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Spécial 40ème jour du décès d'Abderrahmane El Youssoufi : Un homme de dialogue par excellence


M.O et C.C
Mercredi 8 Juillet 2020

Spécial 40ème jour du décès d'Abderrahmane El Youssoufi  : Un homme de dialogue  par excellence
Avec sa sagesse de leader et ses qualités d’homme d’exception, Si Abderrahmane El Youssoufi faisait partie des rares hommes politiques qui bénéficiaient de l’unanimité.  Si le défunt a tant fédéré autour de lui, c’est essentiellement grâce aux valeurs qu’il véhiculait, à son sens patriotique inégalé, et à son intégrité absolue. Profondément nationaliste, il est considéré à la fois comme l’un des derniers sages et un homme foncièrement honnête. Selon les témoignages, sa gentillesse n’est pas en reste. Elle n’a d’équivalent que sa générosité et sa modestie. Les petites gens ont toujours été au centre de son attention. 
Dans un épisode de l’émission ‘’Grand angle’’ de 2M qui lui a été exclusivement consacré au début du nouveau millénaire, nous avons été stupéfiés par sa manière d’être. Alors qu’il venait de rencontrer dans sa résidence des diplômés chômeurs ayant menacé quelques jours auparavant de s’immoler par le feu en l’absence d’une promesse d’emploi, Abderrahmane El Youssoufi enchaîne, dans la même matinée, par un rendez-vous de la plus haute importance avec le secrétaire d’Etat américain de l’époque, pour discuter des traités de libre-échange entre le Maroc et les Etats-Unis. Les quelques bribes des deux rencontres captées par la caméra de nos confrères de 2M dépeignaient un homme toujours égal à lui-même, quel que soit son interlocuteur. 
Il était comme ça Abderrahmane El Youssoufi, capable de trouver un terrain d’entente et d’échanger avec n’importe quelle personne en dépit de son statut social. Pour lui, tout le monde était sur un même pied d’égalité. Rien de plus normal pour un socialiste, diriez-vous. Ce qui n’est pas totalement faux mais pas totalement vrai non plus. Mais une chose est sûre, avec Si Abderrahmane, personne ne pouvait prétendre à un quelconque passe-droit. Tout le monde était logé à la même enseigne. Cette ligne de conduite, El Youssoufi s’y est tenu tout au long de sa vie et l’a doublée d’une appétence au travail sans équivalent. 
Dans le reportage de 2M, l’équipe de tournage l’a suivi pendant plusieurs jours. Il était le premier chef de gouvernement à avoir autorisé l’accès d’une équipe de télévision à la Primature et à son domicile. Nous sommes le 23 novembre 2002, dans moins de 24 heures, les Marocains vont être amenés à voter pour un nouveau Parlement et donc la fin du mandat d’El Youssoufi. Mais ce dernier ne s’est pas reposé sur ses lauriers pour autant. «Nous sommes à la veille des élections, vous avez un bras dans le plâtre, mais rien ne vous éloigne de votre bureau», lui lança le journaliste. «Il le faut bien», lui répondit El Youssoufi avant d’ajouter: «La vie de l’Etat continue». Comme pour rappeler encore une fois ce que tout le monde pensait déjà: les intérêts supérieurs de la nation passent avant toute chose pour Si Abderrahmane. Et ça, il l’aura prouvé à plusieurs reprises tout au long de sa trépidante vie. Une vie dont les journées finissent tard le soir pour commencer à l’aube par la traditionnelle revue de presse pendant laquelle il avait pour habitude de répondre de gaieté de cœur aux questions des journalistes. Ce jour-là, il avait fait étalage de toute sa classe et son élégance en répondant à une question piège par un flegme britannique. La question portait sur un parti islamiste. Et comme à son habitude, Abderrahmane El Youssoufi a mis en avant son talent de fédérateur. Avec une honnêteté sans faille, il avait expliqué à son interlocuteur, preuves à l’appui, que son but ultime était de rassembler et non de diviser. Dans un monde politique peu porté sur l’union, il faut dire qu’Abderrahmane El Youssoufi représentait une forme d’idéal. C’était un avant-gardiste protecteur des valeurs les plus nobles qui existent en ce bas monde, malgré les réticences des farouches opposants auxquels il a dû faire face durant sa vie politique. 
Parmi les choses les plus frappantes dans la personnalité d’Abderrahmane El Youssoufi, c’est cette manière de rendre simples les situations les plus compliquées. Un consensus était toujours susceptible d’être trouvé quand El Youssoufi faisait partie d’une table de négociations. Sans oublier son refus de toute forme d’injustice. C’est donc sans surprise qu’il a toujours œuvré pour les droits de la femme. 
Et le pouvoir dans tout ça ? La vérité est qu’Abderrahmane El Youssoufi n’a jamais été grisé par le pouvoir. D’ailleurs dans ledit documentaire, il l’exprimait clairement : «J’estime qu’il est normal de me retirer, après mon mandat, pour laisser place à un visage nouveau». Quelques secondes après, la caméra de 2M capte un moment d’une rare intimité: Un petit déjeuner en compagnie de sa bien-aimée, Marie-Hélène, pendant lequel il lui raconte qu’un journaliste lui avait demandé s’il ne craignait pas l’étape d’«après-gouvernement». Ce moment où il cessera d’exercer sa fonction. Comment allait-il le vivre alors que beaucoup d’hommes de pouvoir avant lui avaient sombré dans la déprime.
 Réponse sans détour de Si Abderrahmane: «Il n’y a aucun danger». Le rire succin de Marie-Hélène vient corroborer les dires de son mari et rappeler que le couple El Youssoufi a toujours vécu dans un véritable bonheur conjugal. Marie-Hélène qui considère Si Abderrahmane avant tout comme un homme de principe. «Un homme honnête, sincère et franc», souligne-t-elle dans un autre reportage, également diffusé sur 2M au début des années 2000. «L’intégrité d’Abderrahmane El Youssoufi n’a d’égal que son sens patriotique», explique, pour sa part, Christine Daure-Serfaty. De son côté, l’écrivain journaliste Jean Daniel estime qu’El Youssoufi «représente une tradition très forte au Maroc, celle d’un socialisme qui a connu des martyrs». Son confrère, Jean Lacouture, lui, souligne qu’Abderrahmane El Youssoufi fait partie de ces hommes qui n’ont pas le goût du pouvoir, qui ne se précipitent pas et qui ont même une certaine hésitation devant le pouvoir». 
Dans ledit reportage qui revient avec El Youssoufi sur la vie de ses parents, sa naissance, sa jeunesse et sur les débuts de sa carrière politique, Si Abderrahmane raconte qu’il est né à Tanger en pleine guerre de Rif.  De son quartier, il a gardé de très beaux souvenirs. «C’était à la fois le lieu de ma naissance, le lieu de ma première école et c’est aussi dans ce quartier où j’ai passé les moments les plus agréables de mon enfance», explique-t-il. «Tanger a toujours eu un caractère cosmopolite qui s’était développé sous son statut international. Il y avait une certaine atmosphère de convivialité, des nationalités différentes et des modes de vies différents», ajoute-t-il. «Mon père est originaire d’un village situé à 25 km du centre de la ville. 
Il a travaillé au sein du service d’un consul à Gibraltar et a également été Moqadem», raconte El Youssoufi. «C’était à l’époque une fonction prestigieuse. Et grâce à son travail et sa persévérance, on peut dire qu’il était devenu un petit bourgeois», ajoute Si Abderrahmane. «Quant à ma mère, dit-il, elle est du même village que mon père, c’est une vraie paysanne». «C’était une femme extraordinaire», se rappelle pour ,sa part, Marie-Hélène. «Elle n’avait peut-être pas une grande instruction mais elle était d’une intelligence remarquable. Elle ne connaissait pas un mot en français, moi aucun mot en arabe mais on arrivait à se comprendre parfaitement et nous étions très proches», dit-elle. 
Devant poursuivre ses études loin de Tanger, El Youssoufi obtient difficilement une bourse et gagne le collège de Marrakech. A cette époque, l’oppression coloniale règne sur la ville ocre. C’est alors ici que germe chez Si Abderrahmane une certaine conscience politique. «Je ne suis pas monté une seule fois dans un autobus de Marrakech sans que je n’assiste à une scène de racisme de bas étage qui provoquait une répulsion chez les gens qui avaient une sensibilité profonde. Alors arrivé à un certain âge, tout cela m’a mené à prendre conscience et à m’engager à fond», explique-t-il. Prise de conscience à Marrakech, engagement politique à Rabat, puisqu’après l’étape de Marrakech, El Youssoufi rejoint le collège Moulay Youssef de Rabat. Et c’est Mehdi Ben Berka qui remarque El Youssoufi et le fait rentrer au parti de l’Istiqlal. Ben Berka était déjà un dirigeant de renom. Grâce à son dynamisme légendaire et à ses talents d’organisateur, le collège Moulay Youssef devient une pépinière du nationalisme. Tractes, articles, études, c’est Mehdi qui approvisionnait les cellules du parti en littérature patriotique, laquelle empruntait en suite des chemins inattendus. 
Le 11 janvier 1944, date cruciale du nationalisme marocain. 32 ans après le traité du protectorat imposé au Royaume, l’Istisqlal présente le Manifeste de l’indépendance qui se heurte à une réaction brutale des autorités coloniales. Mais aux arrestations massives répondent partout des manifestations de protestation. Les élèves du collège Moulay Youssef sont en première ligne et Abderrahmane El Youssoufi compte tout naturellement parmi les meneurs. «Les sanctions n’ont pas tardé», explique-t-il. «J’ai été renvoyé du collège le 29 janvier et rayé de l’ensemble des établissements», raconte El Youssoufi qui rappelle qu’après cela, «j’ai dû partir dans des villes où j’avait des amis, comme Safi, El Jadida et surtout Casablanca  où j’ai pu retrouver des dirigeants du parti qui m’ont confié la mission de l’alphabétisation des ouvriers de l’entreprise sucrière mais cela n’était en effet qu’une couverture pour pouvoir prendre contact avec les ouvriers». «J’ai alors pu constituer des cellules dans les différentes usines du quartier industriel et c’est comme ça que le Parti de l’Istiqlal a constitué un véritable réseau politique qui permettait d’encadrer les ouvriers». «A l’époque j’avais une bicyclette qui n’avait même pas de pneumatique, elle avait une espèce de rondelle en caoutchouc. Et c’est comme ça que j’allais de la médina de Casablanca jusqu’à l’usine sucrière», se remémore Si Abderrahmane.Et d’ajouter : «A cette époque, j’étais un tangérois un peu traditionaliste, j’avais toujours mon «tarbouche» et surtout ma «djellaba» qui, avec l’effet du vent, constituait une sorte de parachute qui m’empêchait d’avancer avec mon vieux vélo. Un jour, une voiture de soldats américains passe à côté de moi et me fauche dans le bas-côté de la route. J’ai alors décidé de quitter la djellaba ce jour-là et depuis, je me suis toujours habillé à l’européenne jusqu’à ce que j’ai eu à remettre mes habits traditionnels pour des raisons protocolaires».   
A la fin des années 1940, la France est un passage obligé pour les Marocains qui veulent faire des études supérieures. Paris est certes la métropole coloniale mais aussi la capitale de la lutte anticolonialiste. Pour mieux combattre l’adversaire, futur partenaire, il convient de séduire, de convaincre l’autre France, la France de la révolution et des droits de l’Homme. El Youssoufi a alors 25 ans. Cet enfant de Tanger parle plusieurs langues mais ne connaît le monde qu’en se frottant aux puissances qui occupent son pays. Jamais il n’avait mis les pieds à l’étranger avant de faire le voyage vers Paris où il s’active au sein de l’antenne de l’Istiqlal qui rassemblait la plupart de ceux qui dirigeront le Maroc indépendant. Les jeunes Marocains de Paris espéraient à l’époque donner à leur action diplomatique un retentissement international lorsque l’ONU se réunissait en 1948 au Palais d’Orsay dans la capitale française. «J’étais présent à l’époque et c’était une session importante pour nous parce que la situation politique au Maroc s’était aggravée et que nous étions arrivés à demander l’inscription de la question marocaine à l’ordre du jour de l’assemblée générale», explique El Youssoufi.  
C’est à partir d’ici qu’a commencé chez Si Abderrahmane un long combat pour la démocratie et les droits de l’Homme qui l’a animé tout au long de sa carrière politique. Une carrière durant laquelle il a notamment joué un rôle important dans la promotion de la culture des droits de l’Homme dans le monde arabe à un moment où ces droits étaient considérés comme relevant de l’idéologie bourgeoise. Il est d’ailleurs l’un des fondateurs de l’Organisation arabe des droits de l’Homme. Les peuples d’Afrique du Nord, en particulier l’Algérie, se souviennent également de ses services rendus dans la lutte contre le colonialisme et les peuples arabes se souviennent aussi de ses plaidoiries dans les forums internationaux pour défendre leurs justes causes, notamment la cause palestinienne. 
 


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