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Le TDAH, longtemps ignoré ou sous-diagnostiqué, est désormais reconnu comme un trouble neurologique aux conséquences sérieuses, notamment chez l’enfant et l’adolescent. Il impacte la concentration, l’organisation, la gestion émotionnelle, et souvent, la scolarité ou l’insertion sociale. Ces dernières années, les diagnostics se multiplient, en partie grâce à une meilleure sensibilisation et à des avancées cliniques, mais aussi en raison des bouleversements sociaux qui exacerbent l’anxiété, l’agitation et la difficulté à s’adapter.
Pourtant, alors même que les besoins augmentent, les traitements pharmacologiques validés pour le TDAH deviennent introuvables. Les médicaments les plus couramment prescrits pour ces troubles — au nombre de deux essentiellement sur le marché marocain — ont disparu des circuits.
Cette rupture n’est ni conjoncturelle, ni purement logistique. Elle résulte d’une combinaison de facteurs structurels : une dépendance totale à l’importation, un marché perçu comme trop restreint pour justifier un effort de distribution et un système d’autorisations à l’importation dont l’étroitesse bride toute réponse rapide.
Ce qui est en jeu ici dépasse de loin une question d’offre et de demande. C’est la capacité d’un Etat à garantir la continuité d’accès aux médicaments dits «non rentables». Car si ces traitements sont rares, ce n’est pas en raison d’une absence de besoin médical mais parce que, dans la logique du marché pharmaceutique international, leur production n’offre pas de marges suffisantes. Autrement dit, ces médicaments n’ont pas disparu parce qu’ils sont inutiles, mais parce qu’ils ne rapportent pas beaucoup.
Cette réalité met à nu un dilemme que les politiques de santé évitent souvent d’assumer publiquement : celui du conflit entre santé publique et logique de profit. Dans un marché dérégulé, ce sont les pathologies fréquentes et les traitements de masse qui structurent les flux. Les maladies à faible prévalence ou à traitement encadré, comme le TDAH, sont mécaniquement marginalisées. Leur survie dans les circuits de distribution dépend alors de la volonté des Etats de prendre le relais là où le marché se retire.
Le Maroc n’est pas sans outils. Il peut, comme il l’a fait pour d’autres pathologies sensibles, intervenir directement pour constituer des stocks stratégiques, subventionner certains médicaments ou faciliter leur importation en assouplissant les procédures administratives. Rien, juridiquement, ne l’empêche d’agir. Mais en l’absence d’un cadrage clair, d’un signal politique fort et d’un mécanisme structuré de réponse aux ruptures, ce type de pénurie se reproduira.
Car le problème n’est pas ponctuel. Il est systémique. Il révèle à la fois l’absence d’une politique nationale dédiée aux médicaments orphelins et les limites d’un système de régulation encore trop rigide pour anticiper les fragilités des chaînes mondiales. La raréfaction des autorisations d’importation, la concentration entre les mains d’un nombre très limité de distributeurs, la lenteur des mécanismes d’alerte et de compensation : tout concourt à transformer un déséquilibre en crise durable.
Dans ce contexte, la réponse publique se fait attendre. Aucun plan spécifique n’a été communiqué, aucun stock de réserve n’a été activé, et les professionnels de santé eux-mêmes peinent à obtenir des informations fiables sur les délais de réapprovisionnement.
Pendant ce temps, les enfants concernés, eux, ne peuvent attendre. La discontinuité du traitement médicamenteux, dans les cas où il est prescrit, compromet gravement les progrès réalisés et aggrave souvent les symptômes. Pour les familles, déjà confrontées à un accompagnement quotidien exigeant, l’absence de solution pharmacologique ajoute une tension de plus, un sentiment d’abandon, parfois une colère sourde. La promesse du droit à la santé se heurte ici à la réalité du vide.
Il serait tout aussi irresponsable de réduire ce problème à une fatalité liée à la mondialisation pharmaceutique. D’autres pays, confrontés aux mêmes enjeux, ont su mettre en place des politiques spécifiques pour garantir l’accès aux médicaments dits « peu attractifs » sur le plan commercial. Il ne s’agit pas de réinventer l’impossible, mais d’appliquer une exigence simple: celle de traiter les médicaments essentiels comme tels, quels que soient leur coût, leur fréquence d’utilisation ou leur position sur les grilles de rentabilité.
Pour de nombreux spécialistes, une seule réponse semble tenable : une intervention volontariste du gouvernement. Il ne s’agit pas seulement d’importer quelques boîtes de plus, mais de créer un dispositif stratégique d’approvisionnement, avec des stocks de sécurité, des conventions avec les laboratoires détenteurs des autorisations, et une révision des conditions d’importation pour les médicaments jugés essentiels. D’autres traitements relevant de maladies rares ont déjà pu bénéficier d’une telle mobilisation. Pourquoi pas ceux du TDAH ?
Agir maintenant, c’est éviter que cette pénurie devienne un précédent. C’est affirmer, dans les faits, que le droit à un traitement ne s’arrête pas à la rentabilité. Et c’est rappeler que le rôle d’un ministère de la Santé n’est pas seulement d’administrer les flux, mais de garantir, activement, que la médecine ne devienne jamais un luxe d’importation.
Mehdi Ouassat