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Les dirigeants occidentaux sont parfaitement conscients des dangers d’une victoire russe en Ukraine. «Lorsqu’on laisse les dictateurs et les autocrates en faire à leur guise en Europe, le risque d’implication directe des États-Unis s’accroît», a récemment fait remarquer le président des Etats-Unis, Joe Biden.
«Et les conséquences – ajoute-t-il, – se répercutent dans le monde entier». Quelques semaines plus tôt, il a lancé : «Si [le président russe, Vladimir] Poutine, attaque un allié de l’OTAN, nous serons confrontés à une situation que nous ne recherchons pas et que nous ne connaissons pas aujourd’hui : des troupes américaines combattant des troupes russes». De même, Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l’Alliance, a récemment averti: «Si Poutine gagne en Ukraine, il existe un risque réel que l’agression ne s’arrête pas là».
Jouons donc les Cassandre. Les Etats-Unis ne sont pas parvenus à verser les 60 milliards de dollars d’aides qu’ils avaient promis à l’Ukraine, et l’Union européenne s’est de même avérée incapable de tenir sa promesse d’un versement de 50 milliards d’euros (environ 55 milliards de dollars). Ces échecs n’ayant d’autre source que la politique intérieure, le charisme et la persuasion du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, pas plus que le courage et la persévérance des soldats qui combattent sous les ordres du général Valeri Zaloujny, ne sauraient ici changer la donne.
Supposons que l’aide ne se matérialise jamais. Faute d’armes et de munitions en quantités suffisantes, l’armée ukrainienne serait finalement contrainte de capituler devant la Russie. Comme l’a récemment fait remarquer le commentateur Simon Kuper, la Russie a d’ores et déjà perpétré «des exécutions de masse, des castrations forcées, des viols, des tortures et des enlèvements d’enfants» en Ukraine, et tout porte à penser qu’une reddition ne mettrait pas fin à ces violences. Les forces de Poutine, parmi lesquelles les anciens prisonniers et les recrues mal entraînées sont nombreux, pourraient fort bien infliger une justice des vainqueurs terrible tandis qu’elles occuperaient le territoire ukrainien.
L’occupation russe ne conduirait pas nécessairement à une occupation ou à une annexion totales. On en a eu l’exemple en Crimée, et plus tard avec l’occupation partielle de Donetsk, de Louhansk, de Zaporijia et de Kherson. Poutine pourrait plutôt choisir d’installer un régime fantoche et proclamer qu’il est parvenu à faire de l’Ukraine, comme il l’annonce depuis le début, un pays «démilitarisé», «dénazifié» et «neutre».
Mais l’agenda revanchiste de Poutine s’arrêterait-il en si bon chemin? Nous pensons qu’il porterait alors ses vues sur des pays de l’OTAN – à commencer par la Pologne. Souvent ciblée par la propagande russe, la Pologne n’est pas le seul pays qui soit à la fois membre de l’Alliance atlantique et de l’Union européenne. Les électrices et les électeurs polonais ont récemment désavoué la droite populiste et élu un gouvernement très nettement favorable à l’Occident. Cela fait de la Pologne une cible prioritaire pour une invasion russe.
Il n’est pas nécessaire que des soldats officiellement russes pénètrent en Pologne. Poutine sait fort bien se ménager un espace de dénégation en employant des armées et des troupes qui servent ses intérêts par procuration, et qui entrent en action sans le moindre signe d’identification (à l’instar des «petits hommes verts» qui se sont emparés de la Crimée en 2014), brandissant les drapeaux de républiques séparatistes proclamées ad hoc. Il ne serait guère surprenant de voir un jour entrer en Pologne des soldats portant l’uniforme ukrainien, disposant de passeports ukrainiens et brandissant des drapeaux ukrainiens.
Poutine répète peut-être déjà un tel scénario. Des informations font état de prisonniers de guerre ukrainiens enrôlés pour combattre contre les forces armées ukrainiennes. Dans un reportage de l’agence RIA-Novosti, Kirill Spassky, l’un des soixante-dix prisonniers de guerre qui combattent au sein de la brigade «Khmelnitsky », décrit les prisonniers de guerre au combat et précise qu’il n’y a pas de «garde-barrière» russes, derrière eux, avec des fusils chargés pour les empêcher de déserter.
La propagande russe exploiterait le moindre incident entre l’Ukraine (ravalée au rang d’Etat fantoche, comme aujourd’hui la Biélorussie) et la Pologne, comme, par exemple, un différend sur les céréales, tout en réveillant le souvenir d’anciennes rancœurs, remontant aux massacres de Volhynie, en 1943. Le Kremlin a déjà fait courir le bruit d’une secrète volonté polonaise de reconquérir l’Ukraine occidentale. Il ne faudrait pas aller beaucoup plus loin pour prétendre que l’Ukraine, face à un conflit inévitable, n’a d’autre choix que de frapper la première. (Selon ses propres mots, Poutine a appris, dans les rues de Léningrad, sa ville natale, que «lorsqu’on ne peut éviter la bagarre, il faut frapper le premier)».
Ce récit pourrait même convaincre des Ukrainiens. Car un tel scénario commence avec l’incapacité des États-Unis à respecter leur engagement de se tenir aux côtés de l’Ukraine «aussi longtemps qu’il le faudra», et avec celle de l’Union européenne de fournir, tant s’en faut, le million d’obus pourtant promis en mars 2023. Les Ukrainiens ont fait preuve de courage, de détermination, et leur patriotisme n’a pas été pris en défaut dans la lutte contre la Russie, mais si l’aide occidentale s’assèche, ils se sentiront irrémédiablement trahis.
L’invasion de la Pologne par de faux Ukrainiens déclencherait certainement l’article 5 du traité de l’Alliance atlantique, qui stipule qu’une attaque armée contre une ou plusieurs des parties au traité «sera considérée comme une attaque contre toutes les parties». Mais il y a des raisons de croire que l’OTAN pourrait choisir de ne pas intervenir. Certains commentateurs avancent déjà des arguments qui justifieraient cette trahison. «L’article 5 n’est pas sacro-saint», écrit Kuper.
Ce ne serait pas la première fois que la Pologne serait abandonnée par ceux-là mêmes qui ont juré de la protéger. Lorsqu’en 1939 Hitler attaque la Pologne et la partage avec l’Union soviétique, les alliés de Varsovie, la Grande-Bretagne et la France, n’interviennent pas. De même, les États-Unis comme le Royaume-Uni ont esquivé l’obligation à laquelle ils étaient tenus au titre du Mémorandum de Budapest, signé en 1994, de garantir la souveraineté de l’Ukraine.
Nous dirigeons-nous, alors, vers une Troisième Guerre mondiale par forces de procuration interposées ? La Russie parviendra-t-elle non seulement à se saisir de l’Ukraine, mais à envahir la Pologne (et, potentiellement, d’autres pays), sans jamais se confronter directement à l’OTAN ? Poutine n’est-il pas passé maître dans le déni ? Les Russes ont même une expression pour signifier ce refus sans vergogne d’endosser ses responsabilités : ja nie ja («Je ne suis pas moi»).
Une telle issue n’est pas inconcevable, mais n’est pas non plus inévitable. Les Etats-Unis et l’Union européenne peuvent empêcher ce scénario de cauchemar en fournissant à l’Ukraine l’aide qu’ils lui ont promise. On peut espérer que la conscience des conséquences possibles d’un abandon de l’Ukraine fera office d’avertissement.
Par Anna Husarska
Journaliste et analyste politique polonaise
«Et les conséquences – ajoute-t-il, – se répercutent dans le monde entier». Quelques semaines plus tôt, il a lancé : «Si [le président russe, Vladimir] Poutine, attaque un allié de l’OTAN, nous serons confrontés à une situation que nous ne recherchons pas et que nous ne connaissons pas aujourd’hui : des troupes américaines combattant des troupes russes». De même, Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l’Alliance, a récemment averti: «Si Poutine gagne en Ukraine, il existe un risque réel que l’agression ne s’arrête pas là».
Jouons donc les Cassandre. Les Etats-Unis ne sont pas parvenus à verser les 60 milliards de dollars d’aides qu’ils avaient promis à l’Ukraine, et l’Union européenne s’est de même avérée incapable de tenir sa promesse d’un versement de 50 milliards d’euros (environ 55 milliards de dollars). Ces échecs n’ayant d’autre source que la politique intérieure, le charisme et la persuasion du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, pas plus que le courage et la persévérance des soldats qui combattent sous les ordres du général Valeri Zaloujny, ne sauraient ici changer la donne.
Supposons que l’aide ne se matérialise jamais. Faute d’armes et de munitions en quantités suffisantes, l’armée ukrainienne serait finalement contrainte de capituler devant la Russie. Comme l’a récemment fait remarquer le commentateur Simon Kuper, la Russie a d’ores et déjà perpétré «des exécutions de masse, des castrations forcées, des viols, des tortures et des enlèvements d’enfants» en Ukraine, et tout porte à penser qu’une reddition ne mettrait pas fin à ces violences. Les forces de Poutine, parmi lesquelles les anciens prisonniers et les recrues mal entraînées sont nombreux, pourraient fort bien infliger une justice des vainqueurs terrible tandis qu’elles occuperaient le territoire ukrainien.
L’occupation russe ne conduirait pas nécessairement à une occupation ou à une annexion totales. On en a eu l’exemple en Crimée, et plus tard avec l’occupation partielle de Donetsk, de Louhansk, de Zaporijia et de Kherson. Poutine pourrait plutôt choisir d’installer un régime fantoche et proclamer qu’il est parvenu à faire de l’Ukraine, comme il l’annonce depuis le début, un pays «démilitarisé», «dénazifié» et «neutre».
Mais l’agenda revanchiste de Poutine s’arrêterait-il en si bon chemin? Nous pensons qu’il porterait alors ses vues sur des pays de l’OTAN – à commencer par la Pologne. Souvent ciblée par la propagande russe, la Pologne n’est pas le seul pays qui soit à la fois membre de l’Alliance atlantique et de l’Union européenne. Les électrices et les électeurs polonais ont récemment désavoué la droite populiste et élu un gouvernement très nettement favorable à l’Occident. Cela fait de la Pologne une cible prioritaire pour une invasion russe.
Il n’est pas nécessaire que des soldats officiellement russes pénètrent en Pologne. Poutine sait fort bien se ménager un espace de dénégation en employant des armées et des troupes qui servent ses intérêts par procuration, et qui entrent en action sans le moindre signe d’identification (à l’instar des «petits hommes verts» qui se sont emparés de la Crimée en 2014), brandissant les drapeaux de républiques séparatistes proclamées ad hoc. Il ne serait guère surprenant de voir un jour entrer en Pologne des soldats portant l’uniforme ukrainien, disposant de passeports ukrainiens et brandissant des drapeaux ukrainiens.
Poutine répète peut-être déjà un tel scénario. Des informations font état de prisonniers de guerre ukrainiens enrôlés pour combattre contre les forces armées ukrainiennes. Dans un reportage de l’agence RIA-Novosti, Kirill Spassky, l’un des soixante-dix prisonniers de guerre qui combattent au sein de la brigade «Khmelnitsky », décrit les prisonniers de guerre au combat et précise qu’il n’y a pas de «garde-barrière» russes, derrière eux, avec des fusils chargés pour les empêcher de déserter.
La propagande russe exploiterait le moindre incident entre l’Ukraine (ravalée au rang d’Etat fantoche, comme aujourd’hui la Biélorussie) et la Pologne, comme, par exemple, un différend sur les céréales, tout en réveillant le souvenir d’anciennes rancœurs, remontant aux massacres de Volhynie, en 1943. Le Kremlin a déjà fait courir le bruit d’une secrète volonté polonaise de reconquérir l’Ukraine occidentale. Il ne faudrait pas aller beaucoup plus loin pour prétendre que l’Ukraine, face à un conflit inévitable, n’a d’autre choix que de frapper la première. (Selon ses propres mots, Poutine a appris, dans les rues de Léningrad, sa ville natale, que «lorsqu’on ne peut éviter la bagarre, il faut frapper le premier)».
Ce récit pourrait même convaincre des Ukrainiens. Car un tel scénario commence avec l’incapacité des États-Unis à respecter leur engagement de se tenir aux côtés de l’Ukraine «aussi longtemps qu’il le faudra», et avec celle de l’Union européenne de fournir, tant s’en faut, le million d’obus pourtant promis en mars 2023. Les Ukrainiens ont fait preuve de courage, de détermination, et leur patriotisme n’a pas été pris en défaut dans la lutte contre la Russie, mais si l’aide occidentale s’assèche, ils se sentiront irrémédiablement trahis.
L’invasion de la Pologne par de faux Ukrainiens déclencherait certainement l’article 5 du traité de l’Alliance atlantique, qui stipule qu’une attaque armée contre une ou plusieurs des parties au traité «sera considérée comme une attaque contre toutes les parties». Mais il y a des raisons de croire que l’OTAN pourrait choisir de ne pas intervenir. Certains commentateurs avancent déjà des arguments qui justifieraient cette trahison. «L’article 5 n’est pas sacro-saint», écrit Kuper.
Ce ne serait pas la première fois que la Pologne serait abandonnée par ceux-là mêmes qui ont juré de la protéger. Lorsqu’en 1939 Hitler attaque la Pologne et la partage avec l’Union soviétique, les alliés de Varsovie, la Grande-Bretagne et la France, n’interviennent pas. De même, les États-Unis comme le Royaume-Uni ont esquivé l’obligation à laquelle ils étaient tenus au titre du Mémorandum de Budapest, signé en 1994, de garantir la souveraineté de l’Ukraine.
Nous dirigeons-nous, alors, vers une Troisième Guerre mondiale par forces de procuration interposées ? La Russie parviendra-t-elle non seulement à se saisir de l’Ukraine, mais à envahir la Pologne (et, potentiellement, d’autres pays), sans jamais se confronter directement à l’OTAN ? Poutine n’est-il pas passé maître dans le déni ? Les Russes ont même une expression pour signifier ce refus sans vergogne d’endosser ses responsabilités : ja nie ja («Je ne suis pas moi»).
Une telle issue n’est pas inconcevable, mais n’est pas non plus inévitable. Les Etats-Unis et l’Union européenne peuvent empêcher ce scénario de cauchemar en fournissant à l’Ukraine l’aide qu’ils lui ont promise. On peut espérer que la conscience des conséquences possibles d’un abandon de l’Ukraine fera office d’avertissement.
Par Anna Husarska
Journaliste et analyste politique polonaise