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La réforme qui suscite tensions et spéculations (2)

Samedi 22 Juillet 2017

La dernière décision du gouvernement Othmani, d’annuler à la dernière minute le lancement du processus de flexibilisation du dirham ne vous a certainement pas échappé. Si le report est acté, faut-il pour autant renoncer à la réforme du système actuel du change fixe ? A mon humble avis, la réponse est non ! Mais avant de justifier ma posture, permettez-moi de préciser rapidement le fonctionnement du système actuel.
Aujourd’hui, la valeur du dirham est fixée administrativement par la Banque Centrale marocaine (Bank-Al-Maghrib, BAM). Celle-ci, attache la valeur du dirham à celle d’une moyenne pondérée d’un panier constitué de 60% d’euros et 40% de dollars. Si la valeur du dirham varie de plus de 0,3%, à la hausse comme à la baisse, la BAM intervient pour ajuster la valeur du dirham, respectivement en cédant ou en achetant des devises. Quand la valeur du dirham se déprécie par exemple, la BAM vendra des devises pour acheter du dirham, augmentant ainsi sa demande et sa valeur, et vice versa. Certes, ce système permet aux opérateurs de s’approvisionner sans limites et à un taux de change stable, avec moins d’inflation et moins d’incertitude, néanmoins, un tel système produit plusieurs effets pervers.

Un système de subventions déguisées

Ainsi, fixer le taux de change est avant tout accorder une subvention déguisée car justement une partie de ce prix est prise en charge par l’Etat via la BAM. A titre d’illustration, si le taux de change réel est 15 DH pour 1 euro, quand vous achetez votre billet d’avion à 1 000 euros sur internet, normalement vous devriez payer 15 000 DH, mais avec le taux de change fixé à 11 DH  pour 1 euro, vous payez seulement 11 000 DH. Vous avez donc bénéficié d’une subvention de 4000 DH, laquelle a un coût puisque pour la payer, la BAM avait compensé en puisant l’équivalent dans les réserves de change. Autrement dit, en fixant artificiellement le dirham au-dessus de sa valeur réelle, donc maintenant les prix bas, on a créé une deuxième caisse de compensation qui ne dit pas son nom.
Or, le gros problème avec toute caisse de compensation est qu’il s’agit d’un système aveugle qui subventionne aussi bien ceux qui en ont besoin que ceux qui ne le sont pas. Malheureusement, dans un tel système, ce sont les riches qui en profitent le plus car ce sont eux qui consomment les produits importés, les produits de marque, les biens de luxe, etc.  Pis, c’est même un système anti-pauvres. Car, comme c’est l’Etat qui finance l’ajustement de la valeur du dirham aux fluctuations de l’euro et du dollar, cela revient à financer la consommation des riches avec l’argent public. C’est tout simplement injuste car les fonds servant à équilibrer le taux de change auraient pu être affectées aux besoins de base des plus démunis.

Une perversion 
de l’économie

En plus de cette injustice caractérisée, le système de change fixe, basé sur la logique de compensation, pervertit le fonctionnement de l’économie nationale. D’abord, parce qu’avec notre déficit commercial structurel et la fragilité de nos réserves de change, liée à l’irrégularité et l’insuffisance des rentrées du tourisme, des IDE, et des transferts des MRE, il ne reste que les dons des pays du Golf et l’endettement extérieur pour continuer à soutenir la valeur du dirham suite aux fluctuations de l’euro et du dollar. Autrement dit, l’endettement est le prix cher à payer pour fixer le taux de change.
Ensuite, en maintenant coûte que coûte la valeur du dirham au-dessus de sa valeur réelle du marché, on permet à certains de continuer à vivre au-dessus de leurs moyens car si le dirham n’était pas subventionné, il aurait renoncé à plusieurs de leurs dépenses devenues plus chères. Cela tue bien sûr l’incitation des agents à rationnaliser leurs comportements qu’il s’agisse de consommation ou de production car ils reçoivent les mauvais signaux et ne paient pas la vraie valeur des choses. Ainsi, en gardant le système de change fixe on entretient l’économie de rente. Et comme toute situation rente c’est un cercle vicieux. 
Car pour maintenir un taux fixe, on a besoin d’emprunter des devises, ce qui favorise les importations au détriment des exportations, limitant ainsi les entrées de devises et amplifiant de nouveau le besoin de devises, donc d’endettement, et ainsi de suite. Si la rente du change fixe profite aux importateurs, elle pénalise les exportateurs. A titre d’exemple, les produits chinois et turcs doivent une partie de leur compétitivité aussi au fait que le dirham est maintenu à un niveau surévalué. 
Cela incite à la sur-importation car la surévaluation actuelle du dirham rend les produits importés moins chers que les produits locaux. Le change fixe pénalise ainsi la compétitivité des entreprises marocaines et empêche de consommer local.

Un affaiblissement 
de l’économie

Enfin, dans le cas d’une crise, le système de change fixe enfonce l’économie dans la vulnérabilité l’empêchant de résister aux chocs exogènes. En effet, si jamais demain le cours de pétrole explose de nouveau, la demande sur le dollar augmentera, ce qui fera déprécier la valeur du dirham. Dans le système de change fixe, la BAM sera obligée de céder des dollars pour faire monter la valeur du dirham.  La pression sur le stock des devises s’amplifie, surtout que les agents économiques dans ce système de change fixe ne reçoivent aucun signal sur la nécessité d’ajuster leur consommation à la baisse ou de la recherche de produits de substitution. Les réserves finiront par s’épuiser et l’intervention des bailleurs de fonds devient alors inéluctable avec la mise sous tutelle de l’économie nationale et les programmes d’austérité brutale.
Somme toute, le système de change fixe semble plus que jamais en déphasage avec la nécessité pour l’économie nationale de s’intégrer dans la mondialisation, de gagner sa souveraineté monétaire et consolider sa résilience. Si la rupture avec le système de change fixe est indispensable, une question s’impose : le Maroc est-il vraiment prêt pour passer le cap?
 

Par Hicham El Moussaoui Maitre de conférences en économie à l’université Sultan Moulay Slimane Article publié en collaboration avec Libre Afrique.

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