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La "fille Amul", les publicités emblématiques qui croquent l'Inde depuis 50 ans

La fille Amul est un commentaire politique et social de la culture et l'histoire moderne indiennes


Samedi 11 Août 2018

Bollywood, mouvements sociaux, polémiques politiques, cricket, scandales de corruption, événements internationaux... Depuis un demi-siècle, un indémodable personnage publicitaire, fillette à chevelure bleue et robe blanche à pois rouges, régale l'Inde en chroniquant avec espièglerie les trépidations de son pays et du monde.
Sur les panneaux d'affichage des grandes villes ou dans les pages de journaux, les vignettes faussement enfantines d'une marque de produits laitiers moulinent l'actualité à coups de saynètes et jeux de mots gastronomiques. A cinquante ans passés, plus de 4.000 réclames différentes à son actif, la joviale et rondouillarde "fille Amul" est pourtant toujours aussi fraîche que le beurre qu'elle vend.
Lors de la médiatique visite d'Emmanuel Macron en Inde en mars, le dessin du jour la montrait se prenant en photo tout sourire avec le président français et son épouse, des toasts de l'entreprise Amul à la main, avec pour légende "France loafs it", un jeu de mot qui équivaut à "La France en paince".
"La fille Amul est un commentaire politique et social de la culture et l'histoire moderne indiennes. Qu'une campagne promotionnelle s'intègre à la conscience sociale est phénoménal!", s'enthousiasme Deepali Naair, une directrice marketing indienne. Seuls sujets épineux évités: la religion et les castes.
La recette du succès est un humour léger accompagné d'un regard bon enfant sur l'époque actuelle, jusque dans les moments les plus graves, qui frôle parfois la satire mais sans s'inscrire pour autant dans une veine caricaturiste à la Charlie Hebdo.
En janvier, au pic des tensions entre Washington et Pyongyang, Amul représentait Donald Trump et King Jong-un à leurs bureaux, les boutons nucléaires remplacés par des carrés de beurre, se défiant à coups de "Mon beurre est plus gros que le tien".
Pour le conseiller de marques Ambi Parameswaran, la fille Amul symbolise la légendaire capacité des Indiens à tout relativiser - même les bombes atomiques.
"Elle capte l'état d'esprit indien: vous êtes tolérant, vous ne vous laissez pas affecter. Quoi qu'il arrive, vous continuez à vivre votre vie", résume cet auteur d'un ouvrage sur la publicité et la société en Inde.
Derrière la gamine apparue en 1966 se cachent en réalité trois messieurs quinquagénaires d'une agence de publicité de Bombay - un directeur artistique, un dessinateur et un rédacteur.
Lorsque l'AFP visite leur atelier du quartier d'affaires de la capitale économique, ils planchent sur un hommage en noir et blanc à un célèbre policier tout juste disparu.
Fait rare dans le monde de la publicité: Amul, le client, leur donne une carte blanche totale. Le groupe laitier ne valide pas les visuels et ne les découvre qu'après leur parution, pour raccourcir les délais et mieux coller aux derniers événements.
Chez daCunha Communications, la campagne Amul est une affaire de famille, son fondateur l'ayant transmise à son fils. En cuisine depuis vingt-cinq ans, son directeur Rahul daCunha a assisté à la révolution des moyens de communication, jusqu'aux réseaux sociaux qui amplifient aujourd'hui l'audience de son personnage.
Ils sont bien loin, les moyens rudimentaires de ses débuts dans le métier: "Une publicité était envoyée au type des panneaux d'affichage, qui embauchait un artiste pour ériger un échafaudage, grimper dessus et peindre à la main ce foutu machin", se souvient-il.
Dans une société indienne de plus en plus polarisée, le communicant conçoit sa fillette blagueuse et innocente comme un adoucissant à l'actualité épicée. "Soit vous faites rire les gens pour leur faire oublier cette merde, soit, s'ils ont des opinions tranchées, vous exprimez votre point de vue d'une manière légère qui les désarme".
Bon gré mal gré, la gourmandise de la fille Amul a survécu aux périodes les plus turbulentes de l'Inde moderne, comme la suspension de la démocratie par la Première ministre Indira Gandhi entre 1975 et 1977.
Sur une image parue durant ces années noires, l'enfant habillée en infirmière présente une motte de beurre sur un plateau: "Nous avons toujours pratiqué la stérilisation obligatoire". Une référence à l'hygiène vantée de ses produits... et, obliquement, aux terribles stérilisations forcées menées par le gouvernement pour enrayer la croissance de la population.
Avec la fin des années 1980 et la décennie 1990, l'Inde libéralise son économie et s'ouvre au monde. Autant de bouleversements sociétaux que documente méticuleusement la fille Amul: l'émergence de la télévision satellitaire dans le pays, l'arrivée de multinationales, l'envol du secteur aérien...
La gamine n'est pas toujours enjouée. A l'image de l'opinion publique indienne, elle est farouchement nationaliste et revêt le treillis militaire au moindre incident avec le Pakistan ("Paksatan"). En avril, en dénonciation des viols de femmes dans le pays, un dessin épuré la représentait simplement en larmes. "L'Inde a fait pleurer la fille Amul. D'habitude elle est si joyeuse", se désolait un internaute sur Twitter.
Pour la directrice marketing Deepali Naair, la grande spécificité de cette campagne, qui ne montre pas de signes de péremption, réside dans les prises de position qu'elle s'autorise.
"La plupart des marques choisissent de ne pas s'exprimer, or la fille Amul possède une vraie voix sur les questions politico-sociales. Elle est toujours là où il faut, du côté de l'éthique et de la morale", analyse-t-elle, l'imaginant bien finir "dans un musée d'art contemporain".
Comme quoi ces publicités n'auront pas compté pour du beurre.


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