Les pénitenciers marocains n'en peuvent plus. Les détenus non plus

Les peines alternatives, cela fait longtemps qu'on en parle


Hassan Bentaleb
Jeudi 4 Février 2021

En attendant, on continue d'incarcérer pour des délits mineurs

Les rapports se succèdent, mais le constat est le même : Nos établissements pénitentiaires restent gravement surpeuplés. Une récente mission parlementaire de prospection au niveau de trois prisons (Toulal 1 à Meknès, Moul Barki à Safi et Oukacha à Casablanca) vient également de confirmer cette réalité. Selon cette mission, le complexe pénitentiaire d'Aïn Sebaa (Oukacha) est considéré comme faisant partie des prisons les plus surpeuplées du Royaume en raison de la nature de son emplacement et de sa présence dans la plus grande ville marocaine en termes de densité de la population. Les individus en détention provisoire représentent un taux important du nombre des personnes détenues. Ce nombre élevé oblige l'établissement pénitentiaire, précise le rapport, à se concentrer sur la gestion de la période de détention et à occulter le volet réinsertion en privant les détenus d'une formation professionnelle ou de la poursuite de leurs études. Le problème de surpeuplement faisait également partie des observations des membres de la mission concernant la prison locale Toulal 1 de Meknès qui connaît une forte surpopulation au niveau des quartiers pénitentiaires, en particulier ceux qui comprennent des détenus de «classe A», où chaque chambre contient douze détenus, alors qu'il n'y a que huit lits en béton, ce qui signifie qu'elles abritent quatre prisonniers au-delà de leurs capacités d’accueil. Les parlementaires ont également relevé l'existence de problèmes d'hygiène et de ventilation concernant les quartiers visités par les membres de la mission ainsi que l'absence d'espace d'attente pour les visiteurs à l'extérieur de l'établissement pénitentiaire. Ils ont aussi noté dans leur rapport l'incapacité de l'administration pénitentiaire de Toulal 1 à répondre aux demandes croissantes d'hospitalisation des détenus, et les graves difficultés que rencontrent ces derniers pour obtenir un rendez-vous médical externe, notamment lorsqu'il s'agit d'un examen spécialisé. Même son de cloche quant à la prison de Moul Barki à Safi où le rapport fait état d'un surpeuplement qu'il qualifie d'«horrible» au niveau de l'aile des prisonniers«20D», que ce soit en ce qui concerne le nombre de détenus dans chaque cellule ou au niveau de la cour allouée à cette aile. Le rapport ajoute que les membres de la mission de prospection ont constaté, lors de leur visite à l'aile des détenus de droit commun, «la présence de prisonniers en grand nombre, ce qui pose de multiples problèmes au niveau de la sécurité et de la gestion de ces effectifs dans une zone géographique limitée qui ne correspond pas à leur nombre". Qui est responsable de cette situation ? Faut-il pointer du doigt la Délégation générale à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion (DGAPR) ? « Absolument pas », nous a répondu Ahmed, un avocat casablancais. Et de poursuivre : « La responsabilité du surpeuplement de nos prisons est partagée entre plusieurs parties et la DGARP n’assume aucune responsabilité directe dans cette situation. Ladite délégation est plutôt victime de cette situation qui entrave et handicape son travail. En effet, la délégation a entrepris plusieurs actions (construction de nouvelles infrastructures,réaménagement et réhabilitation des prisons existantes, mise en place de programmes spéciaux pour les islamistes, les mineurs et les étudiants, entre autres, amélioration de la situation des fonctionnaires…). Mais, ces efforts restent peu médiatisés et sont souvent occultés par le problème du surpeuplement ». Pour notre interlocuteur, plusieurs parties sont responsables de cette situation dont le législateur. « Notre politique pénale sanctionne une multitude d’actions même les plus banales (mendicité, vagabondage,…), à tel point que 50% des personnes incarcérées, selon certains rapports, le sont pour des délits mineurs (contrainte par corps, accident de la route, chèque sans provision… ) ». Même évaluation de la part de Samir Aït Arjdal, président du Centre marocain du traitement législatif et la gouvernance judiciaire (CMTLGJ) qui estime qu’il faut lier la question du surpeuplement des prisons à la révision du Code pénal. Autrement dit, tant qu’on ne disposera pas d’un nouveau Code bien développé avec des peines alternatives, le problème de surpeuplement demeurera.En outre, il refuse de lier ce problème au travail des juges. Mais qu’en est-il de la réforme du Code pénal tant promue par Ramid ? « La révision du Code pénal reste encore un projet au Parlement faute d’unanimité sur des questions qui combinent le juridique et le volet des droits de l’Homme (peine de mort, avortement, coercition…) », nous a fait savoir le président du CMTLGJ. Ahmed estime que ce blocage est dû en grande partie à la méthodologie suivie par Ramid qui n’a pas été,selon lui, la plus adéquate. D’autant plus que le contexte actuel exige d’insérer de nouvelles questions et problématiques juridiques.«La question de surpeuplement de nos prisons a encore de beaux jours devant elle puisqu’elle ne fait pas partie des priorités de l’Etat actuellement. Pis, elle demeure encore une question élitiste marquée par son côté technique. Un débat fortement accaparé par les juges et les avocats», a-t-il souligné. De son côté, Samir Aït Arjdal soutient que le problème est plus compliqué puisque le pénal est par essence une matière fortement marquée par la multiplication des intervenants comme c’est le cas pour la politique pénale qui connaît la multiplication des acteurs (publics et privés) et qui constitue une partie intégrante de ce problème de surpeuplement.« La solution demeure la mise en place de peines alternatives et l’élargissement des établissements pénitentiaires en créant de nouvelles prisons. Le rôle du Parlement est également important puisque c’est cette institution qui promulgue les lois », a-t-il conclu. 


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