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Au Moyen-Orient, l'eau remplace le pétrole

L'enjeu du XXIe siècle dans cette région instable sera la maîtrise de cette ressource.


SOURCE : SLATE.FR
Mardi 28 Juillet 2009

Au Moyen-Orient, l'eau remplace le pétrole
Nous sommes malheureusement hantés par la litanie des problématiques multiples de «l'Orient compliqué»: conflit israélo-palestinien, divisions entre Hamas et Fatah, problème des colonisations israéliennes, nucléaire iranien, montée de l'islamisme, rivalité croissante entre sunnites et chiites, enjeu énergétique du pétrole, place du Hezbollah au Liban...
Mais, dans ce «Proche-Orient éclaté», selon le titre de l'excellent ouvrage de l'ancien ministre libanais George Corm, la gravité des enjeux ethniques, intra-étatiques ou religieux a tendance à masquer un autre facteur primordial des équilibres de la région: l'eau. L'avenir de la paix au Moyen-Orient dépend pourtant de la gestion des ressources hydrauliques.
L'eau est en effet surexploitée dans cette région où elle particulièrement rare. La croissance démographique, la pression économique et agricole - nombre de pays, comme l'Arabie Saoudite, ont mené une politique d'autonomie alimentaire très exigeante en irrigation - conduisent à assécher les réserves existantes.
Quelques données illustrent cette situation intenable de «stress hydrique». Entre 1985 et 2000, les ressources en eau ont diminué de 80% pour certains pays de la région. Le seuil de pénurie d'eau est estimé à 1 000 m3 d'eau par habitant et par an. À 500 m3, la situation devient critique. A moins de 100 m3, il faut faire appel à des sources d'eau «non conventionnelles» comme le dessalement ou la réutilisation des eaux usées. Le Koweït, le Qatar et Bahreïn disposent de 90 à 120 m3 par habitant et par an; l'Arabie saoudite de 160m3; la Jordanie de 260 m3 et Israël de 400 m3. Ces deux derniers pays accusent un déficit d'environ 300 millions de m3/an qu'ils tentent de combler en surexploitant les nappes phréatiques, dont certaines ne sont pas renouvelables. Le niveau de la mer Morte a baissé de plus de dix mètres en quelques années. Cette mer devrait disparaître définitivement d'ici 2050 si rien n'est fait pour la réalimenter. Dans ces pays, la vraie richesse au XXème siècle était le pétrole, ce sera l'eau au XXIème siècle.
Cette pénurie généralisée engendre déjà de graves tensions et des problèmes humanitaires. De ce point de vue, l'occupation du Golan, véritable château d'eau de la région, est un enjeu particulièrement stratégique, mêlant Israël, Syrie, Jordanie et Territoires palestiniens. Autre donnée marquante: selon un rapport de l'ONU, la consommation moyenne d'eau pour un Israélien s'élève à 235 litres par jour contre 66 litres en Cisjordanie. Cette inégalité est une source de tensions croissantes. Malgré cela, Israël rencontre des difficultés pour alimenter le sud du pays tandis qu'à Gaza, l'eau devient impropre à la consommation, car mélangée avec de l'eau de mer salée.
De telles tensions existent aussi entre la Turquie, la Syrie et l'Irak. Ces pays sont alimentés essentiellement par le Tigre et l'Euphrate qui prennent leur source en Turquie. Or la Turquie a adopté en 1989 un programme d'aménagement du territoire qui prévoit la construction de 22 barrages et 19 centrales hydroélectriques sur ces deux fleuves afin d'irriguer les terres et générer de l'électricité. La Turquie mobilise à elle seule les trois-quarts du débit des fleuves mésopotamiens, créant des tensions avec les pays situés en aval, qui risquent à terme de se voir privés d'eau et d'électricité.
Turquie et Israël sont donc dans une situation géostratégique de force par rapport à leurs voisins. La Turquie peut à tout moment couper les vannes du Tigre et l'Euphrate pour assécher la Syrie et l'Irak. Israël contrôle en grande partie l'approvisionnement de la Jordanie et des Territoires palestiniens. Dans une région où les ressources s'évaporent, maîtriser l'eau est un indispensable instrument de puissance. Une gestion inégalitaire et non équilibrée de l'eau ne peut que nourrir la dynamique de conflit au Proche-Orient.
Quelles propositions pouvons nous suggérer aux dirigeants orientaux pour gérer cette crise de l'eau? Les solutions techniques doivent être développées: dessalement et retraitement des eaux usées par exemple. Mais je crois que les vraies solutions doivent être politiques. Je regrette à cet égard que le forum mondial sur l'eau de mars dernier à Istanbul se soit limité à des déclarations souvent incantatoires sur l'accès à l'eau, sans vraiment aborder la dimension géostratégique des ressources hydrauliques.
Le problème de l'eau est global, il ne peut être régi de manière unilatérale. Il ne doit pas être réglé pour Israël contre les Territoires Palestiniens ou pour la Turquie contre l'Irak et la Syrie. Cette attitude ne peut mener qu'à une escalade des tensions. Au contraire, il faudrait que le sujet de l'eau soit traité ensemble par les pays concernés.
Plusieurs projets sont ainsi à l'étude: la construction d'un canal «de la paix» voulu par Shimon Pérès, qui a pour objectif de sauver la mer Morte dans le cadre d'une coopération régionale entre Jordaniens, Palestiniens et Israéliens. Ce canal relierait la mer Morte et la mer Rouge: 50% de l'eau serait dessalée au profit de la Jordanie et les 50% restants viendraient aliment la mer Morte. De même, un projet de canal sur l'Euphrate, gonflé par les eaux de plusieurs fleuves en Turquie, puis venant irriguer la Syrie a été avancé par des spécialistes libanais. Ces initiatives, aussi délicates soient-elles à réaliser et à financer, laissent entrevoir un espoir pour la région. Une gestion multilatérale de l'eau mènerait à une meilleure répartition des ressources et apaiserait les tensions.
Je vais même plus loin. Je me demande si l'administration de l'eau, aujourd'hui si conflictuelle, ne peut pas devenir un moyen d'arriver à la paix au Moyen-Orient. Lorsque, cinq ans après la Seconde Guerre mondiale, Jean Monnet et Robert Schuman ont voulu réconcilier la France et l'Allemagne, ils ont proposé que ces deux pays gèrent ensemble les ressources stratégiques indispensables à la guerre. Ce fut la naissance de la CECA. En moins de 50 ans, la France et l'Allemagne, après plus de soixante-quinze ans de sang et haine, sont devenus des partenaires fidèles. La France et l'Allemagne ont su bâtir la paix en coopérant dans le domaine du charbon et de l'acier, pourquoi serait-il impossible à Israël et aux pays Arabes de construire une entente durable sur la question si vitale de la gestion de l'eau? Pourquoi la pénurie d'eau ne leur ferait-elle pas prendre conscience qu'ils partagent une même communauté de destin et qu'ils ne peuvent survivre qu'en construisant la paix?
Jean-François Copé
Député de Seine-et-Marne et président du groupe UMP à l'Assemblée nationale.


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