Zouhair Lahna : La Syrie pour moi est la plus grande crise humaine et humanitaire du moment


Entretien réalisé par Youssef Lahlali
Mercredi 16 Septembre 2015

Docteur Zouhair Lahna, chirurgien obstétricien et acteur associatif, a une longue expérience dans les zones de conflits (de l’Afghanistan en Syrie sans oublier Gaza). Cet ancien chef de clinique des Universités de Paris VII est aussi ancien vice-président d’aide médicale internationale et membre de Médecins sans
frontières-France. Sa dernière mission à Alep a été effectuée avec une
ONG syrienne (Union des organisations de soins et santé médicaux).
Suite à une mission de 20 jours en Syrie pour former
le personnel médical sur place, le docteur Zouhair Lahna
a accordé cet entretien à Libé


Libé : Docteur Zouhair Lahna, dans quel cadre vous êtes parti en mission en Syrie ?
Zouhair Lahna : Je suis parti avec une ONG syrienne,  en l’occurrence l’Union des organisations de soins et santé médicaux. Une  ONG sérieuse soutenue par le Quai d’Orsay.
 Il s’agit des Syriens médecins de France, de Grande-Bretagne, des Etats-Unis et du Canada. Ils ont plusieurs projets dont celui de la formation des médecins et des soignants restés sur place.
J’ai donné une formation aux médecins et sages-femmes et je suis parti a Alep former la seule gynéco qui reste dans la partie libérée de la ville à la chirurgie pelvienne.

Comment avez-vous trouvé la situation sur place ?
Le climat est dur et les destructions sont plus importantes qu’à Gaza.
La Syrie pour moi est  la plus grande  crise humaine et humanitaire du moment. Il y a aussi la crise arabe qu’on n’a jamais connue auparavant.

Quel est l’état des infrastructures et des services?
Pour avoir de l’eau, les gens ont creusé des puits dans la ville avec les moyens disponibles. Pour avoir de l’électricité, on utilise de grands générateurs qui fonctionnent avec le gasoil et on vend à la semaine les ampères aux gens selon leurs besoins. Les rues ne sont pas éclairées, la nuit il n’y a pas de sécurité dans la ville. La situation est désastreuse.

Dans quel état d’esprit, sont vos  collègues à Alep ?
Abou Al Izz est malheureux cet après-midi, car il vient de perdre son malade après la quatrième intervention. Un jeune qui a reçu une balle sur le côté gauche. Cette dernière a traversé le foie, le gros intestin, la rate pour sortir par le rein droit. Ce jeune a été opéré plusieurs fois avec transfusions, sutures des différentes blessures et réanimation, mais le foie saignait en abondance, et le parking utilisé en général dans la chirurgie de cet organe fragile et difficile à suturer n’a pas marché malheureusement. Je comprenais parfaitement l’état d’esprit de ce jeune chirurgien, qui, après tant d’efforts, a perdu son malade. On ressent toujours la même “défaite” quand on perd un patient. Et la mélancolie qui envahit les soignants est plus importante encore quand il s’agit d’enfants innocents.

Comment fonctionne l’hôpital sans médecin  à Alep?
Cette chirurgie de guerre lourde nécessite une bonne réanimation. Celle de l’hôpital Omar ne fonctionne que grâce à  des jeunes infirmiers. En l’absence de médecins réanimateurs, ce sont des médecins syriens des Etats-Unis qui prennent en charge les malades à distance via les nouveaux moyens de communication.
Dès qu’ils ont connaissance des situations cliniques des patients avec leurs photos et leurs bilans, ils prescrivent des médicaments et suivent leurs états. Cette technique a permis de sauver nombre de patients et les infirmiers ont acquis avec le temps une expérience notable.
La plupart des médecins sont jeunes, certains n’ont pas pu terminer leurs cursus de spécialisation. Et  au lieu de penser à leurs carrières et se joindre au régime comme tant d’autres, ils ont choisi de servir dans le camp adverse. Ce n’est jamais simple de décider, mais l’arbitraire du régime les a poussés certainement à partir sans avoir obtenu le sésame. Cela  demande un certain courage et une bonne dose de foi en l’avenir.

Comment les gens sont organisés à l’hôpital dans une ville en guerre totale ? 
A l’hôpital, les hommes sont solitaires ; ils y vivent nuit et jour pendant une semaine ou deux d’affilée et puis partent par la route dangereuse que j’ai dû emprunter entre Bab Al Hawa ou Bab Salam (les deux accès frontaliers vers la Turquie), afin de rejoindre leur famille.
Soit dans le nord du pays, relativement calme et moins attaqué ou carrément en Turquie dans les villes limitrophes comme Ryhanli, Hatay, Murcine ou encore Gaziantep qui compte presque 400.000 Syriens. La Turquie a délivré près de deux millions de cartes de refugiés et d’invités depuis le début de la crise. Ces cartes permettent à leurs détenteurs d’accéder aux soins et aux écoles. La crise dure et s’effiloche au fil du temps,  les Syriens en Turquie ont commencé à s’organiser en  créant leurs petites entreprises, leurs propres écoles en arabe.

Est-ce que les ONG internationales sont présentes dans cette ville?
 Les ONG internationales habituées des crises ont peu d’impact à l’intérieur de la Syrie. Après une présence au début, la peur des enlèvements et surtout l’apparition de Daech les ont fait plier. Celles qui œuvrent encore sur place le font à travers des Syriens et sont peu visibles et disons-le peu efficaces sur ce ‘’terrain’’ de tous les dangers. Ce sont les ONG syriennes qui, pour la plupart récentes, se sont révélées les plus actives pour venir en aide à ceux qui sont restés à l’intérieur du pays et même dans les camps de déplacés.
Les soins de santé, bien que disparates, sont accessibles à la population. Les médecins et infirmiers reçoivent un salaire après une longue période de bénévolat. Les médicaments et matériel médical sont disponibles selon les dons et leurs arrivages.
Mais ce qui est préoccupant, c’est la rareté des ‘’écoles’’, sans parler du manque de travail pour ceux qui souhaitent juste survivre.

Aujourd’hui tout le monde en Europe parle des réfugiés syriens avec la polémique sur les quotas. Quel est votre  sentiment en tant que Marocain installé en France ?
 Si l’on n’arrive pas à avoir de l’empathie pour tous ceux qui sont partis sur les routes avec enfants et maigres économies, fuyant ainsi des endroits dévastés, parfois invivables ou avec peu de perspectives, alors on devrait se poser des questions sur l’essence de notre humanité. Il n’y a qu’à lire un peu l’histoire des peuples pour découvrir que personne, mais vraiment personne, n’est à l’abri d’un destin aussi cruel et inhumain.


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