La marche des oubliés à “Foum El Anceur”

Le cri d’un Maroc sacrifié au milieu des chantiers de prestige


Mehdi Ouassat
Lundi 1 Septembre 2025

La marche des oubliés à “Foum El Anceur”
A l’heure où le Maroc s’apprête à accueillir, en 2030, la plus grande compétition sportive mondiale, la Coupe du monde de football, le pays se transforme à vue d’œil. Des stades monumentaux sortent de terre, les lignes de train à grande vitesse se déploient et des infrastructures routières ambitieuses redessinent nos horizons. Ces chantiers colossaux symbolisent un Maroc qui veut s’affirmer sur la scène internationale, un Maroc confiant, moderne, capable de rivaliser avec les plus grandes nations.

Mais derrière cette vitrine flamboyante, une réalité plus sombre se dresse, rappelant avec force que le développement ne peut être réduit aux seuls grands projets de prestige. Comme le rappelle le billet politique de l’USFP, «Rissalat Al Ittihad», «la justice territoriale commence par l’eau… puis par la route». Cette vérité élémentaire, évidente, résume à elle seule le cœur du problème : le développement ne peut être réduit aux symboles de modernité. Il doit, avant tout, garantir aux citoyens leurs droits les plus fondamentaux: boire, se déplacer, vivre dignement.

C’est ce que sont venus rappeler, avec une force bouleversante, les habitants de plusieurs douars de la commune de «Foum El Anceur», dans la province de Béni Mellal. Leur marche pacifique, devenue virale sur les réseaux sociaux, a marqué les esprits.

On y voyait des femmes, des enfants, des familles entières ne réclamant rien d’autre que de l’eau potable et une route praticable. Comme l’écrit avec justesse «Rissalat Al Ittihad », «l’image d’enfants et de femmes réclamant seulement une gorgée d’eau résume l’ampleur des inégalités criantes qui persistent dans notre pays et place chacun d’entre nous devant une responsabilité urgente».

Cette scène n’est pas un fait divers isolé mais le miroir d’une réalité structurelle. De larges pans du Maroc profond — notamment les régions montagneuses, enclavées et aux ressources limitées — souffrent encore d’un retard inacceptable en matière d’accès à l’eau potable, de routes aménagées et de services de base. Des décennies de politiques publiques ont certes permis des avancées, mais elles ont aussi laissé subsister des zones entières à l’écart des grands projets.

Derrière cette revendication, c’est toute la question de la justice territoriale qui s’impose. La racine du problème est bien connue : le manque criant de moyens financiers mis à la disposition des collectivités locales et des conseils régionaux. Ceux-ci, malgré leur volonté et leur proximité avec les citoyens, ne peuvent couvrir les besoins gigantesques des territoires enclavés et montagneux.
Et puis, la responsabilité de cet état de fait ne peut reposer uniquement sur les épaules des communes rurales ou des conseils de région. Elle incombe d’abord et avant tout au gouvernement, qui détient les cordons de la bourse et oriente les priorités nationales.

Le billet de l’USFP va jusqu’à poser une alternative claire : «Si le gouvernement n’est pas en mesure de répondre efficacement aux besoins vitaux des populations, il doit transférer ses prérogatives aux conseils régionaux». C’est là la condition pour donner corps à une régionalisation avancée qui ne soit pas seulement une promesse institutionnelle mais une réalité vécue par les citoyens et un levier réel de transformation.

Cette proposition rejoint d’ailleurs les Orientations tracées par le Discours Royal du 30 juillet 2025. Le Souverain y a annoncé «le lancement d’une nouvelle génération de programmes de développement territorial intégré». Cette annonce constitue un signal fort, une reconnaissance au plus haut niveau de l’Etat que la question des inégalités territoriales est devenue centrale et qu’il faut l’affronter frontalement. Mais comme le rappelle le billet de l’USFP, «pour que cette nouvelle politique réussisse, elle ne doit pas être un substitut aux programmes de développement locaux et régionaux qui doivent continuer avec la même force, mais bien un complément destiné à réparer les déséquilibres accumulés».

L’épisode de «Foum El Anceur» agit ici comme un avertissement adressé à toute la nation. Il nous oblige à reconnaître que le prestige international ne vaut rien s’il repose sur des fondations fragiles, où une partie de la population vit encore dans la soif et l’enclavement. Le Maroc du XXIe siècle ne peut plus tolérer que des citoyens soient contraints de marcher des kilomètres pour obtenir de l’eau potable, ou qu’ils soient coupés du reste du pays faute d’une route praticable.

Il ne s’agit donc pas simplement de répondre à une urgence ponctuelle. C’est une vision stratégique qu’il faut mettre en place : redéfinir les priorités nationales, injecter de véritables budgets dans les zones marginalisées et instaurer une justice de l’investissement public qui mette fin aux inégalités territoriales. L’eau et la route doivent être considérées comme les fondations de tout développement. Sans elles, les écoles restent inaccessibles, les hôpitaux hors de portée et l’économie locale asphyxiée.

L’équation est claire : il ne peut y avoir de Coupe du monde réussie sans un Maroc équitable. Les routes qui mènent aux stades doivent aussi mener aux douars enclavés. Les budgets consacrés aux lignes de TGV doivent trouver leur écho dans des conduites d’eau et des pistes rurales. C’est seulement à cette condition que l’événement de 2030 sera plus qu’une vitrine: il deviendra le symbole d’un pays qui a su conjuguer grandeur internationale et justice sociale. 

La marche des habitants de «Foum El Anceur» n’est pas un détail, elle est un signal. Un signal qu’il faut entendre et traduire en actes politiques courageux. L’eau et la route : voilà les vraies priorités si nous voulons que la justice territoriale cesse d’être une promesse et devienne enfin une réalité pour tous.

Mehdi Ouassat


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