Zaid Ouchna : Les médias doivent protéger le citoyen marocain contre l’obscurantisme


Propos recueillis par Mustapha Elouizi
Lundi 17 Juin 2019

Ecrivain, scénariste, poète, chercheur anthropologue, Zaid Ouchna ne départit jamais de sa vocation de militant infatigable de la cause amazighe. Il a publié de nombreux ouvrages dont «Asfafa n Twengimt» (L’éveil de la conscience), l’histoire des chants et des chantres amazighs du Sud-Est et «Uddur n Umur» 
(Un honneur debout). Sa vision sur  les médias est celle de cette catégorie d’intellectuels, victimes de leur 
exclusion de la scène publique. 
Il décline dans cet entretien le fond de sa pensée sur cette relation entre intellectuels et médias …


Libé : Quelle lecture faites-vous du champ médiatique marocain ? 
Zaid Ouchna : Je voudrais préciser d’abord, que mes points de vue seront d’un autre angle, celui d’un Marocain hors des sentiers battus. C’est une manière de respecter l’intelligence des autres en livrant ma version. Je persiste et signe.
Pour mieux comprendre donc ce champ, il va falloir remonter le temps. En effet, une programmation neuro-linguistique a été mise au point  à l’encontre des Marocains  depuis 1936. Il fallait achever le travail de la guerre et obtenir des résultats. Un rituel d’initiation très particulier a été initié pour appâter le pauvre citoyen, dominer  son esprit,  briser son identité, bafouer ses valeurs, bref l’humilier par la technique de la manipulation et de la communication. L’esprit doit se métamorphoser.
Pour y parvenir, la France avait envoyé quelques Marocains pour être formés aux Asturies en Espagne comme en France en vue d’en faire des propagandistes. Elle envoya également quelques agitateurs dans des zones frontalières du Maroc dit  « français». Leur  mission a été révélée par la Dépêche de Toulouse du 17 janvier 1937 qui écrivait : « La grande préoccupation du ministre de l’Intérieur est d’établir l’autorité de ces groupes(!) sur les incontrôlables berbères. Casser tout repère pour ce peuple n’est pas un dilemme!».
Le maniement à grande échelle est mis sur les rails pour  contraindre le peuple à vivre dans l’obscurantisme lors des années à venir. Toutes les sources d’information et de communication utiles  étaient contrôlées scrupuleusement. Presse écrite, radios et mêmes chansons sont passés au peigne fin pour empêcher tout esprit critique.
En 1952, quand l’expérience est acquise,  l’orientalisme  prend le dessus, sur les mêmes fondements, par une razzia intense. Plus tard, l’information est rayée totalement  du vocabulaire, seule restait la communication  au service de son éditeur. Tous les organes de presse étaient entre les mains des propagandistes : journaux, agence nationale, radios et distributions mais également le téléphone arabe.
Plus tard, au cours d’un rassemblement à Rabat, on distribuait des cadeaux (postes des médias). La largesse se faisait avec l’aimable sourire comme au casino après avoir gagné le gros lot. Le jeu est devenu un vrai subterfuge. Le racolage des journalistes se base sur un seul critère: leur capacité à embrasser l’idéologie qu’on veut bien leur servir. Cela leur suffit à fonctionner comme on leur impose et non comme ils devraient le faire.

Quels rapports avez-vous personnellement avec les médias marocains ? 
Cet engrenage a engendré en nous des traumatismes monstrueux à cause de l’humiliation ou de la dépersonnalisation de notre peuple. Comme beaucoup d’autres, j’en ai souffert, je me suis senti blessé  dans mon orgueil. Mais je me soignais en ignorant tout message qui en découlait. 
Des mots sournois et moqueurs  résonnent toujours dans nos têtes à travers des voix et des noms dignes d’être cités  pour ne jamais oublier les malheurs, les humiliations, les insultes (ils nous qualifient de barbares avec des «R» boursouflés), les troubles de personnalité, le choc psychique et le trafic d’influence qu’ils nous ont fait subir,  et  à bien des générations d’Amazighs.
 
Quelle image les médias marocains réservent-ils aux intellectuels marocains ?
Encore faut-il définir ce que signifie le terme « intellectuel », car l’on remarque qu’il est devenu un  fourre-tout. Et en fait, ce même engrenage médiatique s’est renforcé par la présence de certains prétendant être des « intellectuels » du pays et donc ceux de la même lignée.  Ils interdisaient ou autorisaient selon leur bon vouloir. 
 Ils cautionnaient ou sanctionnaient à leur guise. Ils ont pu transformer  le  Maroc utile en pays inutile et des gens utiles en citoyens inutiles.  Que nous reste-t-il alors? Ils ont fait de nous, de nos villes, de nos régions et de la culture tout simplement des laissés-pour-compte. 

Les médias marocains sont-ils suffisamment ouverts sur les intellectuels nationaux ?
Les médias, ou l’engrenage,  de notre pays, nous ont dépersonnalisés en important la culture du Moyen-Orient. Grâce aux différents organes de presse, « nous étions  sauvés  des ténèbres », l’Orient nous exporte tout : le chant, la musique,  la poésie, la civilisation, les prénoms, le foulard, le mode de vie, la religion, la langue, la toponymie, l’identité, les films... C’est prescrit ! C’est pourquoi la culture nationale n’intéresse guère les médias marocains  qui font peu de cas des vrais intellectuels marocains. 

Quels sont les différents angles d’attaque utilisés par les médias marocains pour aborder les événements sociaux, politiques et idéologiques ?
Le fait d’éclairer loyalement sa propre société, dans toutes ses tendances, participe à coup sûr à son immunisation et à son évolution. Or pour la nôtre, les médias en ont fait fi  depuis le début. Les zones d’ombre se sont multipliées et accumulées au fil du temps. De ce fait, des barrières virtuelles se sont dressées entre les habitants du pays. La société marocaine, dans son ensemble, n’est pas régie selon des règles transparentes  connues de tous les citoyens. Je pense qu’il faudrait d’abord se réconcilier avec soi-même !

Quel regard portez-vous sur l’élite intellectuelle marocaine, fort présente sinon omniprésente dans les médias marocains ? 
 Il y a lieu de reconnaître que cette question va de soi. Quand on se la pose une multitude de réponses empreintes de  subjectivité s’imposent. Il faudrait néanmoins écouter les interprétations théorico-philosophiques, car la définition d’une élite intellectuelle se manifeste par des actions concrètes dans une société. L’élite intellectuelle n’est pas composée de rêveurs et de jaloux de leurs idées secrètes sans actions concrètes ou d’’auto-proclamation sans preuves de réalisation.
Force est de constater que le peuple  est malmené dans son quotidien par des stratèges de l’idéologie importée. C’est l’autodestruction par ses propres forces,  reniant ses valeurs pour épouser les causes des autres. Nous avons tendance à nous demander : où sont ces  intellectuels? C’est à cette pseudo-élite d’éclairer le peuple, c’est à elle de désintoxiquer la société, c’est à elle de dire la vérité même soi-disant amère et c’est à elle d’honorer et de protéger le pauvre marocain dans toute sa diversité.


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