La troisième mi-temps


Par Djamel LABIDI *
Samedi 4 Septembre 2010

La troisième mi-temps
Le match Egypte- Algérie n'en finit plus, de prolongation, en prolongation. Certains s'acharnent même à siffler une troisième mi-temps consacrée à un débat  sur l'identité algérienne
Ironie de l'Histoire, au même moment se déroule en France un débat sur l'identité française, lequel s'est transformé  en une campagne anti- Islam et anti-arabe. Chez nous, c'est  le match Egypte –Algérie qui est  le prétexte à imposer un  débat sur l'identité algérienne Et de la même façon, le débat débouche, sous la plume de quelques journalistes algériens d'expression française, sur des attaques centrées sur la  dimension arabo-islamique de l'identité algérienne  et sur  la langue arabe, voire sur des formulations qui frisent le racisme, ou plus exactement l'auto-racisme.
Coïncidence ? Je ne crois pas. L'aliénation coloniale a la vie dure. Le simple rapprochement entre ces deux faits, la simultanéité et le contenu de ces deux débats ,  devraient donner à réfléchir sur la persistance de ce phénomène d'aliénation, et son résultat: l'auto- mépris.
Il faut reconnaître qu'en France ce dévoiement du débat vers l'Araphobie et l'Islamophobie a tout de suite trouvé des forces généreuses et puissantes, notamment intellectuelles, pour le dénoncer et le contrer.
Mais chez nous, tout se passe comme si s'agissant de tout  ce qui est Arabe, certains s'autorisaient,  à dire n'importe quoi, à pratiquer le dénigrement systématique, et à ne même pas éprouver le besoin de soumettre ce qu'ils disent au contrôle des faits ou de la simple logique.

DE LA  PATHOLOGIE
LINGUISTIQUE

Il y a  des choses qu'on ne peut laisser passer.
Ainsi, par exemple, de cet article paru dans le quotidien d'Oran sous le titre "l'inévitable décolonisation horizontale" (K. Daoud, le Quotidien d'Oran, 17 Décembre 2009). Je vous parlais plus haut de racisme. On peut penser que j'exagère. Pas du tout. Dans cet article, le mot Arabe est  mis à dessein entre guillemets. Ainsi que le mot Maghreb. On doute, on se dit qu'on  a mal vu, qu'on a mal lu, que c'est trop gros, qu'un Algérien ne peut faire ça,  que les guillemets ont du être utilisés dans une autre signification. Mais non, c'est bien  du mépris. L'auteur   confirme lui même le sens qu'il donne à ce mot car il dit qu'il faut le comprendre comme, je le cite," la désignation coloniale et occidentale ( les Arabes sur la rime de "travail arabe" ou sur le mode de l'Arabe de Camus )". A Paris, un jour, une dame française m'avait indiqué la Librairie Avicenne que je cherchais en disant c'est "une librairie arabe" pour rapidement s'excuser d'avoir employé ce qualificatif. Je lui avais dit doucement:"je suis fier d'être Arabe". Il y a un proverbe chez nous qui dit qu' "il n'y a que l'âne qui renie ses origines". J'ai toujours trouvé ce proverbe bien dur avec l'âne.
Mais continuons: l'auteur de l'article répugne même à utiliser le mot arabe pour parler de la langue parlée en Algérie. Il préférera la nommer "l'Algérien" plutôt que de dire Arabe parlé. Evidemment,,il ne pouvait pas car il aurait été alors en contradiction avec lui même puisque si l'Algérie parle Arabe, c'est qu'elle est quelque part Arabe. C'est comme si certains perdaient toute cohérence dés qu'ils traitent de la question de l'Arabe.
Nous découvrons, le monde découvre ainsi,  qu'il y a une langue qui s'appelle "l'Algérien". Il doit y avoir aussi probablement le Suisse, pour les Suisses francophones, le Belge, le Brésilien comme langue du Brésil et non le Portugais, l'Américain au lien de l'Anglais etc.…
De cette langue, "l'Algérien", il dira encore sans se soucier de la contradiction "que ce n'est pas encore une langue et ses mots sont rares, difformes" .Ceci, déjà,   n'est pas vrai car l'Arabe parlée est authentiquement de l'Arabe,à condition de le parler réellement et non ce sabir infâme fait d'un mélange réduit de mots français et arabes à quoi certains voudraient réduire le peuple algérien pour l'enfermer dans un bégaiement permanent et l'empêcher de s'exprimer, mais nous y reviendrons.
Mais en attendant, si "ce n'est pas encore une langue", comme le dit l'auteur de l'article, dans quelle langue s'exprime-t-il donc ? Evidemment en Français. Nous y voilà donc. Que de contorsions pour cacher  ce problème qui apparaît d'autant plus qu'il le cache et qu' il n'en dit pas un mot dans tout l'article. Ce problème qui fait que tout ce qu'il dit, que tout ce qu'il écrit sur l'Arabe, il le fait en Français et que ceci  peut expliquer cela. Je ne dis pas qu'il ne faut pas écrire en français. La preuve je le fais. Il est même très possible de défendre la langue Arabe en Français. Mais c'est tout autre chose que de se servir du Français pour théoriser une aliénation, pour s'évertuer à cacher ce problème fondamental pour tout intellectuel, celui de son rapport avec sa langue, et donc avec sa  société, et donc avec son peuple.
Là est la source du malaise permanent, des incohérences, dont je viens de signaler quelques unes, des contradictions, de la véritable pathologie entourant, dans certains milieux, la question du rapport avec la langue. Et puisque nous y sommes, disons nous nos quatre vérités en tant qu'Algériens. Il y a chez nous des milieux socioculturels, et je parle en connaissance de cause puisque j'en viens, qui vivent dans un inconfort, un  malaise permanent concernant la question de la langue. L'Algérien francophone a développé une véritable névrose concernant la langue arabe. Il est supposé par définition la connaître puisqu'ils est par définition Arabe, comme on le lui rappelle, aussi bien ici qu'à l'étranger, or il ne la connaît pas. Il est supposé être bilingue,  mais il est en  réalité monolingue, ne pouvant écrire, penser, réfléchir qu'en Français. Il parle chez lui et dans son milieu en Français, il travaille en Français, il pense en Français, il aime même en Français. Cependant il doit  aussi parfois descendre, dans la rue, côtoyer le peuple, l'Algérie  profonde.  Or  parler en français, dans une Algérie qui hait le colonialisme, c'est se mettre au dessus du peuple, c'est réveiller des hostilités, c'est risquer des tensions dans les relations sociales. L'Algérien francophone  va alors faire   semblant de  baragouiner l'Arabe, introduisant ici et là des mots arabes dans son Français ou arabisant des mots français, d'où ce sabir, ce bégaiement continuel . Il vit, en Algérie comme à l'étranger, dans un mensonge permanent sur son identité culturelle, non pas celle du peuple algérien, mais la sienne. La solution serait simple: se libérer, se réapproprier sa langue. C'est c elle choisie par les meilleurs des Algériens francophones, notamment pendant la Révolution nationale au moment où l'enthousiasme national était très fort. Techniquement, apprendre une langue, ne pose aucun problème. Le même Algérien francophone, qui pendant 10 ans, 30 ans, n'a pas appris l'Arabe, notamment littéraire, peut apprendre en quelques mois l'Anglais ou le Russe quand il a vécu dans ces pays. Pourquoi ? Il y a probablement une raison psychologique: il n'apprend pas l'Arabe, car il est supposé le connaître.  Mais surtout, il y a  des raisons sociales : la langue,  c'est aussi le pouvoir et la langue française continue à donner bien des privilèges et influencer la hiérarchie sociale. La tentation est alors grande de défendre le statu quo, de combattre et même de haïr ceux qui veulent le remettre en question.. La schizophrénie n'est alors pas loin, mais une schizophrénie sociale, à laquelle on apporte les ressources de l'idéologie: il déclarera alors qu'il n'est pas Arabe pour ne plus avoir à le prouver. Il érigera  son sabir, ou le sabir à l'emploi duquel il encourage le peuple , en langue nationale, comme la véritable langue vivante, puisqu'elle est celle de la rue, de la "vie réelle": "One, two, three, viva  l'Algérie (prononcer "l'Algérrrréé")", voilà la langue étrange,"incroyable" pour laquelle il versera une larme de tendresse et tout  le programme culturel qu'il proposera au peuple. Tant pis, si la jeunesse ne pourra pas s'exprimer,  il lui suffira que lui puisse le faire, et exprimer des idées complexes et abstraites en… Français. Et qu'importe là que son Français si châtié, si littéraire, ne soit pas la langue de la vie réelle en Algérie. Il théorisera alors, proclamant que le Français est "un élément de notre identité culturelle, que" l'Algérie est pluriculturelle, plurilinguistique", bref une idéologie sur mesure pour lui.

DE L'ALIENATION

Il érigera son aliénation culturelle en acte libérateur. C'est ce que fait d'ailleurs l'auteur de l'article dont nous parlons lorsqu'il décrète que le rejet de l'Arabe est "un acte de décolonisation horizontale". Pourquoi horizontale? Mais passons. L'anachronisme de l'affirmation est évident: c'est employer une catégorie  relative à un phénomène de l'Histoire contemporaine, le colonialisme, à un processus vieux  de 14 siècles, celui de l'enracinement de la dimension arabo-islamique de notre identité. C'est comme si quelqu'un niait que la France soit latine parce que les Gaulois ne l'étaient pas ou que les Francs  étaient une tribu germanique. Ou que l'Angleterre est bretonne puisque les Anglo-Saxons ( dont une tribu germanique les Angles a donné son nom à l'Angleterre) y sont arrivés après les bretons entre les 5eme et 7eme siècle. Y a t-il eu durant quatorze siècles une guerre de libération anticoloniale contre "le colonialisme arabe".
Tout cela est évidemment absurde. Et pourtant, on est obligé de le relever  car certains n'hésitent pas à répéter cette affirmation ridicule historiquement, comme cela a été le cas ces dernières semaines dans quelques journaux d'expression française.
Le ridicule devient dangereux  lorsque  l'appartenance identitaire est réduite à une appartenance ethnique, voire raciale :" les Arabes, c'est l'Arabie saoudite, c'est la péninsule arabique et pas nous" , avec l'opposition comme on a pu le lire dans certains journaux entre Arabité et Amazighité.  On sait à quelles dérives racistes a pu conduire, là où elle a été encouragée, cette vision ethnique. Or on sait que les Arabes s'identifient par des liens linguistiques, culturels et historiques. Il ne reste plus alors qu'à identifier les Egyptiens aux conquérants arabes, et la boucle de la haine est bouclée.
C'est ainsi que les clichés sur les Egyptiens " qui nous auraient imposé l'arabisation dans les années 60" et même" exporté l'Islamisme" sont réapparus et ont été martelés dans divers écrits dans des journaux, sur des forums algériens d'expression française. Ce serait donc une énorme coïncidence que la langue Arabe soit la langue nationale et officielle du Maroc, de la Tunisie, de la Libye, de la Mauritanie, des Sahraouis ? Ce seraient donc les Egyptiens qui  leur auraient imposé, à eux aussi, "l'arabisation"?  

 * Professeur à l'Université d'Alger
(A SUIVRE)


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