Vaccins anti-Covid et soft power


Libé
Dimanche 21 Mars 2021

Vaccins anti-Covid et soft power
Le débat sur les vaccins produits par les grandes puissances a récemment dévié des efforts déployés pour juguler l’épidémie du coronavirus vers un champ de bataille politique et stratégique.

Parler de ces vaccins est de plus en plus associé à l’influence des pays producteurs. Il devient une manifestation du soft power de ces pays. Le débat sur la validité de ce lien entre les vaccins et la puissance est certainement soutenu par les pratiques en vigueur. Qu’il s’agisse de la distribution des vaccins ou de la défense désespérée des dirigeants et des politiciens, qui relève plus du nationalisme et de la dignité nationale que des normes scientifiques et sanitaires, la distribution des vaccins et la gestion des stocks accessibles aux pays et aux institutions relèvent plus des signes géopolitiques que de toute autre chose.

C’est une réalité. Mais elle doit être considérée avec prudence et rationalité. La question du vaccin russe est peut-être un bon exemple pour comprendre la dimension politique du problème. Il ne s’agit pas seulement d’une division entre les Etats membres de l’UE sur l’utilisation du vaccin russe.

En effet, certains, dans l’orbite de Moscou à l’époque de la guerre froide, n’hésitent pas à accuser la Russie d’utiliser le vaccin comme un outil pour restaurer son ancienne influence. Entre les différents points de vue, il semble bien qu’il y ait un lien étroit avec le pouvoir et l’influence des Etats. Le choix du nom, Spoutnik, qui évoque la rivalité bipolaire et la puissance à l’époque de la guerre froide, illustre en soi la vision et la valeur que l’Etat russe attache au vaccin. Ce n’est pas seulement la Russie, mais aussi la Grande-Bretagne, la Chine, les Etats-Unis et tous les pays qui se lancent dans ce domaine scientifique. La science est l’une des manifestations et l’un des signes du soft power des pays, et il n’y a rien à dire là-dessus. Le lien entre la science et le pouvoir n’est pas une chose passagère en géopolitique.

Mais ce qui est nouveau, ce sont peut-être les mécanismes d’exploitation et les terrains de ce conflit scientifique. Il ne s’agit plus ici de faire étalage de la supériorité scientifique dans l’espace, par exemple, ou de lancer des fusées et d’explorer des galaxies. Il s’agit d’une compétition sur le territoire d’autres pays.

Le facteur géopolitique semble manifeste. Certains critiquent ce qu’ils considèrent comme une instrumentalisation politique des épidémies et des vaccins. Je pense que ce phénomène a émergé depuis le début de la crise. Il n’a pas attendu la parution des vaccins. L’ancien président américain Donald Trump a appelé le virus « China virus » dans une position stratégiquement motivée, liée à l’image mentale et visant à ternir la réputation de la Chine dans le contexte d’une rivalité bipolaire féroce pour le leadership de l’ordre mondial post-coronavirus.

Mais la guerre des vaccins peut sembler plus révélatrice de la dimension politique de l’ensemble du problème. Le ministre slovaque des Affaires étrangères, Ivan Korčok, n’était même pas d’accord avec son premier ministre, qui s’est félicité de la réception par son pays d’un lot de vaccins russes, affirmant que la question n’avait rien à voir avec des facteurs géopolitiques. Son ministre des Affaires étrangères a décrit le vaccin comme un «outil de guerre hybride».

Il en va de même en République tchèque, où le président Miloš Zeman a appelé le président russe Vladimir Poutine à fournir le vaccin, tandis que son ministre de la Santé a refusé d’accepter le vaccin russe sans l’approbation de l’Agence européenne des médicaments. Ce geste a incité le président à demander sa démission.

A la lecture de ces positions divergentes, certains sont convaincus que la diplomatie russe en matière de vaccins vise à créer un fossé au sein du bloc européen. Mais la réalité est que la production de vaccins des autres pays est limitée, et qu’il y a des problèmes de distribution à cause de la demande massive et simultanée.

Pour trouver des solutions à ce problème, il faut peut-être aller au-delà de la théorie du complot, qu’elle soit fondée ou non. L’Europe souffre de la lenteur du programme de vaccination. Il y a des différences et des controverses à propos de certains vaccins, et qui les reçoit en premier.

A mon avis, cette question doit être envisagée d’un point de vue humain. La Slovaquie et la République tchèque ont récemment connu le pire taux de mortalité au monde par rapport à la population pendant des semaines, selon les statistiques de l’AFP basées sur des données officielles. Les hôpitaux ont atteint leur capacité maximale. Parler de l’aspect politique des vaccins devient un luxe qui n’est pas autorisé dans des conditions humanitaires aussi difficiles. Il est vrai que la défense de certains vaccins a pris une dimension nationale, tandis que d’autres ont été distribués dans un contexte géopolitique. Mais la moitié des personnes qui se font vacciner réduisent les risques de maladie et de souffrance au niveau mondial.

La crise, qui n’a pas été gérée avec une boussole morale et humaine depuis son déclenchement, confirme que le discours sur les principes humanitaires est une chose et les actions une autre. L’humanité est maintenant dans une situation qui exige une forte solidarité si l’on veut que le monde retourne réellement à l’avantCovid.

Vaccins anti-Covid et soft power
Parler de soft power et de géopolitique est un privilège que beaucoup de nations n’ont pas. Cela ne doit pas être un obstacle à la collecte de vaccins, conformément à la règle selon laquelle le meilleur vaccin est celui qui est disponible maintenant, pas demain.

Par Salem AlKetbi
Politologue émirati et ancien candidat au Conseil national fédéral.


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