Le dessalement de l'eau au Maroc s'impose de facto comme la solution à la pénurie régnante

Même si l'environnement pourrait en payer le prix


Hassan Bentaleb
Lundi 19 Août 2024

Le dessalement de l'eau au Maroc s'impose de facto comme la solution à la pénurie régnante
« Le Maroc  doit prendre en considération les coûts environnementaux de la mise en place des stations de dessalement de l’eau de mer, dont les impacts environnementaux sont loin d’être anodins, et faire appel à des solutions plus durables pour éviter une crise mondiale de l’eau ». C’est ainsi que le site Vert.eco, un média français indépendant, spécialiste dans l’actualité de l’écologie, a commenté l’ambition marocaine visant à adopter ce procédé.
 
Des conséquences sur l’environnement

Selon ce site, « le dessalement s’est progressivement imposé comme la seule et inévitable alternative au manque d’eau ». En effet, le pays ambitionne,  d’ici à 2030, de produire 1,7 milliard de m3 d’eau dessalée par an grâce à une trentaine de stations. De quoi approvisionner la moitié de la population en eau potable.

Cependant, la rédaction du site soutient que cette méthode a des conséquences sur l’environnement, notamment le rejet de la saumure – une substance très concentrée en sel, mais aussi en produits chimiques utilisés pour le fonctionnement de l’usine – dans la mer après les traitements. Ce qui affectera, à long terme, la concentration en sel du système côtier. « Un phénomène qui diminue localement la quantité d’oxygène dans l’océan, mettant d’abord en péril l’une de ses fonctions essentielles, capturer le CO2. En outre, la baisse de ce gaz se répercute sur tout l’écosystème marin (espérance de vie, système immunitaire, reproduction...).

Autres problèmes et non des moindres, les quantités importantes d’énergie pour faire fonctionner ces stations. Le site donne l’exemple de celle d’Al Hoceima qui consomme 3,1 kWh par mètre cube, soit près de 20 millions de kWh par an. « L’équivalent de la consommation d’électricité d’environ 20.800 Marocain.es sur 12 mois », explique le site. Et d’ajouter : « Qui dit utilisation d’électricité, dit, dans la majorité des cas, recours aux énergies fossiles. Une étude de l’Ifri (Institut français des relations internationales) estime à au moins 120 millions le nombre de tonnes de dioxyde de carbone émis chaque année dans le monde à cause du dessalement. C’est presque autant que l’industrie textile importée dans l’Union européenne sur la même durée.

Un système traditionnel ingénieux

Pourtant, selon la rédaction dudit site, « le Royaume avait de quoi faire des envieux et cela depuis le XIIe siècle, avec ses «khettaras», un système traditionnel ingénieux se composant d’un réseau de tunnels, creusés à cinquante mètres de profondeur et conçus en rapport avec la gravité pour drainer l’eau des pluies. «Les khettaras permettaient d’irriguer les cultures et d’alimenter les villes en eau potable de façon tout à fait durable. Aucune énergie n’était consommée, l’empreinte carbone était nulle», détaille l’hydrologue Julie Trottier, directrice de recherche au CNRS, qui a notamment travaillé sur les politiques de l’eau au Maroc.

Mais progressivement, ce savoir-faire ancestral, précise le site, a été abandonné au profit de procédés plus modernes, comme des stations de pompage. La diminution de son usage coïncide avec la colonisation française (1912–1956). «Une période où les grandes entreprises ont complètement épuisé les ressources hydriques souterraines», relève  la scientifique.

Le site rappelle que « les dernières décennies ont suivi cette tendance de surexploitation. En 2008, le Plan Maroc Vert entend relancer l’économie du pays à travers une nouvelle stratégie de modernisation agricole. Mais pour un secteur qui accapare 89% des  ressources en eau du territoire, ce projet a fini par avantager, à travers notamment d’importantes subventions, des exploitations gourmandes en eau pour produire par exemple avocats et agrumes, majoritairement destinés à l’export ».

Une mal-adaptation au dérèglement climatique

Pour Julie Trottier, « le dessalement représente bien une mal adaptation au dérèglement climatique, une forme de «techno-solutionnisme qui ne fait qu’aggraver la situation». Ces installations rejettent du gaz à effet de serre dans l’atmosphère, ce qui participe à la hausse des températures. Et lorsque le mercure s’affole, les précipitations diminuent et l’eau des nappes s’évapore plus rapidement, favorisant ainsi le risque de sécheresse».

Ruée vers l’or bleu

Des propos qui tombent dans les oreilles d’un sourd puisque la ruée vers cette technique gagne tous les continents. « Aujourd’hui, environ 22.000 usines de dessalement sont réparties à travers le monde. Alors que son développement commence à faire son chemin en France, avec des unités déjà en fonctionnement dans les Pyrénées-Orientales, en Bretagne ou encore en Corse, les pays du Golfe, eux, dépendent désormais en grande partie de cette méthode pour la consommation de leurs habitants. Selon l’Ifri, aux Emirats arabes unis, l’eau dessalée représente 42% de l’eau potable, jusqu’à 90% au Koweït et 70% en Arabie Saoudite. En Méditerranée, la Catalogne prévoit l’installation de 13 usines mobiles, dont une flottante à Barcelone dès octobre 2024. Après plusieurs années de sécheresse, cette dernière fournira 6% de la consommation quotidienne de la ville ».

Mais si les stations de dessalement séduisent partout, le risque existe. «C’est comme si vous fonciez à toute vitesse vers la falaise, et qu’à la place d’appuyer sur le frein, vous appuyez sur l’accélérateur», avertit Julie Trottier. Pour l’hydrologue, inutile d’innover toujours plus : l’heure est aux systèmes durables, à l’image des keyline design, concept né en Australie qui vise à régénérer les sols en faisant ruisseler l’eau des pluies. Mais plus largement, selon la scientifique, «il faut prendre conscience des limites de la planète».

Hassan Bentaleb


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