Tennessee Williams sous le soleil tangérois


PAR MILOUDI BELMIR
Jeudi 14 Mai 2009

Tennessee Williams sous le soleil tangérois
Tennessee Williams était une grande figure dans l'histoire de la littérature américaine. Il était l'un des auteurs les plus féconds et représentatifs du vingtième siècle. Son œuvre comprend une centaine de romans, de nouvelles, ainsi que des pièces de théâtre. Issu du courant réaliste, il évoluait rapidement vers une littérature plus à mi-chemin entre le roman et le théâtre, sur les thèmes de la banalité quotidienne. Il était également connu pour ses chroniques et ses recueils de nouvelles.
Avec son œuvre, Tennessee Williams nous initie aux tourments intimes de son âme. Le « Printemps romain de  Mrs Stone » et une « Femme nommée Moise »  résument sa vie d'écrivain et expriment ses principes sur lesquels il avait édifié son avenir vers l'écriture. Pour bien comprendre son œuvre, il faut se reporter à l'épisode le plus douloureux de sa vie qui ne fut qu'une longue déception et dégoût qu'il traduisit surtout dans ses « Mémoires d'un vieux crocodile », en y décrivant la conception d'une tristesse franche. Le tout dans son style terriblement sobre, dépouillé et complexe qui offre de multiples pistes de lecture.
D'œuvre en œuvre, l'image projetée par Tennessee Williams de l'écrivain perturbateur est celle d'un errant. Mais un errant  superbe, rebelle, défiant, brutal, tendre. Il se plaisait beaucoup à faire jaillir le diable de sa boite. Toute sa réussite réside dans ses circonstances de sa vie. Voici Tennessee tel que les textes, aujourd'hui disponibles dans leur intégration, le donnent à découvrir.
L'écrit pérennise, mais le théâtre et le cinéma lui font porter d'emblée son poids de gloire. A son époque,  le théâtre et le cinéma américain avaient connu une étrange période de liberté et de dérèglement de tous les styles. Avec Arthur Miller et Tennessee Williams, c'était le théâtre, dans ce qu'il a d'essentiel. Chaque pièce de théâtre était un acte des garde-fous, du sens. Comme Arthur Miller, il avait littéralement voué sa vie au théâtre parce que  celui-ci lui donnait l'occasion de côtoyer une misère nouvelle, au-delà de toutes celles  qu'il a connues ou imaginées.
Tennessee était également un voyageur bien décidé à confronter ses idées et ses impressions au contact d'un monde nouveau. Tanger était ce monde nouveau. A l'époque,  cette ville internationale exerçait son charme sur tout écrivain, tout artiste doté d'une âme sensible. Tennessee était attaché à cette métropole de l'art, de plusieurs cultures plus qu'à aucun autre lieu du monde. Voilà  Tanger, ville de Paul Bowles, de Jean Genet, de Jane Awer, de Mohamed Choukri, de Mohamed M’rabet, de Samuel Beckett, de Marguerite Yourcenar, de Paul Morand, de Joseph Kessel, de Roland Barthes, de Truman Capote, etc. Tous ses pionniers de la littérature lui rappelaient souvent son entourage d'Amérique.
A Tanger, Tennessee ne cessait point de circuler, de penser, d'écrire, d'écouter les conteurs, de hanter les bars paisibles et de vivifier la vie elle-même. Tanger littéraire et artistique donnait à son œuvre la portée qui lui manque. Seule cette ville de Tanger lui permettait de trouver les temps florissants et les  rêves perdus.
Dans son journal sur Tennessee, Choukri le décrit plus comme un bohémien qu'un écrivain. Ses allures bizarres ne tardent pas à intriguer ses compagnons. Mais ses œuvres conserveront la trace d'une époque de doctrine, d'idées, de modèles, de rêveries, de formules d'art, de thèmes et de fiction. Tennessee avait découvert  à Tanger un lieu qui offrait un cas de pathologie assez rare. Tanger de Tennessee était un des romans de la saison, il y avait trouvé des thèmes qui lui étaient chers, l'aventure et l'amour.
Tennessee avait donné plus de place à Tanger qu'à sa ville natale. Autre aspect de  sa personnalité,  son amitié avec Paul Bowles, ses flâneries avec lui, leur intérêt commun pour les mêmes plaisirs. Cette déambulation, dans la rencontre avec les ruelles resserrées, les bars, les habitants, suscite la curiosité, les rêveries. Pour lui, la flânerie et la jouissance sont une école, car errer, c'est découvrir le hasard. Il était un personnage multiple qui exprimait sa vérité sur cette multiplicité où elle se dessinait tout entière. Il possédait une aura particulière, très drôle, même dans les situations les plus mélodramatiques. Dans un sens, il était un vertige contagieux.
Le Maroc de la fin des années 60. Dans le Maroc méditant encore sur sa destinée de la nouvelle réalité, l'œuvre de Tennessee était notoirement connue dans le monde littéraire. Cette œuvre avait ses adeptes et ses admirateurs.  Nous lisions ses textes, fascinés mais en même temps quelque peu émus, à dire vrai, perplexes devant leurs contenus. A cette époque, Tennessee était pour beaucoup de lecteurs l'expression de la conscience littéraire et un écrivain réel hanté par des problèmes non imaginaires. Il voyait quelque chose que les autres ne percevaient pas et c'est parce qu'il était désemparé devant la  notoriété et la bêtise humaine qu'il hâtait sa mort.
L'œuvre maîtresse de Tennessee, la plus achevée, la plus dense est le champ clos où  s'affrontent les  obscurantistes de non-vie et les viveurs, gens de nature, adeptes de la beauté et des plaisirs. C'est dans ce sens que l'on peut dire à juste titre que l'œuvre de Tennessee est bohémienne par le contenu quasi idéologique.   C'est pourquoi il n'est pas d'œuvre plus bohémienne dans la littérature américaine, que celle de Tennessee. En outre, son œuvre était à la fois la découverte d'un écrivain bohémien, mais aussi la sensation de connaître son univers intérieur.
Il est étonnant que l'œuvre de Tennessee soit restée si peu connue, quoique le grand écrivain ait passé à Tanger plusieurs jours de sa vie, où le succès de ses ouvrages, le faisait apparaître, aux côtés de Bowles, de Genet, comme un adepte des grandes idées littéraires.
   Tennessee n'écartait point la mort, pas plus qu'il ne traitait la vie avec révérence. Pour lui, la vie et la mort appartiennent à un cycle de réalités complémentaires et au fond s'il n'opposait pas la vie à la mort, c'est peut-être qu’il ne croyait pas à la mort absolue. C'est pourquoi l'expérience du bonheur et du malheur ont renforcé le sentiment humain, en lui ouvrant une vie où la durée constructive de l'existence fait place à des instants qui semblent détachés du temps.  


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