Les chiffres effarants et les pourcentages alarmants du chômage

L’emploi au Maroc entre dépendance européenne et urgence de transformation


Hassan Bentaleb
Lundi 29 Septembre 2025

Les chiffres effarants et les pourcentages alarmants du chômage
« En 2025, le marché du travail marocain se situe à une croisée des chemins critique, confronté à un équilibre fragile entre perspectives d’investissement prometteuses et défis structurels profonds. Ce contexte complexe appelle à une lecture approfondie des dynamiques en jeu, qui révèlent autant d’atouts que de vulnérabilités ». C’est ce qui ressort du rapport du Centre africain pour les études stratégiques et la digitalisation (CAESD) publié dernièrement et  intitulé : «Le marché du travail marocain à la croisée des chemins : entre fragilité de la dépendance externe et nécessité des transformations futures».
 
Des chiffres inquiétants sous-jacents aux réalités sociales
 
Selon ce rapport, «le taux de chômage structurel, qui atteint 13,3% au niveau national, devient alarmant envers les jeunes (avec 37%) et les femmes (20%). Cette situation reflète une fracture générationnelle et de genre dans l’accès à l’emploi. Par ailleurs, la faible participation économique — seulement 43% de la population active, avec une implication féminine inférieure à 18% — aggrave les difficultés sociales et freine le plein potentiel économique».

Au-delà de l’accès à l’emploi, «la qualité pose problème : plus des deux tiers des emplois se situent dans le secteur informel, caractérisé par l’absence de protection sociale et la prévalence du travail à temps partiel non désiré. Ce phénomène nourrit une précarité accentuée, dans un pays où le tissu économique peine à générer des emplois formels et durables », précise ledit rapport. Et d’ajouter que « la géographie de l’emploi est inégalement répartie. Les régions côtières et les grandes villes concentrent la majorité des opportunités professionnelles, tandis que les zones intérieures sont marginalisées. Cette disparité accroît la migration interne, alimentant un engorgement urbain souvent synonyme de difficultés sociales et économiques pour les métropoles ».
 
Une économie marquée par la dépendance et des menaces structurelles
 
L’un des talons d’Achille de l’économie marocaine, poursuivent les rédacteurs dudit rapport,   reste sa forte dépendance au marché européen, notamment dans l’industrie automobile où plus de 80% des exportations sont dirigées vers la France et l’Espagne. Cette dépendance expose le pays à des risques majeurs, dont les politiques actuelles de relocalisation industrielle, la transition rapide vers les voitures électriques, et surtout l’introduction de la taxe carbone européenne.

« Ces facteurs directifs risquent de fragiliser encore davantage un secteur semi-industrialisé, d’autant plus que la faiblesse des chaînes de valeur locales réduit considérablement les retombées économiques nationales réelles. Le Maroc, malgré ses progrès, doit encore renforcer sa capacité à internaliser les bénéfices générés par ses activités industrielles», expliquent-ils. Et de préciser : «Du côté des services, le secteur des centres d’appels, qui repose à 80% sur le marché français, illustre aussi cette vulnérabilité. De nouvelles régulations pourraient entraîner des pertes substantielles, signalant une fragilité plus large du modèle basé sur l’externalisation vers l’Europe».
 
Des transformations à venir dans un monde en mutation
 
Avec l’éclatement possible de la bulle des emplois liés au modèle actuel du facteur travail après 2030, le CAESD soutient que «l’heure est à l’anticipation et à la préparation d’un nouveau paradigme. L’automatisation par l’intelligence artificielle et les robots annonce une substitution massive des emplois routiniers. Elle crée aussi une forte demande en compétences techniques et créatives, appelant à une refonte profonde de la formation professionnelle ». 

Parallèlement, ajoute-t-il,  la transition écologique expose l’agriculture et le tourisme côtier à des risques considérables, mais ouvre aussi la voie à une économie verte capable de générer un demi-million d’emplois durables à long terme. 

Par ailleurs, l’essor du travail indépendant et de l’économie des missions transforme les relations professionnelles, imposant des législations plus flexibles et une protection sociale adaptée à ces nouvelles réalités mobiles.
 
Le Maroc face aux défis de la compétition internationale
 
La montée en puissance de la concurrence africaine, incarnée par l’Ethiopie ou le Ghana dans les industries légères, oblige le Maroc à repenser sa stratégie pour conserver sa place de hub industriel, alerte ledit document. Le pays manque pour le moment d’une stratégie asiatique visant à attirer les grands investisseurs dans les secteurs à forte valeur, tels que l’électronique et l’automobile.

En parallèle, ses ports offrent un potentiel logistique important pour devenir des alternatives dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, mais cela nécessite des investissements significatifs dans la numérisation et les infrastructures intelligentes.
 
Rupture, crise et ajustement progressif
 
Trois scénarios se dessinent, selon les experts du CAESD. Un scénario optimiste de rupture, intégrant transformation écologique, numérique et réforme éducative, pourrait générer un million d’emplois qualifiés à haute valeur ajoutée d’ici 2040. 
A l’inverse, un scénario de crise, fondé sur la poursuite d’une forte dépendance européenne, pourrait provoquer une vague de chômage historique après 2030. 
Enfin, un scénario intermédiaire, marqué par une diversification partielle sans réformes structurelles majeures, maintiendrait l’économie dans un état de vulnérabilité chronique, compromettant son dynamisme à long terme.
 
Un mouvement ouvrier en pleine mutation
 
Le paysage syndical marocain est lui aussi en mutation, indiquent-ils. Selon eux, « le taux d’adhésion stagne autour de 3%, tandis que le travail indépendant, souvent hors cadres traditionnels, gagne du terrain. Cela invite les syndicats à innover et à s’adapter à de nouveaux enjeux, comme le droit à la déconnexion numérique, la protection des données personnelles et la transparence des algorithmes utilisés dans le monde du travail ».
 
Un outil d'analyse essentiel face aux mutations économiques et sociales
 
Pour le Dr Soumaya Belkasseh, docteure en sciences de gestion de l’Université Paris-Saclay, le rapport du CAESD constitue - dans un contexte marqué par des transformations économiques, sociales et technologiques majeures- un outil d’analyse pertinent pour appréhender l’état actuel du marché de l’emploi au Maroc.  « Au-delà du diagnostic, ce rapport offre également une base judicieuse pour identifier des menaces structurelles, telles que l’effervescence de l’intelligence artificielle, les avancées en robotique, la transition écologique et la montée des emplois atypiques. Néanmoins, le pays pourrait transformer ces menaces en opportunités de développement économique et social durable », indique-t-elle.  Et d’expliquer : « A mon sens, nous avons besoin d’un modèle de développement durable, indépendant et inclusif qui place le capital humain au cœur des priorités afin de garantir une croissance pérenne ».

D’après elle, « la fragilité de l’emploi, si elle est abordée avec lucidité et ambition, peut en effet devenir un levier de réajustement des politiques publiques en matière de développement économique, d’éducation, de protection sociale et de responsabilité sociale des entreprises ».
 
Des secteurs porteurs, mais toujours fragilisés par leur dépendance à l'Europe
 
Par ailleurs, elle a avancé que «le développement économique, soutenu par d’importants projets créateurs d’emplois dans le BTP, l’industrie et le tourisme, suscite un optimisme qu’il convient néanmoins de tempérer et de replacer dans son contexte ». « En effet, soutient-elle, ces secteurs porteurs de potentiel restent vulnérables en raison d’une forte dépendance aux marchés européens, qui orientent de plus en plus leurs politiques vers la promotion d’une production locale et durable. Des réformes telles que l’instauration de la taxe carbone européenne, la transition vers les véhicules électriques ou la rentrée en vigueur en France de la loi démarchage téléphonique non consenti, impactent directement ces secteurs au Maroc ». 
 
Coupe du monde 2030 : un levier à condition de préparer l'après

« Cette évolution, poursuit-elle, menace des milliers d’emplois dans plusieurs domaines, aujourd’hui considérés comme des sources importantes de dynamisme pour le marché du travail marocain. L’organisation de la Coupe du monde 2030 constitue un levier stratégique pour accélérer le développement économique du pays. Elle permet d'attirer des investissements massifs, de renforcer les infrastructures, et de dynamiser des secteurs clés comme le BTP et le tourisme. Cependant, sans un plan d’action concret, intégré et réaliste pour l’après-2030, les retombées positives risquent d’être de courte durée. La majorité des emplois créés lors de ces événements sont temporaires ».
 
Anticiper la transition post-événement pour une croissance durable
 
« Que deviendront-ils après 2030? s’interroge-t-elle, avant de répondre qu’« il est donc impératif d’anticiper la transition post-événement en mettant en place un programme structurant, capable de soutenir les secteurs les plus exposés, notamment le bâtiment et les travaux publics, ainsi que le tourisme, qui emploient aujourd’hui des milliers de personnes. L’objectif est de transformer l’élan ponctuel en croissance durable, en s’appuyant sur une vision à long terme ».
 
Technologie et écologie : des opportunités pour un nouveau modèle économique
 
Dans le même ordre d’idées, notre interlocutrice estime que « les transitions technologiques et écologiques doivent être saisies comme des opportunités pour transformer les menaces liées à la dépendance économique et à l’effet éphémère de la Coupe du monde en un modèle de développement durable ». « Ce modèle, précise-t-elle, doit s’appuyer sur la montée en compétences de la jeunesse, en valorisant la créativité, l’adaptabilité et l’innovation, portées par la formation continue et le partage équitable des gains de productivité. C’est à travers cet investissement humain que le pays pourra construire une économie résiliente, inclusive et tournée vers l’avenir ».
 
Réinventer le syndicalisme face aux transformations du monde du travail
 
Par ailleurs, le Dr Soumaya Belkasseh  pense que « la transformation en cours du marché de l’emploi appelle à un renouveau profond de la représentation syndicale. Face à l’évolution des aspirations des travailleurs, notamment des jeunes générations, en quête de bien-être, de sens au travail, et d’un meilleur équilibre entre vie professionnelle et personnelle, le modèle syndical traditionnel montre ses limites ». « En effet, ce déclin est accentué par l’émergence de nouvelles formes de travail flexibles, telles que le télétravail, le travail indépendant (freelance), ou encore le travail temporaire, qui redéfinissent les contours mêmes de la relation salariale. Dans ce contexte, le modèle syndical hérité peine à s’adapter et à représenter efficacement ces travailleurs aux statuts variés et aux attentes nouvelles. Il devient donc essentiel de réinventer le dialogue social, en le rendant plus agile, inclusif et connecté aux réalités contemporaines du monde du travail », observe-t-elle.
 
Construire un cadre pour un travail décent et un développement inclusif
 
Aussi, face aux défis structurels du marché du travail marocain, notre source estime qu’«il est crucial d’adopter une approche intégrée combinant des actions immédiates pour protéger les travailleurs vulnérables, notamment ceux affectés par les transformations liées à la Coupe du Monde 2030, tout en engageant des réformes profondes ». «Cela inclut la diversification des marchés pour réduire la dépendance européenne, la modernisation des cadres légaux afin d’assurer des droits sociaux adaptables aux nouvelles formes d’emploi, et le renforcement de la formation continue axée sur les compétences numériques et vertes. Par ailleurs, construire un modèle social durable passe par l’innovation sociale, notamment en réinventant l’organisation du travail afin de favoriser plus d’équité et une meilleure qualité de vie », souligne-t-elle. Et de conclure : « Pour répondre aux enjeux actuels, il est essentiel d’instaurer un cadre favorisant un travail décent et un développement économique durable, accessible à toutes les couches sociales du pays ».

Hassan Bentaleb


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