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Entre expulsions expéditives et retour à l’envoyeur

Des migrants subissent les affres de l’arbitraire algéro-européen


Hassan Bentaleb
Jeudi 30 Mai 2019

L’Algérie s’est-elle transformée en un centre secret de réadmission des migrants irréguliers expulsés de l’Europe ?   Des ressortissants étrangers sont détenus pendant des mois dans des sous-sols des commissariats de police précisément dans la capitale, Alger. Il s'agit d'étrangers qui ont été expulsés des capitales européennes avec des laissez-passer délivrés par les consulats d'Algérie, soit des laissez-passer européens (Nouvel instrument de l'UE pour accélérer les expulsions).
« Il s’agit d’une pratique ancienne et courante dans ce pays », nous a indiqué Fouad Hassam, membre de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'Homme (LADDH). Et de préciser : « Elle touche de nombreux migrants non-algériens, que l'Algérie accepte de détenir sur son territoire entre 6 et 15 mois, en toute illégalité, avant de les renvoyer vers les pays émetteurs. Tout ressemble à un transfert de prisonniers d'un camp vers l’autre».
Notre source nous a cité le cas d’un migrant qui prétend être palestinien et qui a été arrêté à l’aéroport de Madrid en avril 2018 avant d’être expulsé vers Alger. L’homme a été renvoyé sans aucun document administratif, juste une carte d'accès sur un vol de la compagnie "Vueling" assurant la liaison Madrid-Alger-Madrid. Une fois arrivé à Alger, la police des frontières l’a renvoyé de  nouveau vers Madrid sur le même vol, mais avec une identité algérienne. « Cela veut dire que la police des frontières a attesté qu'il est de nationalité algérienne, et dans ce cas, pourquoi l’a-t-elle donc renvoyé à Madrid? », s’est interrogé notre source qui a ajouté qu’une fois ledit migrant  débarqué à Madrid, le consulat d'Algérie lui a confectionné un laissez-passer avec son nouveau nom algérien, ce qui a permis à Madrid, de l'expulser en bonne et due forme. « De retour à Alger, il a été transféré dans le commissariat sis Boulevard Amirouche, pour rester en rétention, alors qu’il devait être relâché comme toute personne portant la nationalité algérienne expulsée de l'étranger après un passage devant le tribunal qui le condamne avec sursis comme c’est souvent  le cas », nous a-t-elle révélé.
Ce migrant non-algérien a dû passer près de sept mois en détention avant d'être transféré vers le commissariat central d'Oran. La police a tenté, par la suite, de l'embarquer sur un ferry vers Alicante. Une tentative qui a échoué puisque le commandant a refusé de le prendre à bord. Ceci d’autant plus que la police des frontières du port d'Oran a découvert que l'identité donnée à ce migrant est celle d’un Algérien qui purge encore sa peine en prison. « Ce migrant a été transféré de nouveau vers Alger où il est resté jusqu'au mois de mars 2019. Il a été renvoyé, par la suite, vers Madrid. Une procédure normale prévue par les accords de réadmission qui stipulent que le pays destinataire peut renvoyer l'expulsé à l'envoyeur, s'il découvre qu'il n'est pas l’un de ses ressortissants », nous a précisé Fouad Hassam.
Ce dernier nous a rapporté également l’histoire d’un autre migrant qui a passé près de 15 mois de rétention dans un commissariat à Alger. « Cette personne a été expulsée d'Oslo en février 2018. Elle  a été supposée être de nationalité algérienne et c'est la raison qui a conduit les autorités norvégiennes, avec accord préalable ou pas des autorités consulaires algériennes, à procéder à son expulsion du pays », nous a-t-il expliqué. Et de poursuivre : « Pourtant, la réalité est autre puisque cet homme qui porte le nom de "Said El Gourni" alors que son vrai nom est Chafir Abdelkader, n'est pas algérien, et il demeure emprisonné de manière arbitraire et psychologiquement violente, en secret, sans que le Parquet ne soit informé de son cas, alors que c'est la seule autorité qui a pouvoir de restreindre la liberté des personnes ». Pourtant, le droit international relatif aux droits humains est clair sur ce point puisqu’il stipule que « nul ne peut être détenu sans raison légitime et toute personne accusée d'une infraction a droit à un procès équitable ». Il a également édicté un certains nombre de procédures à suivre et des garanties à respecter comme la présence des avocats pendant les interrogatoires, des médecins indépendants disponibles pour examiner les détenus, le devoir de contacter les familles, l’interdiction d’obtention d'« aveux » sous la torture ... Ce droit constitue même un droit fondamental et absolu, étant considéré comme une norme de jus cogens définie par la Convention de Vienne du 23 mai 1969, dans son article 53 : « Aux fins de la présente Convention, une norme impérative de droit international général est une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des Etats dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n'est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère. »
Fouad Hassam soutient que ces expulsions arbitraires et attentatoires aux droits de l'Homme sont devenues des pratiques courantes dans plusieurs pays européens (Espagne, France, Belgique,  Allemagne, Norvège…) tout en précisant que cela n’est devenu possible que grâce à la complicité du pays d’accueil. « La situation des personnes non-algériennes expulsées des capitales européennes, est une atteinte grave aux droits de l'Homme, notamment lorsque le pays de destination est un pays tiers "non sûr", en terme de respect des droits de l'Homme », a-t-il souligné. Et de conclure : « La communauté internationale dénonce haut et fort le "trafic de migrants". Mais, quel nom doit-on donner à cette pratique des Etats du Nord qui renvoient vers des pays du Sud des migrants qui ne sont pas ressortissants de ces pays ?  Et quel est l'intérêt pour un pays du Sud d'accepter un tel "colis", puisqu’il s’agit d’une pratique marchande en réalité? Une marchandise qui reste enfouie dans les sous-sols des commissariats, à l'insu de la justice, et du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) bureau d'Alger, qui ne peuvent tolérer cette pratique stalinienne ».


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