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La réorganisation par le Maroc du champ religieux devrait-elle servir de modèle ou pas ?

Pour la France, le mal résiderait plutôt dans la nature de la corrélation entre migration et intégration


Hassan Bentaleb
Vendredi 23 Octobre 2020

Dans son discours du 2 octobre dernier, Emmanuel Macron a annoncé la fin de l’islam consulaire et la lutte contre l’influence étrangère. Autrement dit, la fin des imams détachés et des financements étrangers pour la construction des mosquées. Le Maroc fait partie des pays concernés puisqu’il a été cité explicitement par le président français comme un pays qui finance l’islam en France.

Est-ce une remise en cause du modèle religieux que Rabat tente d’exporter en Europe?

Présence et influence islamique marocaine en France
Selon Bernard Godard, auteur du livre : «La question musulmane en France», (Paris, Fayard, 2015), Rabat a pris conscience dès le début des années 2000 et en réaction à plusieurs attentats terroristes(16 mai 2003 à Casablanca, attentats de Madrid du 11 mars 2004, assassinat le 2 novembre du cinéaste Theo van Gogh à Amsterdam), de la nécessité d’«extension d’une politique de prévention qui ne se réduit pas aux seuls aspects sécuritaires» et de la mise en place en Europe, et tout particulièrement en France, d’«un véritable contre-discours face au danger terroriste qui ne peut manquer de s’étendre au Maroc». C’est dans ce contexte, précise l’auteur, qu’il y a eu signature, en 2008, d’un premier accord entre le ministère de l’Intérieur français et le ministère des Habous et des Affaires religieuses pour le détachement de 30 imams en France. Deux années plus tard, il y a eu création, à Bruxelles, du Conseil européen des oulémas marocains qui avait pour objectif affiché de «promouvoir un référentiel religieux favorisant le dialogue, l’intégration et le respect mutuel».

Pourtant, Bernard Godard assure que l’objectif escompté a été celui d’imposer ce conseil comme une sorte de «contre-structure» face aux ennemis de la doxa officielle, à savoir un islam malékite prônant le juste milieu. L’activisme du Maroc sur le champ religieux français s’est poursuivi via des financements partiels de mosquées (mosquée marocaine de Strasbourg et Grande Mosquée de Saint-Etienne) et via l’action de l’UMF (Union des musulmans de France) et le RMF (Rassemblement des musulmans de France) qui se sont mobilisés au milieu de l’année 2014 contre la radicalisation en organisant des séries de rencontres pour sensibiliser les responsables associatifs au phénomène djihadiste et en défendant ardemment un islam malékite, présenté comme le rempart contre tous les extrémismes. En 2015, Rabat a procédé à la formation d’une trentaine d’apprentis imams venus de France au sein de l’Institut de formation des imams à Rabat.

Pourtant, Bernard Godard estime que ce modèle marocain demeure «fragile» et peu convaincant. Notamment pour les nouvelles générations qui estiment que «le malékisme marocain reste une réponse un peu courte aux questions sur l’adaptation de l’islam au contexte européen». Ceci d’autant plus que la notabilisation de beaucoup de leaders traditionnels via le CFCM (Conseil français du culte musulman) a eu pour effet pervers une marginalisation de ces nouvelles générations «impatientes»

Epuisement du modèle marocain ?
Le discours de Macron peut-il être traduit comme un aveu d’échec du modèle marocain de l’islam en Europe? «Le discours du président français ne désigne pas les pays cités (Maroc, Algérie, Turquie…) comme des pourvoyeurs de terroristes, mais il pointe du doigt des politiques étatiques qu’il faut remettre en cause», nous a expliqué Abdelhakim Aboulouz, professeur à l'Université Ibn Zhor d'Agadir. Et de préciser : «En effet, le Maroc a mis en place une politique religieuse qui défend ses propres intérêts à partir d’une certaine lecture ou évaluation de la situation intérieure du pays et la promotion de l’islam marocain au niveau régional a été liée à un contexte particulier. Le changement de ce contexte exige aujourd’hui l’élaboration d’un nouveau modèle à l’image des modèles algérien, français ou espagnol puisque ledit modèle marocain est confronté à un nouveau défi, à savoir celui de la volonté de plusieurs pays européens de développer leur propre modèle de l’islam. Il faut rappeler une simple évidence, c’est que les politiques ne sont pas inscrites dans le marbre et qu’elles font l'objet d’évolution et d’ajustement».

De son côté, Abdellah Rami, spécialiste des groupes djihadistes, estime qu’il est difficile de confirmer ou d’infirmer l’échec ou la réussite du modèle marocain en l’absence d'indicateurs scientifiques bien identifiés. «La politique religieuse marocaine (interne ou externe) a été fondée sur la lutte contre le terrorisme. Le Maroc peut même être considéré comme un pays précurseur dans ce domaine où il a réussi à marquer des points comme l’encadrement des mosquées, le contrôle des personnes chargées des affaires islamiques, la formation des imams et des morchidines… », nous a-t-il indiqué. Et de poursuivre : «Il s’agit en principe d’une politique active qui s’inscrit dans le cadre de la lutte contre l’intégrisme violent. En effet, depuis 2003, l’Etat a tranché en ce qui concerne la stratégie à suivre puisqu’il a pris conscience du rôle sensible et multi-échelle de la religion et de l’importance de gérer cette question à l’intérieur de l’institution d’Imarate Al Mouminine et des autres institutions étatiques». Pour notre interlocuteur, le Maroc s’en est bien sorti dans la gestion de ce dossier à l’inverse de plusieurs Etats dont la France qui peine à imposer son contrôle sur l’islam dans l'Hexagone vu la nature laïque et neutre de l’Etat et l’omniprésence d’un large arsenal juridique. «Il faut rappeler que le champ religieux est plus important et plus périlleux que celui de la politique puisqu’il s’agit d’un champ de mobilisation, d’encadrement, d’infiltration et d’influence. Notamment dans le contexte actuel marqué par la multiplication des acteurs étatiques qui cherchent à avoir le leadership sur ce dossier. La religion constitue aujourd’hui un champ de conflit entre puissances régionales», nous a-t-il affirmé. Et d’ajouter : «La France a réalisé aujourd’hui que la neutralité observée par l’Etat est devenue onéreuse et qu’il est grand temps de mettre le pied dans ce champ et de le dominer. Une prise de conscience qui n’a rien de nouveau puisque nombreux sont les rapports, livres, études et autres qui ont considéré la religion comme une source d’intégrisme. A présent, la donne a changé puisque ce dossier fait pression sur les politiques notamment avec l’augmentation du nombre des attentas»

La France, un pays cible
Mais, pourquoi la France est devenue la cible préférée des islamistes intégristes? Pour Abdelhakim Aboulouz, le fondement du problème est lié à l’échec de l’intégration des migrants qui endurent une situation sociale difficile marquée par des privations de leurs droits. «Ces privations ont été alimentées par la suite par un fondement idéologique qui n’est autre que l’islam politique quise présentait comme une idéologie mondialisée et progressiste, capable de transcender les frontières et qui appelle à l’attachement à la Oumma et au culte musulman. Cette rencontre entre l’idéologie intégriste et les conditions de vie déplorables des migrants a produit la situation que vit la France aujourd’hui», a-t-il souligné.

Pour sa part, Abdellah Ramisoutient que la France a été souvent la cible des attentats terroristes qui datent des années 80. Pourtant, il a tenu à distinguer entre la période où ces attentats ont été liés aux groupuscules islamistes et celle, actuelle, où les actes terroristes sont plutôt les reflets des mutations profondes qui traversent la société musulmane en France. «L’intégrisme islamiste est la suite logique des transformations locales de la société française. Autrement dit, la source de la violence est aujourd’hui purement locale. En effet, de plus en plus de personnes deviennent intégristes d’une manière surprenante et inattendue comme ce fut le cas du tueur du réalisateur hollandais, Theo van Gogh, à Amsterdam. Et cela dérange amplement l’Etat français puisque certains musulmans de France optent pour l’intégrisme et le terrorisme au lieu d’investir les institutions de la république et de bénéficier des droits liés à la citoyenneté», nous a-t-il précisé.

Et de conclure : « La France a pris conscience aujourd’hui qu’elle a poursuivi une politique défaillante vis-à-vis de l’islam marquée parson incapacité à intervenir ni au niveau de l'encadrement ni à celui de l’orientation. Pourtant, elle estime qu’il est temps de prendre les choses en main ».

Hassan Bentaleb

Extrait du discours d'Emmanuel Macron sur le «séparatisme islamiste»

« La première influence qu'on a décidée de réduire, en concertation avec les pays, c'est l'organisation même de l'islam consulaire. Vous le savez, nous sommes un pays où nous organisions la formation des imams dans des pays étrangers, mais aussi celle de psalmodieurs que nous faisions venir de manière régulière. C'est la Turquie, le Maroc et l'Algérie qui fournissaient ces imams et ces psalmodieurs. Nous avons décidé de mettre fin à ce système, de manière totalement apaisée avec les pays d'origine. Et en transition, c'est-à-dire sur 4 ans en moyenne, parce qu'il faut que les choses se fassent progressivement car, je vais y revenir, nous allons nous-mêmes former nos imams et nos psalmodieurs en France. Et donc, nous devons détacher ce lien qui est celui qu'on nomme l'islam consulaire. Parce qu'il nourrit des rivalités, des dysfonctionnements mais surtout, il continue de faire porter ce surmoi post-colonial que j'évoquais par ailleurs, avec énormément d'ambiguïtés. Il ne permet pas à la structuration de cette religion dans notre pays d'avancer comme il faut. Et je le dis de manière vraiment très apaisée et en accord à la fois avec le CFCM et les 3 pays que j'évoquais. Et donc, nous mettons fin à ce lien et à cette influence étrangère. L'autre influence, plus pernicieuse, plus grave, c'est celle du financement. Jusqu'à présent, nous avions une ambiguïté. Beaucoup de structures passaient par la loi de 1901 pour financer des activités cultuelles et avec beaucoup d'opacité. Des structures qu'on voyait arriver, on en a vu arriver tellement sur nos territoires dont nous découvrions qu'elles avaient été financées par telle fondation, parfois tel Etat étranger, tels intérêts, sans beaucoup de transparence. Les mosquées seront ainsi incitées à sortir de la forme associative pour basculer vers le régime prévu par la loi de 1905, à la fois plus avantageuse fiscalement et davantage contrôlée sur les plans des financements venant de l'étranger. Mais au-delà de cela, tous ceux qui continueraient à choisir la voie de 1901 verraient un contrôle renforcé drastiquement en termes d'origine de financement, du contrôle de cette origine et de transparence sur les fonds.

La religion comme instrument de contrôle des Etats

 L’ exemple marocain
L’islam marocain a connu un développement différent de l’islam algérien en France. Même si l’Etat chérifien a pris soin de créer un tissu de contrôle au travers des amicales (en particulier l’Amicale des travailleurs et commerçants marocains en France – ATCMF), au début de l’immigration de masse des années 60, la plupart des communautés marocaines – réparties plus également sur le territoire – se sont développées sur le plan religieux de manière plus organisée et communautaire. Dès les années 80 apparaissent dans tous les lieux de vie des centres communautaires qui ne doivent rien à une quelconque assistance de services consulaires. Cette dynamique s’appuie très tôt sur des circuits noués auprès de pays du Golfe. La position du Roi Hassan II est claire : il ne demande pas aux Marocains de s’intégrer dans le pays d’émigration. Dans une interview accordée à TF1 le 16 mai 1993, il affirme : «[Les Marocains] n’ont pas vocation à être français. Ils seraient de mauvais Français». La récupération de la Mosquée de Paris ne l’intéresse pas. Pour autant, les services de renseignement marocains sont vigilants et veillent à empêcher toute contagion islamiste. L’opposition islamiste, essentiellement représentée dans les années 80 par le Mouvement de la jeunesse islamique (Chabiba islamiya), bien que modeste, a trouvé en France des points d’appui. Elle est financée par la Libye, qui tente de se créer son propre réseau dans l’Ouest parisien. Une autre forme d’islamisme est née au Maroc autour de la personnalité d’Abdessalam Yassine, qui s’est permis d’adresser une lettre ouverte au Roi, l’invitant à instaurer la démocratie. Cette version marocaine de l’islamisme est à peine parvenue dans l’immigration. Si les «bâtisseurs» marocains de mosquées sont très actifs, et si certains comme à Evry ont entrepris d’énormes travaux grâce à l’aide de la LIM, la seule structure que consent à soutenir Rabat est la Fédération nationale des musulmans de France (FNMF), dirigée par le jeune Mohamed Bechari. Dans les années 2000 se produit toutefois une mutation politique radicale.

Source : Bernard Godard, «Les Etats musulmans et l’islam de France»


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