Bayân et figures de style



Sur les pas d’Obama : Les secrets d’une victoire


Par Emmanuel AUBER
Lundi 16 Février 2009

Sur les pas d’Obama  : Les secrets d’une victoire

Jeune auteur passionné de politique récemment installé à Washington pour raisons professionnelles, Niels Planel livre un essai stimulant sur la campagne présidentielle, côté Obama. Passons sur les tics d’écriture énervants : “L’avance du métis est désormais trop importante”   ; “Le métis, formé au droit, se révèle être un ardent défenseur de la négociation”  … Dans de petits chapitres enlevés, s’adossant à des citations éclairantes et à des fragments biographiques sur Barack Obama, l’auteur livre une chronique sur le vif de la campagne présidentielle américaine (partie I). Il examine ensuite quelques enjeux auxquels sera confronté le nouveau président, voire le reste du monde (partie II). Précisons d’emblée que, si le livre est présenté par l’éditeur, et par l’auteur en avant-propos, comme une analyse “de l’intérieur” de la campagne, il s’agit plutôt d’une synthèse, sérieuse et passionnée, d’articles de presse, d’extraits d’interviews et de notes de think tanks washingtoniens, soit des sources de seconde main mêlant à la doxa des informations plus originales au plus proche de la campagne et des idées du candidat progressiste.
Portait d’Obama en héros
À l’unisson des autres parutions post-électorales, Niels Planel dessine, par touches successives, un portait admiratif d’un Obama clairvoyant, réceptif, d’une rare humanité. Conciliateur et rassembleur, Obama dispose de ces deux qualités indispensables au chef d’État, surtout dans un pays aussi clivé que les États-Unis : “Sa philosophie rejette clairement les divisions, et entend surmonter celles apparues aux États-Unis dans les années 1960, qui ont déchiré le pays depuis, bénéficiant surtout à la droite”; “Il marche entre les mondes. Il a fait ça toute sa vie” selon sa demi-sœur Maya Soetoro-Ng . Soucieux d’en finir avec l’esprit partisan, Obama apparaît comme un homme de dialogue capable de réconcilier l’Amérique avec elle-même et avec le reste du monde : “Pour le sénateur de l’Illinois, surmonter les divisions passe par l’ouverture. C’est pouvoir, comme il le répétera, travailler avec des républicains (…) ainsi, le démocrate a collaboré avec Tom Coburn pour faire passer une législation pour la création d’un moteur de recherche facilitant la consultation des dépenses publiques en ligne”. Le style, disait Michelet, c’est “le mouvement de l’âme”. Niels Planel qualifie Obama d’”éloquent, élégant et photogénique”.
C’est clair que son style très Ivy League le rapproche d’un Kennedy aux discours énergiques, maître de lui, incarnation de la grace under pressure. Dans une interview au Times, Obama déclare : “L’une des choses que je pense pouvoir apporter à la présidence, c’est de rendre le gouvernement et le service public cool à nouveau. Il y a une telle envie chez les jeunes de trouver un débouché pour leur idéalisme” . Et l’auteur de bien traquer derrière ce charisme et cette folle aisance, un combat intérieur lié à l’identité : “l’épaisseur du vécu de ce nautonier afro-américain qui traverse les océans, de ce citoyen du monde qui se forge une identité à force de la voir sans cesse remise en cause jusqu’à ses vingt ans” . Cela nous rappelle ce que disait, en 1981, à ses étudiants de l’université de l’Arkansas, le professeur Bill Clinton invité dans le cadre d’un cycle de cours consacré à la politique en littérature : chez tous les leaders politiques, on assiste à une lutte entre la lumière et l’obscurité ; au registre de l’obscurité, on compte l’insécurité, la dépression et les perturbations familiales ; chez les grands leaders, la lumière l’emporte sur l’obscurité, mais toujours au prix d’un combat.
La stratégie gagnante
Fabuleux narrateur (storyteller) de sa propre vie (“Le personnage est fort habile en ce qu’il a réussi a faire oublier qu’il était tout à la fois le protagoniste majeur de son odyssée, mais aussi son unique narrateur, contrairement à beaucoup d’autres, qui s’éteignent ou s’épuisent de ne pas savoir imposer leurs récits aux médias” ,  épaulé par son spin doctor en chef David Axelrod, Obama apparaît en homme de tête et en homme de cœur, plus proche de Main Street que de Wall Street (“Obama donne l’impression, dans ses discours, de s’adresser personnellement à chaque individu venu l’écouter” . Son récit polyphonique et tout en contrastes lie intimement sa vie (l’animateur social des quartiers pauvres de Chicago et l’universitaire ; l’idéaliste qui n’oublie pas d’être pragmatique ; l’homme des compromis et le gardien des principes fondateurs de la Nation) et l’histoire de l’Amérique à travers son dialogue incessant avec les Lincoln, les Luther King…
Sa femme, Michelle, complète le portrait (“Barack n’est pas d’abord et avant tout un politicien. C’est un activiste social (community activist) explorant la viabilité de la politique pour changer les choses” . Les centres d’intérêt de Barack ? Ni trop sélects ni trop banals, chacun peut s’y retrouver : “ses films préférés sont Le Parrain, Le Parrain II, ou encore Lawrence d’Arabie (...) ses goûts musicaux vont du rappeur Jay-Z au violoncelliste Yo-Yo Ma. Le candidat lui-même confesse être un joueur de poker occasionnel mais doué, concentré sur le mental de ses adversaires, un amoureux des tragédies de Shakespeare ou de Pour qui sonne le glas d’Hemingway, un gaucher qui n’en est pas moins adroit au basket…” . Il a lu Sartre, Saint-Augustin, Nietzsche. Dans son bureau de sénateur  trônent des photographies de ses modèles : Lincoln, Gandhi, Martin Luther King. Voici un candidat populaire, historique, “post-racial” (“cette rare chose, un politicien noir qui s’adresse à la nation toute entière, non pas seulement à une enclave ethnique” . Sorte d’Halle Berry au masculin avec la virtuosité d’un Tiger Woods de la politique ?
Face au couple Clinton (“Billary”) qui cultive les réseaux depuis toujours au sein du Parti démocrate, Obama développe son propre courant et se lance bille en tête dans la campagne. Sauf qu’on est en présence d’un démiurge politique qui ressent mieux que quiconque les vibrations contradictoires de l’Amérique et entend les dépasser en faisant appel à la meilleure part de chacun, aux espoirs, non aux craintes. Contrairement à une Hillary Clinton aux abois, des poches de venin sous ses yeux froids, pratiquant l’attaque personnelle - on voit qu’en politique, mieux vaut avoir des adversaires que des concurrents -, Obama parle à l’intelligence des électeurs et valorise le débat honnête. Il est le candidat du changement contre celui de l’expérience politique : “Et si le sénateur n’a certes pas passé sa vie dans les antichambres du pouvoir, son expérience a une autre valeur : il a vu la misère des quartiers pauvres de Chicago, senti les ravages de la corruption qui gangrène l’Afrique ou l’Asie, ou encore connu les soucis de l’Amérique ordinaire qui court derrière les factures à payer et les prêts à rembourser”.



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