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Le programme annonçait des conférences avec des figures mondiales comme Yoshiki Okamoto, Cevat Yerli et d’autres grands noms qui résonnent fort dans l’industrie, et rien que pour ça, le déplacement semblait valoir le coup. Il faut dire que l’événement s’inscrivait dans la continuité de la vision Royale, qui place l’économie numérique et la jeunesse au centre de ses priorités. Le ministre de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, présent sur place, n’a pas manqué de rappeler l’importance stratégique du jeu vidéo comme levier d’emplois, d’innovation et de rayonnement international.
Dès mon arrivée au parking, embarquant dans une navette vers le Palais des sports, je me suis dit que l’organisation commençait bien. Mais sur place, mes attentes ont commencé à s’effriter. Le premier contact avec le dispositif de sécurité fut révélateur : plusieurs contrôles de bracelet consécutifs, un personnel semblant parfois se bousculer pour effectuer la même tâche, et une impression de manque de fluidité qui allait se confirmer.
L’exposition elle-même donnait à voir une majorité de stands de sociétés et universités sans lien direct avec le gaming. Sur environ 70 stands recensés, moins de 10% représentaient réellement des entreprises ou projets liés au développement de jeux vidéo, selon mes propres comptages et les retours de plusieurs visiteurs rencontrés sur place. « Je m’attendais à voir plus de studios marocains présenter leurs créations », confia Imane, 24 ans, passionnée de RPG, venue de Casablanca.
J’ai choisi de relativiser, me disant qu’il fallait être indulgent dans un pays où les entreprises du jeu vidéo se comptent sur les doigts d’une main, et que la vraie valeur de cet événement se jouerait du côté des conférences. C’est là que commença le véritable parcours du combattant : trouver la salle de conférence principale fut un défi insensé. Membres du staff incapables de m’indiquer l’emplacement, orientation erronée vers l’arène e-sport, salle de presse ou autres lieux non pertinents… près de quarante minutes perdues avant qu’une bénévole finisse par me guider.
La découverte fut amère : la salle accueillant les invités majeurs était reculée, difficile d’accès, réservée à un public limité. Les conférences, d’une durée d’une heure, s’enchaînaient sans interaction avec le public, sans temps de questions, sans dialogue. Chaque heure, un nouveau conférencier, une nouvelle intervention, mais aucune passerelle entre la scène et ceux venus pour apprendre, comprendre et échanger. « On écoute, on applaudit, et puis on repart. C’est frustrant », résumait Hamza, étudiant en informatique.
Du côté du public, l’observation parlait d’elle-même : les arènes de Street Fighter, FC25 et PUBG attiraient du monde, tout comme la présence de certains streamers connus. Mais il devenait difficile de savoir si cette affluence reflétait réellement l’intérêt pour le MGS en tant qu’événement, ou si elle était simplement captée par ces pôles d’attraction ponctuels.
Cette confusion est d’autant plus problématique que la concurrence régionale avance à grands pas. En Egypte, par exemple, le Gamergy avec un taux de participation aux conférences dépassant 70%, grâce à un format interactif et à des zones clairement identifiées. Résultat : une affluence régionale massive, des partenariats structurants et une couverture médiatique internationale. Face à cela, le Morocco Gaming Expo reste encore loin de pouvoir prétendre rivaliser.
Déçu par la forme, j’ai décidé de pousser plus loin et de mener ma propre mini-enquête. J’ai interrogé des représentants de fonds d’investissement présents sur l’expo : aucun n’avait financé de jeu marocain à ce jour. Les universités et l’OFPPT, bien visibles sur place, n’avaient aucun cursus réellement orienté vers le gaming ; au mieux, une mention en master, mais sans contenu technique substantiel. Selon un rapport interne d’un organisme sectoriel, le Maroc compte moins de 200 professionnels identifiés dans le développement de jeux vidéo, contre plus de 2.500 en Egypte et près de 10.000 en Turquie.
Dès lors, avant même de songer à multiplier les événements de ce type, il serait judicieux de commencer par un sondage et une étude de marché auprès des gamers marocains : comprendre leurs attentes, leurs habitudes d’achat, leurs frustrations. Car derrière l’enthousiasme apparent, il y a une réalité économique : une grande partie des joueurs utilise aujourd’hui des cartes bancaires internationales ou choisit des régions étrangères sur Steam, Xbox ou PlayStation pour acheter leurs jeux et abonnements (Game Pass, Steam, Play+, etc.). Résultat : une fuite de devises estimée à plusieurs dizaines de millions de dirhams par an et un marché national sous-exploité.
C’est là qu’apparaît une piste stratégique : créer une « région Maroc» sur ces grandes plateformes. Cela permettrait d’imposer une TVA locale, d’encadrer les prix pour rester attractifs sans brader, et surtout de réinvestir ces recettes dans la structuration d’un véritable écosystème. D’autres pays ont montré la voie : le Brésil a tiré environ 500 millions de reals par an en fiscalisant ses ventes numériques tout en stimulant la création locale, la Turquie a combiné prix localisés et taxes pour attirer les éditeurs, la Corée du Sud a bâti un soft power mondial en faisant du jeu vidéo un pilier industriel. L’Argentine, à l’inverse, illustre ce qu’il ne faut pas faire : laisser ses prix chuter sans encadrement fiscal ni stratégie, au profit d’acheteurs étrangers et sans bénéfice réel pour son économie.
Le Maroc a donc un choix : rester un spectateur enthousiaste mais désorganisé, ou devenir un acteur structuré, capable de capter la valeur et de faire naître un tissu local de studios, de formations et d’événements vraiment pensés pour les joueurs et les créateurs marocains. Ce Morocco Gaming Expo, malgré ses lacunes criantes, reste une première pierre. Il aura permis d’identifier les attentes réelles des gamers – accessibilité, interactivité, pertinence des contenus, prix adaptés – et de mettre en lumière la nécessité d’une vision claire, partagée entre institutions, investisseurs et acteurs de terrain. Car c’est là que réside l’espoir : dans la possibilité de passer d’une vitrine encore maladroite à un écosystème national qui sache séduire ses jeunes, attirer les talents internationaux et, pourquoi pas, faire du Maroc une nouvelle place forte du gaming dans le monde arabe et africain.
Par Salaheddine LALOUANI