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Entre guerre et dénuement, les apiculteurs de Centrafrique se battent pour leur miel


Libé
Vendredi 21 Octobre 2022

Entre guerre et dénuement, les apiculteurs de Centrafrique se battent pour leur miel
Le large faisceau lumineux de la lampe torche fend le manteau de la nuit. À Bossangoa, dans le nord-ouest de la Centrafrique, réputée pour son miel parfumé, quatre apiculteurs se dirigent d'un pas silencieux vers une ruche en bois perchée au sommet d'un manguier.

Le plus fin grimpe avec difficulté pour déloger la nasse bourdonnante et la tend aux autres. Ils comptent sur l'obscurité qui calme les abeilles pour extraire un peu de nectar.

 La Centrafrique était, en 2020, le vingtième plus grand pays producteur de miel au monde et le quatrième d'Afrique, selon l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). Mais la guerre civile depuis neuf ans, l'isolement des producteurs et le manque de moyens ont freiné le développement de la filière.

Des nuages de fumée inondent la scène. Selon la technique ancestrale des apiculteurs du monde entier - pour réduire l'agressivité des abeilles qui pensent la colonie attaquée par les flammes et se regroupent dans la ruche pour protéger leur reine - l'un des hommes presse frénétiquement le soufflet de son enfumoir métallique. Une odeur d'herbes sèches brûlées flotte dans les airs.

La végétation est luxuriante. "A Bossangoa, il y a beaucoup d'arbres de karité, des manguiers, des papayers, des pamplemoussiers, des bananiers... C'est ce qui nous permet d'avoir un miel d'une grande qualité", s'enthousiasme Philippe Mobompte, secrétaire général de la Coopérative des apiculteurs de l'Ouham (CAPICO), soutenue par l'ONG internationale Action contre la faim, qui fournit aux membres ruches modernes, enfumoirs, extracteurs de miel et tenues de récolte.

Dans sa combinaison beige, élimée par les nombreuses heures de récolte dans ses 20 ruches modernes et 25 traditionnelles, M. Mobompte saisit le premier rayon dont seules les alvéoles retenant le précieux nectar brillent dans la nuit.

Même si elle a considérablement baissé d'intensité depuis 2018, la guerre civile entamée en 2013 affecte toujours les communautés à mesure que l'on s'éloigne de Bangui.
En 2013, une coalition armée dominée par des musulmans, la Séléka, avait renversé le président François Bozizé, lequel avait ensuite rassemblé des milices à majorité chrétienne et animiste, les anti-balakas.

Les deux camps se sont livrés une guerre sanglante dont les civils ont été les principales victimes. Puis ces groupes armés sont devenus des mouvements criminels ou rebelles, prédateurs des ressources du pays.

Ils occupaient encore les deux tiers du pays en décembre 2020, quand des mercenaires de la société privée russe Wagner, appelés à la rescousse par le président Faustin Archange Touadéra, ont aidé l'armée à les repousser d'une majeure partie de ces territoires. Aujourd'hui, des combats sporadiques éclatent çà et là, comme les exactions et crimes des deux camps contre les civils selon l'ONU.

"Avant la crise, nous vendions notre miel aux pays frontaliers et à Bangui, c'est difficile désormais", se lamente M. Mobompte, qui poursuit: "Si les groupes armés n'ont jamais touché à mes ruches, ils ont pillé et détruit ma maison deux fois."

 "Je me souviens d'une période où des Tchadiens, Camerounais et Soudanais venaient acheter leur miel ici, mais aujourd'hui la consommation est faible", renchérit Francine Webouna, 42 ans, marchande de miel sur le marché de Bossangoa.

En février 2021, Bossangoa, petite préfecture de l'Ouham, a été reprise aux rebelles par l'armée et ses alliés russes. Même si le calme est revenu, les quelques centaines d'apiculteurs de la CAPICO ne peuvent s'éloigner en brousse pour étendre leurs exploitations. "Ils risquent de tomber sur des rebelles qui rôdent encore", assure M. Mobompte.

"Prendre la route pour vendre son miel, c'est dangereux aussi, et cher, car on peut tomber sur des malfrats et les taxes aux différents points de contrôle sont élevées", déplore-t-il, encore marqué par l'agression récente d'apiculteurs de sa coopérative en chemin vers une foire agricole.

Comme d'autres qu'il forme, M. Mobompte, 64 ans, ne peut pas vivre de son miel. "Il n'y a pas de débouchés ailleurs et, localement, les gens n'en consomment pas assez, je stocke en ce moment 200 litres de miel en attendant de trouver preneur", explique-t-il.
"Un litre et demi se vend ici entre 2.000 et 2.500 francs CFA (3 à 4 euros)", explique l'apiculteur. "En Centrafrique, ce n'est pas un produit de luxe", souffle-t-il.

Certains de la qualité de leur nectar, les apiculteurs de la coopérative ont l'espoir ténu de développer la filière en transformant le miel sur place. "Nous pourrions faire des compléments alimentaires, du cirage, des produits cosmétiques et être reconnus pour cela, mais le manque de matériel, de fonds et de connaissances ne facilitent pas ce développement", déplore Philippe, en chassant machinalement les abeilles autour de lui.


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