Le livre : Théocratie populiste, L’alternance, une transition démocratique?


Jeudi 31 Juillet 2014

Le livre : Théocratie populiste, L’alternance, une transition démocratique?
1. L’alternance : succession dynastique réussie ou transition démocratique? On a appelé alternance le leadership gouvernemental accordé à l’opposition pour un temps, au terme de tractations entre le pouvoir et la Koutla qui durèrent plusieurs années. Le projet de l’alternance consensuelle fut conçu au moins en 1992 et les élections législatives de 1993 en étaient le prélude, mais vraisemblablement la Koutla espérait une présence importante à la Chambre des députés quand le pouvoir envisageait de lui prêter le concours d’un ou de deux partis conservateurs.
Ces négociations achoppèrent sur la participation de D. Basri au gouvernement. Indésirable pour la Koutla, il était aux yeux de Hassan II le garant du « bon fonctionnement des institutions sacrées du pays », louange qu’aucun autre homme politique ne reçut du monarque. Le terme d’alternance est hâtivement utilisé puisque ce gouvernement d’union comprend, à côté des partis dits nationalistes, des partis dits de l’administration, créés pour fournir un soutien au régime entre les années 60 et 80 et qui furent fortement décriés par l’USFP, l’Istiqlal, le PPS et l’OADP pendant la même période.
L’alternance devait élargir et renforcer le consensus sur la monarchie en montrant  que celle-ci n’avait pas de préventions à l’égard de la gauche. L’USFP s’est vu offrir la primature même. Il fallait aussi liquider le passif de trente années de répression et le monarque voulait que le règne de son fils commençât sur un consensus; c’était le plus beau présent qu’il pouvait faire à son successeur. Bien entendu, Mohammed VI aurait pu régner sans difficultés particulières même si l’alternance organisée n’avait pas eu lieu.
En l’état actuel de sa puissance, le Makhzen se suffit à lui-même. Il est sûr que la fin de la Guerre froide fut parmi les facteurs qui engagèrent le pouvoir à se montrer plus inclusif mais la faillite du modèle soviétique et l’adoption du libéralisme économique par les partis socialistes européens amena aussi l’USFP à coopérer plus facilement avec la monarchie. La convergence du Makhzen avec la Koutla se fonde sur le renoncement au dirigisme et à la planification économique d’une part et à la fin de la position monopoliste de l’Etat- Makhzen dans l’économie nationale (privatisations) d’autre part. Les deux forces semblent en faveur d’une libéralisation économique mais on peut constater qu’elles sont toutes deux des néophytes de la liberté d’entreprendre et de l’encouragement des initiatives économiques et n’ont qu’une timide adhésion aux valeurs libérales. Leur conversion aux principes d’Adam Smith est à la fois récente et limitée.
Affirmer la liberté absolue d’entreprendre implique un système parlementaire réel et une justice totalement indépendante (J. Locke). Sur le plan politique, il y a la crainte partagée par la monarchie et la Koutla qu’un Makhzen hyperpuissant, lors de toute succession dynastique, peut être déstabilisant. L’USFP se présenta comme celle qui mit fin à la tyrannie et à l’arbitraire et comme la garante de l’Etat de droit; elle justifia son entrée au gouvernement par une nécessité d’ordre national et se crédita de la réduction de la répression perceptible durant les premières années du régime du Roi Mohammed VI.
Ceux qui n’étaient pas assez satisfaits du vent de liberté relative qui accompagna le gouvernement El Youssoufi  parlèrent de makhzénisation de l’USFP. Mohammed VI alla dans le sens de cette alternance : il limogea le ministre de l’Intérieur ; il voulait mettre fin au pouvoir d’un homme redouté et exécré et pour lequel il n’avait pas de sympathie particulière. Ce désaveu pour cause de frictions politiques ou personnelles devait rendre plus crédible l’idée de transition démocratique. A l’occasion de ce départ, le Premier ministre organisa une réception ; un hebdomadaire proposa à ce sujet un titre approprié: «Les dommages de l’hommage», parce que le militant de gauche offrit le thé au ministre : des ex-victimes de Driss Basri, devenues membres de cabinets ministériels durent côtoyer, et même saluer leur ancien ennemi, solidarité gouvernementale oblige. Au total, nous avons un exemple concret de la science du politique: le Roi limoge l’âme damnée du pouvoir et la gauche honore son bourreau de naguère ; le Roi est plus soucieux du droit que l’expert du droit (El Youssoufi).
Fqih Basri n’était apparemment pas partie prenante de l’accord secret entre le Palais et l’USFP et décida de ne pas en respecter les dispositions lorsqu’il vit comment il fut marginalisé par les siens alors qu’il attendait d’eux et du pouvoir un traitement égal à celui dont bénéficiait A. El Youssoufi, du moins au début de sa Primature. La publication de la lettre controversée reflétait l’antagonisme entre  membres influents de l’USFP et accélérait la perte d’influence de la Koutla; elle éroda grandement le prestige de A. El Youssoufi d’autant plus qu’il choisit de s’en prendre à la presse et d’interdire immédiatement les journaux qui la publièrent, sans passer par la justice.
Toujours est-il que la lettre était destinée à saper l’accord de gouvernement entre le pouvoir et l’USFP. Les dirigeants de l’USFP s’en tinrent à l’affirmation exclusive de la souveraineté monarchique et minimisèrent l’action du Makhzen; ils renoncèrent d’une façon inexplicable à leur articulation avec les masses qui faisait leur force et déclarèrent que ceux qui voulaient aller plus loin dans leurs pressions sur le Souverain leur affectaient un rôle différent du leur et se trompaient de parti. D’un parti de rassemblement, l’USFP en arrivait à une attitude de défiance et affirmait se passer de militants.
Le VIème Congrès de l’USFP (29 mars 2001) fut un véritable sabordage car il fallut écarter de nombreux intellectuels et des milliers de militants du parti. La Chabiba Ittihadiyya (M. Hafid) et le courant Fidélité à la démocratie (Najib Akesbi, M. Sassi, Sfiani, O. Seghrouchni), ainsi que la CDT (N. Amaoui), Abdelhamid Bouzoubaâ, membre du Bureau politique de l’USFP et n° 2 de la CDT, tous condamnèrent le VIème Congrès de l’USFP en raison de l’arbitraire que constitua la désignation de dizaines de congressistes au lieu de leur élection. Fqih Basri, Mohammed Lahbib Al Forqani et d’autres boycottèrent aussi le Congrès de la «falsification».
Le courant Fidélité à la démocratie voulait que le Congrès débattît sa plate-forme et non qu’il se limitât au seul rapport officiel. L’exercice du «pouvoir» accentua davantage la propension de l’USFP à exclure les dissidents, accusés de populisme ou de gauchisme. Dans l’opposition au gouvernement, la gauche, en particulier l’USFP, n’avait cessé de se diviser. Le Congrès devait légitimer l’expérience de l’alternance mais à quel prix! Après la défection de la CDT, l’USFP se résolut à créer son propre syndicat, la Fédération démocratique du travail (avril 2003). De sorte que si l’UNFP avait eu des problèmes avec un syndicat insuffisamment à gauche (l’UMT), l’USFP fut rarement au diapason avec la CDT.
Après le Congrès de la débâcle, vint le temps des frictions. Dans une interview au Monde (25.1.2002), A. El Youssoufi affirma «qu’en 2001, l’inflation a été inférieure à 1% et le taux de croissance s’est élevé à 6.5%». Dans le même quotidien, A. Azoulay contesta ces chiffres et critiqua la gestion du gouvernement en parlant: «des faibles performances économiques actuelles prévisibles en raison de l’inexpérience de l’équipe au pouvoir».
À quelques mois des élections législatives (septembre 2002), un conseiller du Roi très écouté en France se permit donc de fustiger le Premier ministre, s’affirmant comme un pouvoir totalement extérieur au gouvernement et révélant le caractère partisan de l’Etat puisque jamais depuis l’indépendance un conseiller royal ne s’était permis de désavouer le gouvernement qui restait toujours celui de Sa Majesté…Le comble, c’était que le gouvernement El Youssoufi appliquait scrupuleusement la politique économique du pouvoir !!


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