Quid de la diaspora marocaine ?

L’exemple vient de l’UE à travers la mise en place de structures institutionnelles, d’un cadre légal et de stratégies claires


Hassan Bentaleb
Jeudi 4 Septembre 2025

Quid de la diaspora marocaine ?
Dans un monde où les frontières bougent et les populations se déplacent comme jamais auparavant, la relation entre un pays et sa diaspora prend une importance cruciale. Un récent rapport, intitulé «Tendre la main: Comment les Etats membres de l’Union européenne engagent leurs diasporas», plonge au cœur de cette dynamique en offrant un panorama riche et précis des politiques, institutions et initiatives mises en œuvre au sein des 27 pays de l’UE. De la protection des droits à la valorisation économique, ces approches variées dessinent un tableau vivant de l’engagement envers ces communautés aux quatre coins du globe.

Ce regard croisé offre aussi un précieux enseignement pour des pays comme le Maroc, dont la diaspora, vaste et diverse, joue un rôle essentiel non seulement dans le maintien de liens culturels, mais aussi dans le développement économique et social.
 
Institutions dédiées: un maillage dense en Europe, une structure en construction au Maroc
 
Le rapport recense en Europe pas moins de 97 institutions publiques dédiées à la diaspora, chargées de défendre les droits des citoyens expatriés, de leur fournir des services consulaires et d’élaborer des politiques de soutien visant à maintenir et renforcer leurs liens avec le pays d’origine. Ces structures vont souvent de pair avec des institutions liées — telles que des instituts culturels et éducatifs — qui, tout en ne se consacrant pas exclusivement à la diaspora, offrent des services essentiels, notamment dans les domaines de la langue et de la culture.

Au Maroc, la mobilisation institutionnelle de la diaspora est plus récente et encore en devenir. Le pays bénéficie pourtant d’une diaspora estimée à plusieurs millions de Marocains à travers le monde, notamment en Europe. Les politiques publiques marocaines ont développé à cet égard des initiatives culturelles et économiques, mais la structuration institutionnelle dédiée aux Marocains du monde reste moins systématique et institutionnalisée qu’en Europe.

Dans son livre «Politiques migratoires marocaines en débat ; défis internes et enjeux externes (2013-2018)», Abdelkrim Belguendouz, académicien et chercheur en migration, indique que «l’absence persistante d’une stratégie nationale globale, cohérente et intégrée concernant les MRE constitue une faille majeure dans la gouvernance migratoire du Royaume. «Malgré des tentatives éparses et des dispositifs énoncés dans divers rapports, l’incohérence des actions et la fragmentation institutionnelle limitent considérablement l’efficacité des politiques migratoires. Cette situation alimente une gestion souvent réactive, dépourvue de vision d’ensemble et incapable de répondre aux besoins évolutifs des MRE et aux enjeux stratégiques liés à la migration », précise-t-il.
 
Cadres législatifs et politiques : diversité en Europe, perspectives pour le Maroc
 
En Europe, 57 lois et stratégies globales liées à la diaspora sont actuellement en vigueur, avec 13 Etats membres disposant d’un cadre juridique et stratégique spécifique. Ces dispositifs encouragent la conservation des liens culturels, facilitent l’intégration dans les pays d’accueil, soutiennent le retour volontaire et la réintégration, tout en promouvant la participation civique et politique des diasporas.

Le Maroc s’inscrit dans un processus similaire avec la mise en œuvre, ces dernières années, d’une stratégie visant à encourager le retour des compétences et à renforcer la participation économique et politique des Marocains installés à l’étranger. Toutefois, l’absence d’une loi-cadre globale dédiée à la diaspora laisse la place à une approche plus fragmentée et moins coordonnée, nécessitant une meilleure structuration et un encadrement législatif plus précis pour répondre aux défis actuels. D’après Abdelkrim Belguendouz, « le cadre légal marocain en matière migratoire montre son obsolescence face aux réalités actuelles. La loi sur le Conseil Royal consultatif des marocains résidant à l’étranger (CCME), la révision attendue de la Fondation Hassan II pour les MRE, la loi sur l’asile, ainsi que la loi 02-03 relative à l’entrée et au séjour des étrangers nécessitent une refonte profonde pour aligner la législation marocaine sur les standards internationaux et les objectifs constitutionnels (article 163)». Et d’ajouter que «sans ces réformes, le cadre institutionnel reste bancal, multipliant les zones d’ombre juridiques et les incohérences pratiques».
 
Pratiques et initiatives plurielles : culture, éducation, économie
 
L’Union européenne recense plus de 107 initiatives distinctes portées par les diasporas, touchant des domaines aussi variés que la culture, l’éducation, l’identité, la jeunesse, la finance et l’emploi. La culture se distingue comme le vecteur majeur de cette mobilisation, avec une multitude de programmes linguistiques, compétitions artistiques ou camps d’été destinés à renforcer un sentiment d’appartenance.

Du côté marocain, la diaspora est particulièrement active dans les domaines économiques — investissements, création d’entreprises et transferts de fonds — tout en développant des projets culturels qui participent à préserver l’identité. Certaines initiatives innovent, notamment via des plateformes numériques. Toutefois un soutien institutionnel plus structuré permettrait d’amplifier ces dynamiques.

Abdelkrim Belguendouz indique, de son côté, que « la gouvernance du dossier migratoire souffre également d’une gestion parfois chaotique et décentralisée. Les institutions clés comme le CCME, la Fondation Hassan II, le Conseil européen des oulémas marocains ou la CNSS en charge des droits sociaux des MRE, opèrent souvent de manière cloisonnée. Cette fragmentation se traduit par des doublons, des conflits institutionnels et un suivi insuffisant des droits, qui fragilisent la confiance des migrants envers leurs représentants institutionnels ».
 
Tendances régionales en Europe et positionnement stratégique du Maroc
 
Le rapport souligne une typologie régionale des stratégies diasporiques. En Europe de l’Est et du Sud, l’engagement avec la diaspora s’appuie sur des campagnes d’affirmation identitaire et des programmes de retour, essentiels à la relance démographique et économique.

Les pays baltes focalisent leurs efforts sur la culture et le transfert de compétences, profitant des technologies numériques. En Europe occidentale, l'engagement est souvent plus limité, mais la France et l’Irlande se démarquent par des initiatives économiques et culturelles structurées. Les pays nordiques optent pour une approche plus sécurisée, s’appuyant sur des accords multilatéraux concernant la protection sociale.
 
Vers une politique diasporique intégrée et partagée
 
Pour Abdelkrim Belguendouz, l’ensemble des insuffisances démontre l’urgence d’une réforme profonde de la politique migratoire marocaine, qui doit aller bien au-delà des effets d’annonce. Il est impératif de bâtir une stratégie nationale inclusive, cohérente, fondée sur une gouvernance intégrée, un cadre juridique modernisé, et un engagement sociétal fort pour relever les défis migratoires à la hauteur des aspirations des Marocains résidant à l’étranger et des exigences du Maroc contemporain.

Pour lui, «l’apprentissage des bonnes pratiques européennes, adaptées au contexte marocain, pourrait favoriser ce cheminement, en assurant un véritable partenariat gagnant-gagnant avec sa diasporadans un monde de plus en plus connecté et mouvant». Et de conclure que «ce rapport invite à repenser la gouvernance diasporique comme un levier fondamental de développement et rapprochement entre les pays d’origine et les communautés à l’étranger, tout en soulignant la nécessité d’une stratégie claire, inclusive et agile».

Hassan Bentaleb


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