L’Union européenne resserre le contrôle bancaire

Quelles conséquences pour les transferts des MRE et pour l’économie du Maroc ?


M.O
Lundi 1 Septembre 2025

L’Union européenne resserre le contrôle bancaire
Les Marocains du monde suivent avec appréhension les ultimes tractations autour du nouveau dispositif législatif européen destiné à renforcer la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

Derrière les objectifs affichés de transparence et de sécurité financière, se dessinent des conséquences potentiellement lourdes pour les transferts des MRE, véritable colonne vertébrale de l’économie nationale. Cette réforme dont l’entrée en vigueur est prévue en 2026, pourrait redéfinir en profondeur les conditions dans lesquelles les banques étrangères, y compris marocaines, opèrent au sein de l’espace européen.

Depuis des décennies, les transferts des Marocains établis à l’étranger constituent un souffle vital pour l’économie du Royaume. En quelques chiffres, l’importance de cette manne apparaît dans toute sa clarté : entre 2019 et 2024, les envois d’argent des MRE ont presque doublé, passant de 59 à 117 milliards de dirhams. Ce montant, supérieur aux recettes touristiques et aux revenus du phosphate, ne cède sa place qu’aux exportations automobiles. Autrement dit, sans ces transferts, l’équilibre fragile de la balance commerciale marocaine, où les importations dépassent de loin les exportations, plongerait dans une vulnérabilité inquiétante.

Or, le projet européen entend imposer une supervision rigoureuse et centralisée à travers la création d’une Autorité européenne de lutte contre le blanchiment d’argent, connue sous le nom d’AMLA. Son rôle consistera à harmoniser et appliquer de manière stricte les règles de conformité à l’ensemble des établissements financiers opérant dans l’Union européenne, qu’ils soient européens ou filiales de banques étrangères. Cette approche, motivée par le souci d’éliminer toute faille dans la chaîne de contrôle, ne laisse plus de place à des régimes nationaux d’exception. L’Europe, soucieuse de protéger l’intégrité de son marché unique, exige désormais une uniformité sans concession.

Pour les banques marocaines implantées en Europe, qui jouent un rôle essentiel dans la fluidité et l’accessibilité des transferts de fonds vers le Maroc, le risque est double. D’une part, le coût de mise en conformité avec les nouvelles règles, beaucoup plus strictes, pourrait se répercuter sur les frais facturés aux clients. D’autre part, certaines dispositions prévoient la limitation, voire l’interdiction, de l’activité de filiales non européennes sur le marché, ce qui priverait les MRE d’un canal privilégié, compétitif et familier pour envoyer leur argent au pays.

L’alerte a été donnée par plusieurs experts. L’économiste Abdessalam Elhajoui rappelle que «les transferts des Marocains de l’étranger ne se réduisent pas à un simple flux monétaire. Ils sont une source capitale de devises, un outil de stabilisation de la balance commerciale et un soutien direct à des centaines de milliers de familles».

Sans eux, dit-il, le déficit structurel du commerce extérieur, déjà préoccupant puisque les exportations ne couvrent qu’environ 61% des importations, deviendrait insoutenable. La menace qui plane n’est donc pas théorique : elle touche de front la résilience de l’économie marocaine et la cohésion sociale qui repose en grande partie sur ces transferts familiaux.

Il suffit de rappeler que les coûts des transferts vers l’Afrique figurent déjà parmi les plus élevés au monde. Les migrants marocains, bien qu’animés par un attachement indéfectible à leur pays d’origine, sont confrontés à des frais disproportionnés par rapport à d’autres régions. La présence de banques marocaines en Europe a permis, jusqu’ici, d’atténuer cette charge, en proposant des conditions plus adaptées et plus accessibles. Mais si ces établissements se retrouvent écartés ou contraints à relever drastiquement leurs tarifs pour se conformer aux règles européennes, la facture s’alourdira inexorablement pour les expatriés. L’impact sera direct et douloureux : moins d’argent envoyé, une pression accrue sur les budgets familiaux, une baisse de l’épargne investie dans les banques marocaines et, in fine, un affaiblissement de l’investissement national.

Face à ce tournant, la marge de manœuvre du Maroc ne réside pas dans la résignation mais dans l’action diplomatique et l’innovation financière. Les discussions avec l’Union européenne doivent s’ouvrir sans délai, pour défendre l’importance stratégique de ces transferts et négocier des mécanismes d’adaptation qui évitent d’en faire les victimes collatérales d’une politique sécuritaire légitime mais aveugle à certaines réalités.

«Parallèlement, la piste de la digitalisation apparaît comme une réponse incontournable. En connectant directement les banques européennes aux banques marocaines à travers des plateformes numériques fiables, sécurisées et transparentes, il serait possible de réduire les intermédiaires et donc les coûts, tout en respectant les nouvelles normes européennes», explique Abdessalam Elhajoui.

La vigilance est d’autant plus urgente que le Maroc est plus exposé que d’autres pays africains. Contrairement au Nigeria, qui s’appuie largement sur les sociétés de transfert d’argent, ou à l’Egypte, dont la diaspora est majoritairement tournée vers les pays du Golfe, le Maroc concentre l’essentiel de ses transferts en provenance d’Europe, en particulier de France, d’Espagne, d’Italie, de Pays-Bas et d’Allemagne. Ce lien structurel avec l’espace européen rend toute évolution réglementaire immédiatement décisive.

Ce qui est en jeu dépasse les chiffres. Il s’agit d’un choix de société, d’un pacte implicite entre l’Etat et sa diaspora, qui, malgré les distances, continue de nourrir et de soutenir l’économie nationale. La réforme européenne, si elle est appliquée sans nuance, risque d’ébranler ce pacte et de fragiliser une dynamique vitale. Le Maroc n’a donc pas le luxe de la passivité. Entre négociation ferme avec ses partenaires européens et accélération de ses propres chantiers de modernisation financière, l’heure est à la mobilisation totale. Les transferts des Marocains du monde ne sont pas seulement un flux monétaire : ils incarnent une fidélité, une solidarité et une vitalité qui doivent être protégées avec autant de détermination que les plus grands secteurs stratégiques du pays.

M.O


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