devenir aphone. Il vaut mieux alors assister servilement aux conférences de presse en oubliant toutes questions-pièges et en s'appropriant aveuglément les communiqués de presse à la langue de bois et de coton.
Le palais présidentiel fixe l'ordre du jour. Les médias suivent. Au pas. Tout cela est-il si différent dans les médias du Nord? À la question «Indépendant de quoi?», la réponse est plus complexe, à l'heure des convergences tous azimuts qui donnent des «conglomédias» où la communication prime sur l'information. Le journalisme de communication, avec son hyperfactualisme lubrifiant, a laminé le journalisme d'information et sa quête de sens.
Sur l'échelle de Richter médiatique, l'indépendance doit se mesurer aux séismes provoqués par des prises de position qui dérangent le consensus. Un média indépendant, peu importe ses liens complexes avec les acteurs économiques et politiques, doit savoir porter le couteau dans la plaie, pour reprendre les mots d'Albert Londres, s'éloigner le plus possible, comme disait Rabelais, de la «moutonnaille».
La valeur ajoutée à toute information, c'est le recul. Sans cette distance, face à l'Himalaya de la narration d'histoires (le storytelling), il ne peut honnêtement y avoir rigueur (vérifier, relativiser) et profondeur (le background).
D'une manière générale, si l'information est toujours une mise en forme, elle ne doit pas investir dans le seul maquillage. Parallèlement, un média indépendant doit précéder l'opinion plutôt que de la suivre, tout en évitant de se laisser emporter par ses convictions. Il doit s'intéresser au processus d'une problématique, pas seulement à son dénouement. Alors seulement entrera-t-il dans le petit club des médias de référence.
En existe-t-il encore, à l'heure de l'information jetable? Bien sûr, et sur tous les continents. S'ils ne sont pas nombreux (inutiles de les citer!) au Nord, ils sont pratiquement inexistants au Sud.
Ceux qui, comme Al-Ayyam, se veulent les sentinelles d'une certaine démocratie doivent, pour des raisons différentes, être considérés comme des médias de référence. Ils paient assez cher leur liberté au quotidien.
* Professeur de journalisme à l'École des médias de l'UQAM.
À la question «Indépendant de quoi?», la réponse est relativement simple quand il s'agit du paysage médiatique d'un pays où la liberté de presse et d'expression n'est qu'un mirage. L'indépendance se mesure à l'aune de fermetures pures et simples de salles de rédaction, de procès, d'intimidations violentes ou de liquidations physiques notamment.
Al-Ayyam, c'est un peu tout ça. Interdit de parution depuis mai dernier, le quotidien d'Aden a payé cher son indépendance pour avoir prétendu être «la voix des sans-voix».
Pour un média du Sud, refuser d'être «la voix de son maître» (qui se trouve au palais présidentiel), c'est fatalement devenir aphone. Il vaut mieux alors assister servilement aux conférences de presse en oubliant toutes questions-pièges et en s'appropriant aveuglément les communiqués de presse à la langue de bois et de coton.
Le palais présidentiel fixe l'ordre du jour. Les médias suivent. Au pas. Tout cela est-il si différent dans les médias du Nord? À la question «Indépendant de quoi?», la réponse est plus complexe, à l'heure des convergences tous azimuts qui donnent des «conglomédias» où la communication prime sur l'information. Le journalisme de communication, avec son hyperfactualisme lubrifiant, a laminé le journalisme d'information et sa quête de sens.
Sur l'échelle de Richter médiatique, l'indépendance doit se mesurer aux séismes provoqués par des prises de position qui dérangent le consensus. Un média indépendant, peu importe ses liens complexes avec les acteurs économiques et politiques, doit savoir porter le couteau dans la plaie, pour reprendre les mots d'Albert Londres, s'éloigner le plus possible, comme disait Rabelais, de la «moutonnaille».
La valeur ajoutée à toute information, c'est le recul. Sans cette distance, face à l'Himalaya de la narration d'histoires (le storytelling), il ne peut honnêtement y avoir rigueur (vérifier, relativiser) et profondeur (le background).
D'une manière générale, si l'information est toujours une mise en forme, elle ne doit pas investir dans le seul maquillage. Parallèlement, un média indépendant doit précéder l'opinion plutôt que de la suivre, tout en évitant de se laisser emporter par ses convictions. Il doit s'intéresser au processus d'une problématique, pas seulement à son dénouement. Alors seulement entrera-t-il dans le petit club des médias de référence.
En existe-t-il encore, à l'heure de l'information jetable? Bien sûr, et sur tous les continents. S'ils ne sont pas nombreux (inutiles de les citer!) au Nord, ils sont pratiquement inexistants au Sud.
Ceux qui, comme Al-Ayyam, se veulent les sentinelles d'une certaine démocratie doivent, pour des raisons différentes, être considérés comme des médias de référence. Ils paient assez cher leur liberté au quotidien.
* Professeur de journalisme à l'École des médias de l'UQAM.