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évoque les splendeurs et misères du métier
d’enseignant, que l’on ne peut exercer
sans passion.
Najat Dialmy est l’auteure d’un brillant recueil de nouvelles intitulé «Amères tranches de vie». Elle a également publié des textes littéraires dans «100% Auteurs», «Ma vie sur Facebook» et «37 du Maroc… ». Elle vient de sortir un ouvrage important intitulé «Mémoires d’un professeur. Récit de vie». En commençant cet ouvrage, nous nous sommes d’abord demandé dans quel sens il fallait entendre l’expression «récit de vie». Est-ce une autobiographie que nous livre Najat Dialmy ? De l’autofiction? Est-ce un ouvrage analogue à ces discours d’outre-tombe produits par Chateaubriand ? Est-ce que «Les mémoires d’un Professeur» serait un roman qui ne dirait pas son nom? Lors de la rencontre autour de son livre à Kalila Wa Dimna, Najat Dialmy a précisé ce point : «C’est un récit de vie, ce sont des choses de ma vie, quelqu’un m’a dit que je n’aurais pas dû mettre «récit de vie» et laisser libre court à l’imagination de chacun d’interpréter comme il veut… Moi, j’ai vécu cela, ce n’est pas de la fiction. Par acquis de conscience, j’ai mis «récit de vie».
Cet acquis de conscience traverse l’œuvre comme un fil rouge. Attention ! Ce n’est pas non plus un pamphlet ou une réflexion critique sur le milieu scolaire que nous avons sous les yeux. Il s’agit uniquement des souvenirs de Najat Dialmy. Celle-ci a décidé de les publier comme on cède à une «tentation», par plaisir.
Dans un contexte où l’enseignement, notamment l’enseignement public, est remis en cause, Najat Dialmy redonne au métier d’enseignant ses lettres de noblesse, en partageant publiquement la passion qui l’anime. D’un point de vue formel, «Mémoire d’un professeur. Récit de vie» ressemble à «Amères tranches de vie». L’ouvrage est constitué de brèves histoires, de certains moments d’existence. Nous avons été touchés par le premier récit racontant cette petite fille qui rêve de devenir maîtresse d’école dès son plus jeune âge et s’amuse à faire cours à des oreillers en mettant les chaussures de sa mère : «Je pris l’habitude de m’enfermer dans une chambre pendant des heures et je plongeai dans un univers que mon imaginaire créait : juchée sur des chaussures à talons de ma mère, une longue règle à la main, je commençai à donner cours […] j’étais transposée dans un monde que j’avais construit moi-même, un monde où je me plaisais, où je m’affirmais». Lorsque le rêve devient réalité, est-ce que les événements réellement vécus ne prennent pas également une dimension fictionnelle ? Même si Najat Dialmy a insisté sur le fait que son texte n’est pas un roman, nous n’avons pas pu nous empêcher d’y voir en son sein une dimension littéraire.
Bien entendu, le fil rouge du livre reste le partage de ces souvenirs d’enseignante, du rapport aux élèves, des anecdotes vécues. La première leçon donnée en 1982 montre que le métier de professeur s’apprend autant «par corps», pour reprendre l’expression de Pierre Bourdieu, que par l’esprit. Tout n’est pas expliqué dans les manuels de psycho-pédagogie. Lorsqu’elle rentre dans sa salle de classe en jean et les cheveux détachés, elle se rend compte que les élèves sont surpris et se mettent très vite à s’agiter. Si on veut leur enseigner le français et parvenir à tenir sa classe, il faut commencer par mettre une tenue adéquate. Pour le dire avec les termes du politiste Jacques Lagroye, il faut être capable d’habiter socialement le rôle social que l’on est amené à tenir. Najat Dialmy attache ses cheveux, met une tenue stricte et impose également une discipline, en n’hésitant pas à exclure de sa salle les plus turbulents. On a l’impression que l’auteur de ce «récit» va faire l’apologie de ce que Michel Foucault appelle le «bio-pouvoir», constitué de ces pratiques visant à discipliner les corps et à réguler les populations administrées. Or, il n’en est rien. Oustada Dialmy laisse ses élèves s’exprimer librement dans sa salle de classe (vous me direz, l’aveu fait partie de ces technologies de pouvoir dont parle Michel Foucault) mais surtout rend compte avec beaucoup d’humilité et de sincérité de tous les apprentissages, de toutes les remises en cause que lui ont procuré ses élèves. A un moment de sa carrière, elle prend en grippe Fatema mais elle fond en larmes dans ses bras le jour où cette dernière empêche son jeune fils de traverser la rue et d’être renversé par un chauffard. L’un des plus beaux passages du livre est lorsqu’elle abandonne le dispositif disciplinaire mis en place en écoutant une de ses élèves lui faire part de la terreur qu’elle ressent à l’idée d’être sanctionnée par la maîtresse : «Je vis à ce moment-là l’horreur de ce que j’avais cultivé pendant de longues années, l’horreur de ce que je croyais être une idée de génie. Souad m’avait donné une leçon sans pareille». Il est rare de voir une auteure se mettre à nu – émotionnellement parlant – à ce point. La fragilité, le doute mais aussi la passion et l’engagement pédagogique qui sont les siens méritent d’être salués. Se rendant compte, après avoir attiré l’attention de ses élèves sur les actes de cruauté infligés aux animaux par ses élèves, qu’elle ne supporte pas la présence des lézards susceptibles d’entrer chez elle et qu’elle n’hésite pas à tuer ces bestioles, Najat Dialmy s’exclame : «Je voulais être un exemple à leurs yeux, un exemple digne d’être imité alors qu’en vérité je n’étais pas meilleure qu’eux».
Comme le disait Nikos Kazantzakis, l’auteur de «Alexis Zorba», l’enseignant n’est rien d’autre qu’un pont et il aide ses élèves à le traverser d’un bout à l’autre. Heureux qui comme un élève – mais aussi un lecteur - de Najat Dialmy a fait un beau voyage…
* CRESC/EGE Rabat (Cercle de Littérature Contemporaine)