​Il me dit que je suis belle

Il y a des auteurs qui savent faire sourire les mots. Nadia Ayoub, avec le portrait de cette quadragénaire qui a envie de s’entendre dire qu’elle est belle, nous livre un beau premier roman au ton léger et décapant.


Par Jean Zaganiaris
Lundi 22 Avril 2019

“Ouf, te voilà enfin libre ! te voilà soulagée de longues années de souffrance, de solitude et de désamour ! Tu as enfin réussi à te défaire du carcan d’un mariage de façade qui a miné ta pauvre existence, et fané les roses de tes belles années de jeunesse ! Tu vas maintenant pouvoir recommencer à respirer, à caracoler, à vivre ! ». C’est ainsi que commence le roman de Nadia Ayoub. Hind, le personnage principal, une femme d’une quarantaine d’années, mère de deux enfants, vient de divorcer. Pour elle, c’est un soulagement. Elle ne vit pas sa nouvelle condition comme un stigmate ou un opprobre. Les sphères sociales qu’elle fréquente n’étiquettent pas de manière péjorative les femmes divorcées. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y a pas de conventions sociales dans les classes aisées et que la vie matrimoniale, comme on peut le voir chez Bourdieu, n’est pas affranchie de certains enjeux, y compris (et surtout) quand il s’agit d’amour. Malak, une des amies de Hind, a tiré le gros lot en épousant un célèbre homme d’affaires, tandis que Najia, universitaire, a dû se contenter d’épouser un petit intellectuel.
Hind s’interroge sur son mariage : « Tu l’as épousé pour rester conforme à l’image de fille bien élevée et vertueuse que tes parents ont tenu à te voir refléter, et tu es restée avec lui pendant plus de vingt ans, toujours pour ne pas peiner ta mère et éviter de mettre de l’eau dans le moulin de tout le voisinage, à l’affût de petits scandales à ruminer». Tout est là, le poids des traditions mais aussi son renouvellement, sa réinvention, la volonté d’en finir après avoir tenu le coup. Dans un contexte dont on perçoit en arrière-plan la réforme de la Moudawana en 2004, Hind a décidé de commencer une nouvelle vie. Pas forcément seule. Très vite, elle a envie de rencontrer le prince charmant, de s’entendre dire, comme dans la chanson de Patricia Kaas, qu’elle est belle. Ses copines l’invitent d’ailleurs à se recaser. L’amour est aussi social. En lisant Nadia Ayoub, j’ai pensé aux travaux sociologiques de Eva Illouz, notamment à son ouvrage « Consuming the Romantic Utopia: Love and the Cultural Contradictions of Capitalism”, montrant que l’amour est un produit capitaliste comme un autre, fait pour être consommé et être rentable. Hind va chez le coiffeur, claque un pognon fou pour se faire belle, pour plaire, pour que quelqu’un la trouve charmante et s’intéresse à sa personne. La recherche d’un partenaire idéal dans le roman de Nadia Ayoub est analogue à cette quête pour un emploi dans le roman “Le job” de Reda Dalil. Hind s’inscrit sur un site de rencontre, découvre les sensations technologiques de l’échange de messages, rencontre les désillusions lorsqu’on passe du virtuel au réel. 
Au fur et à mesure que le roman avance, Hind change, se métamorphose : « Toi, dont le maintien austère a fait ta notoriété auprès de tes proches et le désarroi auprès de tes amies, voilà que tu pars à la recherche des habits les plus colorés et les plus voyants, que tu te mets à étrenner des petites jupes que tu aurais jugées trop jeunes et trop sexy il n’y a pas si longtemps ». Le « Tu » ne va pas sans rappeler celui utilisé par Youssef Wahboun dans « Trois jours et le Néant », où le personnage masculin vit, dans des registres différents, des expériences analogues à celles de Hind. La vie sur Facebook ou lors des soirées arrosées est plus belle que la vie réelle, celle où l’on se réveille seule dans des draps froids. Et puis, un beau jour, on pense que le miracle est arrivé. Hind rencontre un homme apparemment parfait, même s’il est plus jeune qu’elle. Peu importe, il l’aime profondément. Est-ce qu’ils se marieront et auront une vie heureuse ? Est-ce que Hind est devenue une cougar à la sauce Bovary ? Est-ce que la vie n’est faite que de pièges, d’utopies, d’illusions, ou bien est-ce qu’il faut croire malgré tout en l’amour ? Le lecteur passe de rebondissement en rebondissement dans cette belle histoire, remplie d’humour et de légèreté.
 
 
 


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1.Posté par Nadia Ayoub le 05/06/2019 08:25 (depuis mobile)
Merci infiniment pour cette belle chronique qui me fait découvrir mon roman sous un regard nouveau!

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