Vers l’Indépendance du Maroc : LES PRÉMISSES D’UN DIALOGUE DANS UN CONTEXTE TROUBLÉ (Juin – Août 1955) : Les germes de la dissension


par Abderrahim Bouabid
Jeudi 17 Septembre 2009

Vers l’Indépendance du Maroc : LES PRÉMISSES D’UN DIALOGUE DANS UN CONTEXTE TROUBLÉ  (Juin – Août 1955) : Les germes de la dissension
L’écrit de feu Abderrahim Bouabid que nous publions a été rédigé d’un seul trait, à Missour, au cours de l’hiver 1981-82. Le texte de ce manuscrit évoque une période charnière dans le processus qui a conduit à la fin du protectorat. De l’épisode d’Aix-les-Bains aux
entretiens d’Antsirabé, en passant par l’évocation des mouvements insurrectionnels, l’auteur s’emploie à restituer le climat de
tensions, d’incertitudes et de tâtonnements qui préfigure le dénouement de la crise franco-marocaine dont l’été 1955 reste un moment fort. L’occasion lui est ainsi fournie de donner sa lecture des événements. Surtout et s’agissant de ce qui deviendra a posteriori la « controverse d’Aix-les-Bains », l’auteur développe ses arguments et revient sur le sens, les motivations et la portée de cette rencontre. L’histoire de l’indépendance du Maroc,
est, de ce point de vue, sans doute aussi l’histoire d’un système complexe  d’équivoques et de tensions qui structurent dès son origine le mouvement national. Abderrahim Bouabid nous en fournit ici un aperçu saisissant.

De retour à Rabat le 21 septembre, il allait se trouver devant une situation aggravée, dès la première semaine d’octobre. Nous y reviendrons plus bas.L’avenir immédiat me paraissait sombre.
Le départ de Ben Arafa pouvait-il avoir une signification autre que le prélude au retour du monarque légitime à la tête du pays et l’ouverture de négociations sur la base de l’indépendance ? Je ne pouvais imaginer que les évènements allaient se succéder dans le courant d’octobre, avec une cadence aussi précipitée. Ma seule certitude, à ce moment là, était que l’accentuation des luttes populaires était la ligne à suivre. Aussi, ai-je décidé, une fois de plus, de me mettre à la disposition des responsables du conseil de la résistance et de l’armée de libération.
Ayant pris rendez-vous avec Abdelkébir El Fassi et Abderrahman Youssoufi, je pris le train pour Madrid. Balafrej s’y trouvait également. C’était pour moi, l’occasion d’essayer   de le remettre en rapport avec les militants de la résistance qui lui reprochaient très amèrement d’avoir pris ses distances à leur égard.
Je vis Youssoufi à l’Escurial où il était en convalescence, à la suite d’une opération chirurgicale. Je retrouvai mon vieux compagnon, après cinq années de séparation.
Je le mis au courant des entretiens d’Aix-les-Bains, de notre voyage à Antsirabé, enfin des tractations en cours au sujet de la constitution d’un conseil du trône. Cette explication a dissipé bien des malentendus. Nous fumes rejoints par Abdelkébir El Fassi, qui était dès l’adolescence l’un des militants les plus actifs et les plus compétents. Il était aussi connu pour avoir pris certaines initiatives jugées trop improvisées. C’est pour cette raison qu’il avait été écarté en 1949 du secrétariat du Comité exécutif du parti. Je crois qu’il en avait gardé un souvenir amer. Ayant échappé à la répression de 1952, il put rejoindre l’Espagne. Il a rendu des services indéniables aux groupes de résistants qui commençaient à s’organiser en 1953.
Les premières armes, grâce à lui, ont pu être acheminées vers l’intérieur du pays. Avec Youssoufi, il était devenu membre du Conseil National de la Résistance, lequel tenait ses réunions soit à Tétouan, soit à Madrid. Leur rôle était important, puisque leurs connaissances et l’expérience acquise les prédisposaient bien mieux que d’autres, au rôle de conseil politique de cette instance.
Allal El Fassi, avait choisi le Docteur Abdelkrim El Khatib, réfugié à Paris, comme agent de contact pour l’achat d’armes en Suisse ou en Allemagne. El Khatib n’avait jamais été engagé dans le mouvement national, ni lui ni ses frères. De père algérien, qui avait donc la nationalité française et de mère marocaine appartenant à une grande famille bourgeoise proche du palais, il s’était tenu à l’écart de toute participation à l’action militante, tant à Paris qu’au Maroc. Les répressions sanglantes de décembre 1952 l’amenèrent à sortir de cette réserve : il alla au secours de nombreux blessés dans les quartiers populaires de Casablanca. L’un des infirmiers de sa clinique, militant du parti, était recherché par la police. Etait-ce la raison qui l’avait décidé à quitter le Maroc pour Paris ? Toujours est-il qu’à notre libération, fin 1954, nous le trouvâmes installé dans la capitale française avec sa famille. Il était en quelque sorte « l’accompagnateur » de Si Bekkaï, assistant très souvent à ses entretiens avec les différents milieux politiques français. De même, il était l’un des familiers du prince Moulay Hassan, frère de Mohammed V, installé avenue de la Grande Armée.
Là aussi, il avait assisté à divers entretiens avec les hommes politiques français, ou marocains. Il semblait vouloir s’en tenir à un rôle effacé. Il déclarait notamment que sa foi religieuse et ses liens avec Mohammed V et la famille royale, l’avaient amené à s’engager dans la lutte. Mais là s’arrêtaient ses convictions politiques.
Je dois avouer que j’étais étonné de constater qu’il n’avait fait l’objet d’aucune recherche de la part des autorités du protectorat, d’autant plus que tout le monde savait, qu’il avait fermé sa clinique à Casablanca. Etait-ce un oubli des agents de la répression ?
Il demeure que c’est cet homme là, fort dévoué et sympathique, un peu hâbleur, que je trouvais également à Madrid. C’était Abdelkébir El Fassi, avec l’accord parait-il de Allal El Fassi qui l’avait fait venir en Espagne, pour jouer les conseillers politiques du conseil de la résistance à Tétouan, et agent de liaison avec le résident Espagnol, le général Garcia Valino. Je fus surpris de ce choix inattendu et le dis à Abdelkébir El Fassi. Le Docteur Khatib était-il vraiment homme à assumer les responsabilités que vous lui confiez ? Il n’avait pas la formation politique d’un militant engagé dans la lutte. Il ne connaissait pratiquement aucun des dirigeants de la résistance, qui, tous étaient d’anciens militants du parti. Sur le plan de la formation militaire, il n’avait pas plus de références à faire valoir.
Mais ce qui était fait, était fait.
Je fis part à Abdelkébir El Fassi de ma décision de rejoindre l’organisation des résistants à Tétouan : j’était prêt, sans poser aucune condition, à prendre part au combat libérateur, jusqu’au retour à Rabat de notre souverain légitime et la proclamation de l’indépendance nationale. « Si certains d’entre nous », lui disje, « ne se trouvent pas engagés dans la lutte armée, c’est qu’ils n’avaient pas eu la chance comme vous d’échapper à l’arrestation et à l’emprisonnement. Les hommes qui étaient dans les camps de concentration nazis, sont considérés, en France comme ailleurs, des résistants, au même titre que ceux qui avaient pris le maquis. »
La réponse d’El Fassi était embarrassée. Il était gêné. Il me répéta que ma présence en France était jugée plus utile à la cause. Je lui fis remarquer qu’il y avait un manque de coordination entre la direction du parti et les dirigeants de la résistance, que des germes de dissensions nés de malentendus ou d’informations déformées, commençaient déjà à apparaître. Finalement, j’eus le sentiment que certaines personnes s’opposaient à ma venue à Tétouan. Lesquelles ? Je ne le sus jamais30 .


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