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«Le pain nu» de Mohamed Choukri : Chronique d’une enfance douloureuse


Aomar MOHELLEBI, Journaliste-écrivain (L’EXPRESSION)
Jeudi 27 Août 2009

Une enfance aussi pénible, il en existe des tas, mais celle que raconte l’écrivain marocain, Mohamed Choukri, est vraiment atypique.
Ce roman, qui ne cesse d’être réédité parce que très lu et considéré, à juste titre, comme un classique, nous plonge dans un monde où la souffrance n’a pas de limite. A telle enseigne que vivre sans endurer devient utopique. D’abord, quelques détails préliminaires sur Mohamed Choukri. Jusqu’à l’âge de vingt ans, ce dernier ne savait ni lire ni écrire. Il était analphabète. Il faut dire qu’avant cet âge-là, il ignorait jusqu’à l’existence des chiffres et des lettres. Ceci a fait de lui un auteur spécial. Sur toutes les couvertures de ses livres, l’éditeur n’oublie jamais de mettre en avant ce détail. Mohamed Choukri est donc devenu écrivain «in extremis». A aucun moment de sa biographie, il n’a rêvé de finir auteur et comment pouvait-il rêver? Lui, l’enfant battu tous les jours par un père, dont la place devait être dans un asile psychiatrique, un père qu’on ne pourrait même pas juger, tant ses actes dépassaient tout entendement. Comment Mohamed Choukri pouvait-il formuler des rêves après avoir assisté, en direct, à la mort de son frère ? Une mort causée par ce père tyrannique. En effet, le père, dans un accès de colère bat son fils jusqu’à le tuer. Un secret que Mohamed Choukri a dû cacher dans ses tréfonds jusqu’au jour où il décide de tout déballer en écrivant son roman.
La vie n’a pas été tendre avec Mohamed Choukri, c’est peu dire. Car, en plus du diktat du père, l’enfance de Mohamed est accompagnée en permanence par le fantôme de la faim. Cette hantise qui fait de tout enfant, un adulte prématuré. Mohamed Choukri n’a même pas eu le temps de souffrir vraiment, car il a tout le temps faim. Et quand on a faim, on doit d’abord se procurer de la nourriture avant même de pouvoir penser. Une nourriture qu’il ira souvent chercher dans les poubelles. Ses compagnons d’infortune lui disent un jour, qu’il y a des choses intéressantes à se mettre sous la dent dans les poubelles «européennes». Il va alors fouiner dans ces dernières, avec bonheur.
Quand on a faim, on n’a pas peur de tomber malade. La vie de Mohamed Choukri est une course contre la montre, une véritable malédiction, un triste sort qui ne se cesse de rebondir. A certains moments, le lecteur se demande si l’auteur n’exagère pas. Devant tant d’épreuves, il y a de quoi rester pantois! Un enfant peut-il subir autant et s’en sortir? Mohamed Choukri arrive au bout du tunnel après tous ces traumatismes. Il s’en sort avec des séquelles certes, mais tout en raffermissant sa personnalité. Le roman de Mohamed Choukri ne subjugue pas. Il émeut. Plusieurs fois, on a envie d’interrompre la lecture. Mais les faits se succèdent à une vitesse inouïe. On n’a pas le temps de s’attarder sur une peine, qu’une autre plus profonde surgit à la page suivante, parfois dans la même page.
Des épisodes du roman sont insoutenables, d’autant plus que l’auteur a su restituer l’innocence de l’enfant qu’il fut. Une pureté qui n’est pas altérée, malgré toutes les vicissitudes affrontées. L’enfant, tout en demeurant ange, ne cesse de découvrir les diables qui se cachent derrière chaque masque porté par les adultes.
Quand enfin il se rend compte de la versatilité et de la cruauté des grandes personnes, il constate que lui aussi est devenu adulte. Il ne peut plus revenir en arrière. Il doit devenir, à son tour et à son corps défendant, un diable. Mohamed Choukri, bien avant d’atteindre l’âge de dix-sept ans, a connu tous les fléaux: les réseaux de prostitution, le vol; l’errance le travail au noir (et c’est le père qui encaisse le modique salaire) et la prison. C’est dans la cellule qu’il se rend compte de son analphabétisme un jour qu’un compagnon se met à lui réciter des vers du poète tunisien Abou EI Kacem Echabi. Devant la sonorité des phrases prononcées, Mohamed Choukri reste admiratif. Il demande qu’on lui explique le sens. Il comprend qu’on ne peut pas dire de telles expressions si on n’est pas instruit. Il se résout à apprendre à lire, puis à écrire.
C’est ce moment-là que le grand changement survient dans sa vie. Il passe enfin de la rive de l’enfer vers une autre. Pas forcément celle du paradis, puisqu’un paradis qui n’a pas été vécu dans l’enfance ne sera jamais vécu! Mais Mohamed Choukri devient un écrivain traduit dans plusieurs langues. Son décès au milieu des années 1990, a laissé un vide immense dans le monde littéraire maghrébin. A Tanger où il a vécu pendant longtemps, les jeunes parlent de lui comme d’une légende.


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1.Posté par alan le 01/10/2011 19:51
Merci pour ces infos .. cela me donne envie de le lire pour mieux comprendre encore ..

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