A Nairobi, des femmes DJ veulent occuper le devant de la scène


Mourad Tabet
Lundi 30 Juin 2025

Les yeux rivés sur un logiciel de mixage, casque sur la tête, Kwem Kimtai enchaîne des rythmes d'Afro House pendant une formation pour DJ à Nairobi sur laquelle elle mise pour s'imposer sur une scène dominée par les hommes.

"Je peux tout faire. Je peux mixer, je peux synchroniser les tempos. Je peux évaluer le niveau d'énergie de la musique", lance enthousiaste cette apprentie âgée de 32 ans.

Kwem Kimtai vient de terminer quatre semaines de cours intensifs à l'académie SEMA (Santuri Electronic Music Academy), créée en 2021, dont le nom est tiré du mot "vinyle" en swahili et qui se décrit comme un hub d'innovation et inclusion musicale.

"Avant cela, j'étais juste une amoureuse de la musique", raconte celle qui se fait appeler Tawa.RaR, un nom de scène qu'elle espère rendre célèbre. Se faire une place sur la scène électronique reste, selon elle, un défi pour les Kényanes.

Si les femmes DJ gagnent en visibilité en Afrique de l'Est, elles se sentent toujours rejetées, réduites à des stéréotypes, et bien moins payées, selon une étude consacrée à la musique électronique réalisée en 2020 par Santuri East Africa.

Selon cette même étude à laquelle des dizaines d'artistes ont participé, la production musicale reste masculine, et les coûts des formations trop élevés, excluant les moins favorisés.

Des centaines de personnes ont depuis été formées par SEMA aux différents métiers de la musique électronique (production, DJ, etc.) grâce à des financements internationaux pour la plupart, avec une attention particulière accordée à l'équité.

"Quand j'ai commencé à mixer, j'aurais vraiment aimé avoir quelque chose comme ça, car mes professeurs étaient tous des hommes", se souvient la formatrice DJ Shock, derrière les platines depuis 20 ans.
 
A l'époque, "à part moi, je ne connaissais peut-être que deux autres femmes (...) Les hommes bloquaient", ajoute-t-elle avant de donner une leçon sur l'aspect commercial de la profession de DJ à ses élèves.

Au fond de la salle de classe, des baffles sont empilées derrière une platine. Certains apprentis, ordinateurs allumés, pianotent discrètement sur un logiciel de mixage, à deux jours de leur présentation finale.

La classe est remplie de femmes, se réjouit Daisy Nduta, une ingénieure du son de 28 ans après sa présentation finale. "Nous sommes celles qui vont faire évoluer les espaces et les rendre plus sûrs pour tous", assure celle qui a "hâte" de se produire.
La formation permet en outre aux apprentis de jouer lors des évènements fréquents comme Santuri East Africa, souligne DJ Shock.

"On programme en +prime time+ toutes les personnes qui, selon nous, peuvent assurer les meilleurs créneaux", sans discrimination de genre, affirme-t-elle, dénonçant les nombreux évènements où les femmes DJ se voient assigner le set d'ouverture, quand le public est clairsemé.

Aujourd'hui dans la capitale kényane, des collectifs comme "Sirens" enchaînent des évènements féminins, et des femmes DJ sont régulièrement tête d'affiche des clubs phares.

Une progression observée à l'échelle mondiale. Selon des chiffres du réseau musical "Female:pressure", la dernière décennie a révélé une forte augmentation des artistes féminines lors des festivals électroniques, dont le nombre est passé de 9,2 % en 2012 à 30% en 2023.

Au Kenya, "il y a de plus en plus de DJ femmes qui émergent (...) Elles prennent de plus en plus confiance en elles, et j'adore", se réjouit Tina Ardor, qui joue régulièrement au club Muze, une institution nairobienne de la musique électronique.

L'artiste, qui dit intégrer de nombreux dialectes locaux dans sa production, souligne qu'il reste "difficile" de faire carrière en raison de la persistance du "favoritisme", même inconscient, pour les hommes.

Elle dit avoir participé à une formation de SEMA en 2023, qui l'a aidée à prendre confiance.
"J'étais (...) simplement une chanteuse invitée sur certaines chansons. Mais maintenant (...) je suis au premier plan de ma propre musique", sourit-elle.


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